MICHAUX: La Nuit remue

« Le recueil La Nuit remue, paru en 1935, comprend deux parties : La Nuit remue, écrit en 1934, et Mes propriétés, qui avait déjà été publié seul en 1929.

Ces poèmes en prose insolites, parfois cruels et fantastiques, mettent enlumière les mécanismes de l'esprit et de la vie intérieure.

La Nuit remue fait le lien avec l'oeuvre précédente, Qui je fus (1927), par le texte «Mon Roi», qui est un développement de six pages sur le thème du combat intérieur: «Et c'est mon Roi, que j'étrangle vainement depuis si longtemps dans le secret de ma petite chambre; sa faced'abord bleuie, après peu de temps redevient naturelle, et sa tête se relève, chaque nuit, chaque nuit.» Le Roi, c'est le «surmoi» de l'explication psychanalytique, la forme inconsciente de la censure qui condamne lespulsions de l'instinct.

Le Roi, attaqué avec fureur par Henri Michaux, est toujours le plus fort.

Dans le poème «L'Âgehéroïque», il s'agit d'un autre combat, celui des deux frères Barabo et Poumapi, qui symbolise l'obsession du malprésente dans tout le recueil, et qui se lit dans les affreuses blessures et la mort qu'ils s'infligent: «Couchés corps à corps, pareillement exténués, et accablés de souffrances, Poumapi et Barabo essayaientvainement de s'étrangler.» Le ton épique du recueil est donné par ces deux textes.

Car c'est bien d'une épopée qu'il s'agit, celle qui décritl'élaboration de l'oeuvre.

L'esprit en est le héros et nous présente ses combats, ses hantises et ses voyages aucœur de sa «petite chambre». 2.

FONCTION DU POÈTE - Le poème «Contre» est le manifeste poétique de ce recueil, qui fait surgir violemment une forme nouvelles'opposant à toute autre forme d'esthétique.

Ces strophes de vers libres, subjectifs, violents et acerbes, mettenten pièces un monde d'ordre: «Je vous construirai une ville avec des loques, moi ! Je vous construirai sans plan et sans ciment Un édifice que vous ne détruirez pas, Et qu'une espèce d'évidence écumante Soutiendra et gonflera, qui viendra vous braire au nez, Et au nez gelé de tous vos Parthénons, vos arts arabes, et de vos Mings.» L'oeuvre poétique de Michaux est ainsi jetée à la face du monde, avec une violence verbale inouïe.

Mais la distance,le retour sur soi, sur ses élans dérisoires, se marque dans l'interpellation : «Carcasse, où est ta place ici, gêneuse, pisseuse, pot cassé? Poulie gémissante, comme tu vas sentir les cordages tendus des quatre mondes ! Commeje vais t'écarteler !» Après la violence du premier élan, l'énergie destructrice tombe à plat, le poète reste dans ses contradictions.

Lepoème «Icebergs», nourri des imagés des voyages passés, évoque la tentation de la solitude e du silence, tandisque «L'Éther» montre que la tentation de la drogue comme moyen de connaissance s'est offerte à Michaux dès lesannées trente.

«Vers la sérénité» est l'acceptation de sa différence et de sa souffrance, l'évocation de la fonctiondu poète en prise avec le monde mais toujours solitaire, et qui suit le cheminement de l'écriture exploratoire.

Lemonde est hostile et le désespoir absolu : Michaux ressent la présence agressive des êtreset des choses et l'exprime par des images oppressantes de monstres, contre lesquels la lutte est violente et sanglante.

On le voit, cette métaphore du combat anime tout le recueil. Mais, parallèle à l'horreur, l'humour est présent.

C'est une réaction à une situation intolérable, une défense salutaire.La distance introduite par l'humour dans les textes de Michaux met davantage en valeur les pouvoirs poétiques deson écriture : «Cette petite menotte rigide dans ma poche, c'est tout ce qui reste de ma fiancée» ; ou bien «Tel partit pour un baiser qui rapporta une tête.

Priez pour lui, il enrage pour vous.». »