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ROUSSEAU : LA LETTRE A D'ALEMBERT SUR LES SPECTACLES (analyse)

Publié le 26/06/2011

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La Lettre sur les spectacles est née à la fois d'un hasard et de l'influence d'une discussion qui se poursuivait avec véhémence depuis plus d'une demi-siècle ou même, d'une façon plus ou moins sourde, depuis des siècles. Le hasard est la publication, au tome VII de l'Encyclopédie, de l'article Genève écrit par d'Alembert. En lui-même un article sur Genève pouvait n'être qu'historique et géographique et ne donner lieu à aucune polémique. Mais derrière d'Alembert il y avait Voltaire et Voltaire n'était pas fâché de dire à Genève quelques vérités ou ce qu'il tenait pour des vérités. Voltaire s'était installé aux Délices (1755) puis en terre vaudoise, à Montriond, à Monrepos. Féru de théâtre et aidé par une visite de l'acteur Lekain il donna non pas des représentations mais des lectures dramatiques qui attirèrent toute la bonne société genevoise : « Nous [c'est-à-dire Lekain, Mme Denis et Voltaire lui-même] avons fait pleurer tout le Conseil de Genève «. Si bien qu'il fut tout de suite question d'organiser un théâtre dont cette bonne société fournirait les acteurs. biais ce n'était pas tout le Conseil qui pleurait aux lectures dramatiques. Dès 1617 la loi genevoise interdisait tous les spectacles. Sans doute la loi fut fort discutée. 

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« réussi h discréditer ; d'autres plus obscurs mais qui avaient leur petite part de réputation, Alletz, Fagan, Chevrier,etc.Il y avait aussi le parti de la conciliation.

Il y a théâtre et théâtre : le théâtre des Italiens est tout à faitcondamnable et, sans doute, les farces de Molière le sont aussi.

Mais il y a Horace, Cinna, Polyeucte, le Méchant.

Ilconvient donc de choisir et non pas de condamner en bloc.

C'est l'avis du P.

Porée, Jésuite notoire; maître deVoltaire, qui est bien obligé de se souvenir que, dans les collèges des Jésuites, on joue tous les ans, aux exercicesde fia d'année, des pièces de théâtre, qui pose la question : Theatrum sitne vel esse possit schola informandismoribus idonea ? et qui répond par l'affirmative ; l'abbé Yart.

Un comédien italien, Luigi Riccoboni, pris d'un beau zèlede moraliste, dans sa Réformation du théâtre (1743) proclame « le grand bien que produirait la suppression entièredu théâtre » ; s'il faut se résigner à des vices incurables on leur donnera du moins un « Conseil » où figureront lesubstitut du lieutenant général de police et deux docteurs de la Faculté de théologie.

On « épurera » le Cid et onessaiera d'effacer de la mémoire des hommes Bérénice, Pompée, Mithridate, Phèdre, Bajazet, Rodogune, etc.Au total et dans la pratique la cause du théâtre triomphe.

Mais dans ,la pratique aussi les sévérités gardent leurpuissance et expliquent en partie comment Rousseau a pu les reprendre avec tant d'intransigeance.

Languet,archevêque de Sens, en recevant Nivelle de la Chaussée à l'Académie (1736) l'avait félicité de « fournir à.

nosjeunes gens je ne dis pas des spectacles mais des lectures utiles ».

Les Nouvelles ecclésiastiques protestèrent etLanguet, en recevant Marivaux, dut rétracter cet éloge imprudent.

Un procès retentissant avait fait scandale.

M.

dela Bédoyère, gentilhomme authentique avait épousé une jeune actrice de la Comédie italienne, Agathe Sticotti.Agathe avait beaucoup de talent ; elle était charmante ; et elle était parfaitement honnête, comme tout le mondele reconnaissait.

Un enfant était né du mariage.

Mais les parents de M.

de La Bédoyère attaquèrent une union qu'ilsn'avaient pas approuvée.

Malgré l'enfant le Parlement cassa le mariage.

On n'épouse pas une actrice, mêmecharmante et vertueuse.

De l'aventure le jeune Baculard d'Arnaud, avide de succès, tira un roman « sensible » : Lesépoux malheureux ou histoire de M.

et Mme de La Bédoyère, 1745 (au moins 4 éditions, 1746, 1749, 1758), Baculardavait pris avec véhémence le parti des deux jeunes gens : a Mes pleurs ont coulé ; je me suis senti emporté par desmouvements pressants dont je n'ai point été le maître, par ces transports qu'on peut nommer l'enthousiasme dusentiment, le génie du cœur ; j'ai cédé à ce penchant qui me dominait ; mon âme s'est épanchée.

» Malgré cetépanchement les deux époux n'en étaient pas moins rejetés dans le concubinage.

