QU'EST-CE QUE LE TIERS ÉTAT ?
Publié le 12/08/2011
                             
                        
Extrait du document
Que faut-il pour qu'une nation subsiste et prospère? Des travaux particuliers et des fonctions publiques.
On peut renfermer dans quatre classes tous les travaux particuliers : 1° La terre et l'eau fournissant la matière première des besoins de l'homme, la première classe dans l'ordre des idées sera celle de toutes les familles attachées aux travaux de la campagne. 2° Depuis la première vente des matières jusqu'à leur consommation ou leur usage, une nouvelle main-d'oeuvre, plus ou moins multipliée, ajoute à ces matières une valeur seconde plus ou moins composée. L'industrie humaine parvient ainsi à perfectionner les bienfaits de la nature, et le produit brut à doubler, décupler, centupler de valeur. Tels sont les travaux de la seconde classe. 3° Entre la production et la consommation, comme aussi entre les différents degrés de production, il s'établit une foule d'agents intermédiaires, utiles tant aux producteurs qu'aux consommateurs; ce sont les marchands et les négociants. Les négociants, qui comparent sans cesse les besoins des lieux et des temps, spéculent sur le profit de la garde et du transport; les marchands, qui se chargent en dernière analyse du débit, soit en gros soit en détail. Ce genre d'utilité désigne la troisième classe. 4° Outre ces trois classes de citoyens laborieux et utiles qui s'occupent de l'objet propre à la consommation et à l'usage, il faut encore dans une société une multitude de travaux particuliers et de soins directement utiles ou agréables à la personne. Cette quatrième classe embrasse depuis les professions scientifiques et libérales les plus distinguées, jusqu'aux services domestiques les moins estimés. Tels sont les travaux qui soutiennent la société. Qui les supporte? Le tiers état. Les fonctions publiques peuvent également, dans l'état actuel, se ranger sous quatre dénominations connues, l'Epée, la Robe, l'Eglise et l'Administration. Il serait superflu de les parcourir en détail, pour faire voir que le tiers état y forme partout les dix-neuf vingtièmes, avec cette différence qu'il est chargé de tout ce qu'il y a de vraiment pénible, de tous les soins que l'ordre privilégié refuse d'y remplir. Les places lucratives et honorifiques seules y sont occupées par des membres de l'ordre privilégié. Lui en ferons-nous un mérite? Il faudrait pour cela, ou que le tiers refusât de remplir ces places, ou qu'il fût moins en état d'en exercer les fonctions. On sait ce qui en est; cependant, on a osé frapper l'ordre du tiers d'interdiction. On lui a dit : « Quels que soient tes services, quels que soient tes talents, tu iras jusque-là; tu ne passeras pas outre. Il n'est pas bon que tu sois honoré. « Quelques rares exceptions, senties comme elles doivent l'être, ne sont qu'une dérision, et les discours qu'on se permet dans ces occasions rares, une insulte de plus. Si cette exclusion est un crime social envers le tiers état, pourrait-on dire au moins qu'elle est utile à la chose publique? Eh! ne connaît-on pas les effets du monopole? S'il décourage ceux qu il écarte, ne sait-on pas qu'il rend inhabiles ceux qu'il favorise? Ne sait-on pas que tout ouvrage dont on éloigne la libre concurrence sera fait plus chèrement et plus mal? En dévouant une fonction quelconque à servir d'apanage à un ordre distinct parmi les citoyens, a-t-on fait attention que ce n'est plus alors seulement l'homme qui travaille qu'il faut salarier, mais aussi tous ceux de la même caste qui ne sont pas employés, mais aussi les familles entières de ceux qui sont employés et de ceux qui ne le sont pas? A-t-on fait attention que cet ordre de choses, bassement respecté parmi nous, nous c«. paraît méprisable et honteux dans l'histoire de l'ancienne Egypte et dans les relations de voyage aux Grandes-Indes?... Mais laissons des considérations qui, en agrandissant la question, en l'éclairant peut-être, ralentiraient pourtant notre marche. Il suffit ici d'avoir fait sentir que la prétendue utilité d'un ordre privilégié pour le service public n'est qu'une chimère; que sans lui, tout ce qu'il y a de pénible dans ce service est acquitté par le tiers; que sans lui, les places supérieures seraient infiniment mieux remplies; qu'elles devraient être naturellement le lot et la récompense des talents et des services reconnus; et que si les privilégiés sont parvenus à usurper tous les postes lucratifs et honorifiques, c'est en même temps une iniquité odieuse pour la généralité des citoyens et une trahison pour la chose publique. Qui donc oserait dire que le tiers état n'a pas en lui tout ce qu'il faut pour former une nation complète? Il est l'homme fort et robuste dont un bras est encore enchaîné. Si l'on ôtait l'ordre privilégié la nation ne serait pas quelque chose de moins, mais quelque chose de plus. Ainsi, qu'est-ce que le tiers? tout, mais un tout entravé