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Résumé de « La modification » de Butor

Publié le 23/01/2020

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souvent que par les yeux d’un des héros ou par ceux d’un narrateur qui est lui-même un personnage romanesque. Henriette Delmont n’est peut-être pas aussi rancie et affreuse que Léon Delmont nous le dit, et en revanche Cécile pas aussi merveilleuse qu’il se le figure. Nous retrouvons l’éternel problème de la distance entre le point de vue de l’auteur, qui sait tout, ou qui peut, s’il le veut, tout savoir de ses personnages, et le point de vue des personnages eux-mêmes qui se voient les uns les autres déformés par leurs passions. D’une certaine manière La recherche du temps perdu de Proust est une perpétuelle contestation des portraits qu’elle contient : l’image que nous nous faisions de Swann, ou de Françoise, ou de Mme Verdurin doit être sans cesse remplacée par une autre, dont nous soupçonnons qu’elle n’est pas plus vraie que la précédente. Par un procédé qui est loin d’être propre à Butor, ce sont les adjectifs qualificatifs qui alertent le lecteur et suscitent ses doutes. Il ne s’agit pas tant des qualifications péjoratives appliquées à Henriette, que des qualifications élogieuses que fait naître Cécile. Henriette n’est d’ailleurs qualifiée directement que de pauvre (p. 38, 178), de malheureuse (p. 43); c’est par la bande qu’Henriette est jugée, ce sont ses traits qui sont « tirés, soucieux, soupçonneux » (p. 18), c’est sa politique qui est « timorée, mesquine » (p. 82). Il arrive aussi que Cécile soit exaltée indirectement : Léon Delmont nous parle de son « superbe amour » (p. 55) ou « d’une merveilleuse vie d’aventure » (ibid.J, mais toute précaution sera abolie page 163 où nous lisons :« Ne suis-je donc pas dans ce train, en route vers Cécile merveilleuse ? » La banalité de l’adjectif, et sa valeur hyperbolique le rendent suspect. Si l’on remarque en outre que la jeune femme du compartiment, que Léon Delmont appelle Agnès, est dite « gracieuse » (p. 30), « belle » (p. 260), que l’Italienne inconnue a un « admirable dos » (p. 256) et un « admirable visage » (ibid.)s nous savons que ce n’est pas l’auteur qui parle, mais Léon Delmont. Et cependant, en dessous, par l’ironie perceptible, nous entendons la voix de Butor qui se moque de son personnage; Le cas de « Cécile merveilleuse » est, remar-quons-le en passant, encore plus complexe, car, à ce moment, Léon Delmont, malgré ses efforts, ne croit plus que Cécile soit merveilleuse : il s’est avoué (p. ni) que le dernier sourire de Cécile était « aigre » et qu’il se tranformera en sar

Delmont trouve dangereux ce « brassage et remâchage de souvenirs », et à la page 160, en constatant qu’il lui reste encore plus de douze heures à passer dans ce compartiment, il se demande ce que va devenir « cette si belle décision » pendant tout ce temps. Revient le terrifiant problème du retour mardi auprès d’Henriette; en imaginant ce qu’il lui dira, lé malheureux s’aperçoit qu’il parle comme s’il avait renoncé à Cécile (p. 161-163). Malgré ses efforts il ne peut s’empêcher de se rappeler un voyage que Cécile a fait à Paris, l’an passé, voyage désastreux car les deux femmes, ayant fait connaissance, n’ont pas manqué d’avoir de la sympathie l’une pour l’autre, par-dessus la tête de leur mari et amant (p. 183-188); c’est là une situation de vaudeville si ridicule que Léon Delmont se demande à la page 189 : « Je ne sais plus quoi faire; je ne sais plus ce que je fais ici. » Et nous voyons surgir l’idée qui sera déterminante : « Si elle vient à Paris, je la perds. » Le dîner au wagon-restaurant rend à notre homme un peu de courage (p. 195 sqq.). Mais aussitôt il se représente avec horreur ce que sera la vie à Paris avec Cécile (p. 203), et comme il sera impossible d’obtenir qu’elle renonce d’elle-même avenir (ibid.),le mieux sera de lui dire demain qu’il arrivait pour lui annoncer la bonne nouvelle, et « qu’au dernier moment tout s’était effondré » (p. 204), mais que ce n’était que partie remise. Pourtant ce mensonge ne serait pas bien honnête; donc lundi soir avant de la quitter, il faudra lui dire qu’il ne souhaite plus la ramener à Paris (p. 239-241). Et alors, comment pourra-t-elle comprendre ce revirement (p. 241243)? Ne vaudrait-il pas mieux tout lui dire en arrivant à Rome (p. 244) ? Ce serait empoisonner ces trois jours auprès d’elle, sans l’amener davantage à comprendre. Enfin Léon Delmont trouve la seule solution : il n’ira pas surprendre Cécile et repartira lundi soir pour Paris sans l’avoir vue (p. 245-246). On devine que leur liaison ne durera plus très longtemps parce que Cécile ne supporte plus qu’avec peine cette situation fausse. Léon Delmont se promet de revenir à Rome avec Henriette (p. 282).