En province nous voyons que lesJeux floraux de Toulouse couronnent, en 1748, une Ode sur le danger des spectacles.

Au hasard des Mémoires nouslisons que Mine Cavaignac, vers 1740 (Mémoires d'une inconnue, 1894) est fort curieuse de littérature mais plussoucieuse encore du salut de son âme.

Elle supplie son fils de ne pas la tenter en lui apportant, pour les lire,Corneille, Racine ou Molière.

Un nommé Leprince, du bourg d'Ardenay près du Mans, a fait d'excellentes études aucollège des Jésuites ; il a même brillé dans les études de physique expérimentale.

Mais il décide de revenir « auxpremiers principes » de son éducation et, conséquemment, de renoncer à la Comédie et à l'Opéra.

Seulement il semarie.

Son voyage de noces le conduit à Paris.

Il s'est bien promis « de ne point aller aux spectacles ».

La tentationest la plus forte ; il y va.

Mais c'est une faiblesse coupable.Quelle place prend la Lettre à d'Alembert dans ce vaste débat ?Au début de sa Lettre, Rousseau défend les pasteurs de Genève que d'Alembert accusait d'être sociniens parfaits,c'est-à-dire de rejeter les peines éternelles.

Puis il passe à la question même du théâtre.

Le théâtre, dit-il, est unamusement et « un père, un fils, un mari, un citoyen » n'ont pas besoin d'autre divertissement que les devoirs que lavie leur impose.Si ce langage « n'est plus de saison dans notre siècle », on peut contester d'autre façon l'utilité du théâtre.

D'abordles spectateurs ne cherchent au théâtre que leur plaisir et cela seul leur plaît qui favorise leurs penchants « Trahitsua quemque voluptas ».

Par là le théâtre ne change pas des sentiments et des moeurs « qu'il ne peut que suivre etembellir » ; son premier effet est « de renforcer le caractère national, d'augmenter les inclinations naturelles, et dedonner une nouvelle énergie à toutes les passions ».

Tout au plus peut-on dire qu'il « purge les passions qu'on n'apas, et fomente celles qu'on a ».

Les partisans du théâtre se défendent en affirmant qu'il nous inspire tout au moinsl'amour général de la vertu et la haine du vice.

Rousseau conteste énergiquement cette doctrine.

En entrant authéâtre nous avons déjà en nous les sentiments que la pièce prétend faire naître.

Nous aimons la vertu et nousdétestons le vice.

Mais ce ne sont que des sentiments hypocrites.

Nous aimons la vertu chez les autres parcequ'elle nous est utile ; et nous nous cachons nos propres vices.

Le théâtre nourrit cette hypocrisie et les vices qu'ilflétrit ne sont jamais les nôtres.

La tragédie, dit-on, mène à la pitié par la terreur.Emotion passagère et vaine...

Au fond quand un homme est allé admirer de belles actions dans des fables et pleurerdes malheurs imaginaires, qu'a-t-on encore à exiger de lui ? N'est-il pas content de lui-même ? Ne s'applaudit-il pasde sa belle âme ? ne s'est-il pas acquitté de tout ce qu'il doit à la vertu par l'hommage qu'il vient de lui rendre ? Quevoudrait-on qu'il fît de plus ? Qu'il la pratiquât lui-même ? Il n'a point de rôle à jouer il n'est pas comédien.La discussion théorique se termine par une remarque sur la comédie qui, si elle ne fait pas appel à cette hypocrisiede pitié, ne saurait pas davantage corriger les moeurs puisqu'elle se contente de les peindre.

La conclusion généraleest qu'il ne s'agit toujours que « de piquer la curiosité du peuple ».Après avoir exposé les raisons théoriques, psychologiques et sociales, qui s'opposent à l'influence morale du théâtre,Rousseau précise la discussion par des exemples.

Atrée et Thyeste (de Crébillon) et Mahomet (de Voltaire) montrentque la tragédie ne saurait être une école de vertu, puisqu'elle se termine souvent comme dans ces pièces par letriomphe des grands scélérats.

Molière et le Misanthrope sont choisis comme exemple pour la.

comédie.On convient et on le sentira chaque jour davantage que Molière est le plus parfait auteur comique dont les ouvragesnous soient connus ; mais qui peut disconvenir aussi que le théâtre de ce même Molière, des talents duquel je suisplus admirateur que personne, ne soit une école de vices et de mauvaises moeurs, plus dangereuse que les livresmêmes où l'on fait profession de les enseigner.

Son plus grand soin est .de tourner la bonté et la simplicité enridicule et de mettre la ruse et le mensonge du parti pour lequel on prend intérêt...

enfin l'honneur desapplaudissements est rarement pour le plus estimable et presque toujours pour le plus adroit.Cela est évident pour une pièce telle que Georges Dandin.

C'est moins évident mais tout aussi certain pour le. »

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