et opprimé. Que serait-il sans l'ordre privilégié? tout, mais un tout libre et florissant. Rien ne peut aller sans lui, tout irait infiniment mieux sans les autres. Il ne suffit pas d'avoir montré que les privilégiés, loin d'être utiles à la nation, ne peuvent que l'affaiblir et lui nuire, il faut prouver encore que l'ordre noble n'entre point dans l'organisation sociale; qu'il peut bien être une charge pour la nation, mais qu'il n'en saurait faire partie. D'abord, il n'est pas possible, dans le nombre de toutes les parties élémentaires d'une nation, de trouver où placer la caste des nobles. Je sais qu'il est des individus, en trop grand nombre, que les infirmités, l'incapacité, une paresse incurable, ou le torrent des mauvaises moeurs, rendent étrangers aux travaux de la société. L'exception et l'abus sont partout à côté de la règle, et surtout dans un vaste empire Mais au moins conviendra-t-on que moins il y a de ces abus, mieux l'Etat passe pour être ordonné. Le plus mal ordonné de tous serait celui où non seulement des particuliers isolés, mais une classe entière de citoyens mettrait sa gloire à rester immobile au milieu du mouvement général et saurait consumer la meilleure part du produit, sans avoir concouru en rien à le faire naître. Une telle classe est assurément étrangère à la nation par sa fainéantise. L'ordre noble n'est pas moins étranger au milieu de nous, par ses prérogatives civiles et publiques. Qu'est-ce qu'une nation? un corps d'associés vivant sous une loi commune et représenté par la même législature. N'est-il pas trop certain que l'ordre noble a des privilèges, des dispenses, même des droits séparés des droits du grand corps des citoyens? Il sort par là de l'ordre commun, de la loi commune. Ainsi ses droits civils en font déjà un peuple à part dans la grande nation. C'est véritablement imperium in imperio. A l'égard de ses droits politiques, il les exerce aussi à part. Il a ses représentants à lui, qui ne sont chargés en rien de la procuration des peuples. Le corps de ses députés siège à part; et quand il s'assemblerait dans une même salle avec les députés des simples citoyens, il n'en est pas moins vrai que sa représentation est essentiellement distincte et séparée : elle est étrangère à la nation par son principe, puisque sa mission ne vient pas du peuple, et par son objet, puisqu'il consiste à défendre non l'intérêt général, mais l'intérêt particulier. Le tiers embrasse donc tout ce qui appartient à la nation; et tout ce qui n'est pas le tiers ne peut pas se regarder comme étant de la nation. Qu'est-ce que le tiers? tout.
Emmanuel SIEYES. « Qu'est-ce que le Tiers Etat? « (1789). Edition critique Edme CHAMPION. Société de l'Histoire de la Révolution française (1888).
1. Je ne parle point du clergé. Dans mes idées, ce n'est pas un ordre mais une profession chargée d'un service public.
La monarchie française, à lui appliquer sans nuances les principes du Contrat,
était illégitime, le roi, non le peuple en corps, y étant souverain, et usurpant sur la
volonté générale. D'ailleurs tout le système d'idées élaboré pendant le siècle, et
alimenté non seulement par Rousseau, mais aussi par Locke, Voltaire, Montesquieu,
sans oublier les Encyclopédistes ni les moindres seigneurs de la pensée politique
venus plus tard, tels Raynal et Mably - tout ce système condamnait, dans les
années 1 780, la forme absolue de la monarchie.
Et il y avait plus grave encore : c'est que toute une catégorie des Français était
enflammée de colère contre la forme hiérarchique de cette monarchie, traditionnellement
fondée sur la distinction des trois ordres. Sa position officiellement
subalterne, le tiers état, le troisième ordre, au moins dans sa partie cultivée et
aisée (le haut Tiers) ne l'acceptait plus. Les hommes ne naissaient-ils pas libres
et égaux ? Et ils le demeuraient. Lisez le Contrat. Surtout égaux. Les privilèges
sociaux et fiscaux dont jouissaient le clergé et la noblesse étaient fondés sur des
préjugés absurdes, sur l'histoire - histoire sans queue ni tête, déraisonnable,
illégitime - ils violaient cette égalité conforme à la nature, à la raison, au bonheur
commun. Et il avait fallu que tout récemment leur poids s'accrût encore : depuis
1 780 une réaction aristocratique, consacrée par des Édits révoltants, barre aux
bourgeois ambitieux toutes issues flatteuses dans l'administration, l'Église, la
magistrature et surtout l'armée. « Les chemins sont fermés de toutes parts », se plaint,
dans ses cahiers intimes, le j eune Barnave. Par surcroît la crise financière où se débat...
«
                                                                                                                            «Q
u'est-ce  que le tiers  étal ? » 
le  royaume  est  venue  révéler,  ou plutôt  confirmer  l'égoïsme  des privilégiés,  leur 
incapacité  à  consentir  des sacrifices  à l'in térêt  général.
                                                            