Quittons les métaphores pour le sens propre des mots : il est un état de l’eau qui est répugnant, c’est l’humidité; la sueur « presque sèche » (p. 236), le chocolat qui fond entre les mains d’un enfant (p. 106); sans commentaire, mais ce n’en est sans doute que plus probant, Léon Delmont note que, coup sur coup, en arrivant chez lui, il voit « Henriette arriver en s’essuyant les mains à son tablier gris », puis Thomas qui essuie « subrepticement ses mains sur sa culotte de velours à côtes avec le geste de sa mère » (p. 79); on soupçonne alors que, lorsqu’il voit Cécile, à Rome, se retourner « en s’essuyant les mains avec un torchon à raies de trois couleurs » (p. 174), le pauvre homme perçoit un écho désagréable de la scène parisienne, quelque gai que soit un torchon de trois couleurs par comparaison avec une blouse grise. Et si Léon Delmont songe que son départ matinal l’a obligé à emporter dans sa valise son « blaireau encore humide » (p. 28), c’est bien la preuve d’un certain écœurement, de mauvais augure pour ce voyage. C’est un cauchemar de rêver du « suintement » sur les parois de la maison de Néron, des « taches vertes visqueuses » (p. 255). Quant à l’adjectif « gluant », il en vient à signifier seulement couvert de manière à faire horreur (p. 203).

• Transparence et opacité

Cependant, c’est dans la transparence de l’eau à la lumière et dans son opacité que gisent les bienfaits et les méfaits de l’eau. La transparence fait la principale vertu de la nouvelle gare Termini à Rome (p. 113); au contraire, l’encre symbolise les souffrances du mauvais rêve (p. 201). Même si l’eau brille par reflet, elle est source de joie : la neige, quand Léon Delmont imagine son bonheur futur, sera « illuminée », « et le compartiment sera envahi par la réverbération, par la résonance claire et fraîche de la lumière, baignant de solennelle gaieté tous les voyageurs » (p. 130-131); et lors du voyage de noces, « les averses vous précédant, faisant briller toits et trottoirs, les prairies éblouissantes sur les montagnes » (p. 228) restent dans la mémoire de Léon Delmont comme un souvenir de jeunesse et de bonheur.

Mais il n’est quasi pas de page du roman où la pluie n’obscurcisse le ciel et les vitres du wagon, où la brume ne noie les villes et les campagnes, parallèlement à la tristesse

« quoi; Léon Delmont a bien acheté un livre en traversant la gare, sans même regarder le titre, mais il a si peu envie de lire qu'il descendra du wagon à l'arrivée sans l'avoir ouvert.

Deux ans auparavant, en se rendant à Rome où il va une fois par mois environ, il a rencontré dans le wagon-restaurant une jeune veuve mi-italienne, mi-française, Cécile Darcella, qui travaille comme secrétaire à l'ambassade de France à Rome.

Cette rencontre a eu lieu au moment où Léon et Henriette, lassés par dix-huit ans de vie conjugale bour­ geoise, ont tenté de renouer, précisément grâce à un voyage à Rome où ils étaient venus tout de suite après leur mariage.

Cet essai a tristement échoué.

Bref, voici deux ans que Cécile est la maîtresse de Léon; amours emrecoupées car à chaque voyage Léon ne passe à Rome qu'un jour ou deux, et furtives car Scabelli est soucieux des bonnes mœurs de ses employés supérieurs.

En ce mois de novembre 1955, Léon, sur les instances de Cécile, vient de lui trouver du travail à Paris; il compte rompre, sans divorcer, avec Henriette et vivre avec Cécile.

C'est pour lui annoncer cette bonne nouvelle et orga­ niser sa venue à Paris qu'il part pour rejoindre en cachette sa maîtresse.

Tandis que le train avance, Léon Delmont tantôt 'évoque ses souvenirs, tantôt anticipe, imaginant son arrivée, la surprise de Cécile, son séjour auprès d'elle jus­ qu'au lundi suivant, puis leur vie commune quand elle sera établie en France.

Cependant au fur et à mesure que croît la fatigue de ce voyage inconfortable, et aussi que se rappro­ che le moment de l'échéance où, en apprenant à Cécile pour­ quoi il l'a rejointe, il coupera les ponts derrière lui, Léon Delmont voit s'enfler les obstacles matériels et la crainte qu'à Paris Cécile ne perde son charme, tout mêlé pour lui au charme de la Ville éternelle.

Le processus de la modifi­ cation commence à la page 136, deux pages donc avant le milieu du volume.

Auparavant nous avions bien rencontré l'évocation de quelques moments pénibles entre Léon et Cécile, mais justement leur vie commune à Paris arrangerait tout.

Les phases de l'abandon par Léon Delmont de son projet initial sont analysées avec une belle subtilité psycho­ logique, en sorte que les 135 premières pages peuvent passer pour une longue exposition.

La première difficulté consiste à savoir s'il vaudra ·mieux annoncer la rupture à Henriette dès le mardi 19 ou plus tard (p.

136-137).

Dès la page 157, - 7 -. »

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