                                                                                
                                                                    
Si  la  bourgeoisie,  pour  assurer le succès  des insurrections  de l'été  1788  («révolte 
no biliaire », dira  Mathiez)  contre le despot isme ministériel  de  Lamoignon  et  Brienne, 
s'est  alliée  aux privilégiés,  aux Parlements,  cette  alliance n'a été qu'éphémère,  en 
vue  d'objectifs  immédiats.
                                                            
                                                                                
                                                                     Les Parlements,  «champions  nécessaires  à mettre  en 
avant »! L'alliance  s'est vite tournée  en aigreurs,  méfiances  et haines  mutuelles.
                                                            
                                                                                
                                                                    
Fin  1788,  début  1789,  c'est  dans  toute  la France  guerre ouverte  entre privilégiés  et 
bourgeois  sur la ques tion  de savoir  qui l'em portera  aux prochains  États  généraux.
                                                            
                                                                                
                                                                    
É tals  généraux  1 Le  gouvernement,  intimidé par la Fronde  de 1788,  avait  fini 
par pro mettre leur convocation  pour mai 89.
                                                            
                                                                                
                                                                    Quels  espoirs,  après l'échec  des  Notables, 
après  l'échec  des Assemblées  provinciales,  ces États  ne suscitaient -ils pas ? Espoirs 
d' ailleurs  les plus  contradictoires.
                                                            
                                                                                
                                                                     De  l'antique  institution,  mise  en sommeil  depuis 
1614  par l'absolutisme,  les privilégiés  attendaient  la consécration  et la mise  à l'abri  de 
leurs  privilèges.
                                                            
                                                                                
                                                                     Tandis que les bourgeois  comptaient  bien que les  États  anéantiraient 
des  distinctions  «gothiques » qui  n'avaient  plus de raison  d'être.
                                                            
                                                                                
                                                                     Ils seraient  surtout, 
ces  États,  aux yeux  du tiers,  un point  de ralliement  d'où l'on pourrait  s'élancer 
plus  avant,  vers une Constitution.
                                                            
                                                                        
                                                                    
Constitution  à l'anglaise,  de style Montesquieu  ; ou  telle  que les Américains  insurgés 
venaient  de s'en  donner  une,  combinant  Montesquieu  et Rousseau ; ou  Constitution 
uniquement  tirée de la raison  nationale  : c' était  à voir.
                                                            
                                                                                
                                                                     Mais  une Constitution.
                                                            
                                                                                
                                                                     Car 
la  France,  soutenaient  les  bourgeois,  n'en  avait  pas.
                                                            
                                                                                
                                                                     Les privilégiés  avaient  beau 
prétendre,  depuis peu et par  tactique,  qu'elle  en avait  une, invoquer  les Lois  fonda
mentales,  les franchises  parlementaire s, ils  étaient  incapables  de tomber  d'accord 
sur  l'exact  contenu  de cette  Constitution  illusoire.
                                                            
                                                                                
                                                                    Comme condition  préalable et 
nécessaire  de tout  progrès réel,  il fallait  que  la  composition  et  l'organisation  des 
É tats  généraux  fussent de nature  à  permettre  ce grand  travail  espéré de « ré géné
ration ».
                                                            
                                                                                
                                                                    Foin  d'États  féodaux  à la.
                                                            
                                                                                
                                                                     mode  de 1614  ! On  veut  des États  bourgeois  à la 
mode  égalitaire  du siècle.
                                                            
                                                                                
                                                                     Des États  où le nombre  des députés  du tiers  soit égal 
à  celui  des deux  autres  ordres réunis  («le  doublem ent»).
                                                            
                                                                                
                                                                    Des  États  où l'on  vote 
non  par ordre  séparé,  ce  qui laisserait  sur  chaque  question le tiers  seul contre  deux, 
mais  par tête tous  ordres  réunis,  ce  qui donnerait  au tiers  doublé  une forte  chance 
de  faire  triompher  ses vues.
                                                            
                                                                                
                                                                    
Guerre  ouverte  donc, et qui  est surtout  une rageuse  guerre  de  plume.
                                                            
                                                                                
                                                                    Un flot  de 
brochures,  pamphlets,  libelles, imprudemm ent encouragés  par le gouvernement 
emba rrassé  et qui  souh aite  s'éclairer,  inonde  «la  Nation ».
                                                            
                                                                                
                                                                    Telle  est l'exp ression 
qu' ont  maintenant  à la  bouche  tous les gens  cultivés  : là  où,  sous  Louis  XIV, on eût 
dit.
                                                                                                                    »
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- TIERS LIVRE DES FAICTS ET DICTS HEROÏQUES DU NOBLE PANTAGRUEL de François Rabelais (résumé)
 
    
     
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                             
                