Voyage au bout de la nuit de Céline
Publié le 05/04/2013
Extrait du document
L'éditeur Denoël trouva un soir sur sa table un manuscrit d 'un auteur inconnu, enveloppé d'un papier journal sorti d'une poubelle ! Il commença à lire et y passa la nuit, émerveillé. Ce livre que Gallimard allait refuser n'était autre que le Voyage. Riche gisement d'images poétiques, le temps dans le Voyage est à la fois circulaire, diabolique récurrence, et linéaire, comme tous ces fleuves qui semblent s'écouler vers une mer unique, mythique.
«
L'A mérique « •• • une torture archi tecturale gigantesque,
inexpiable.
»
EXTRAITS
Crépuscule africain
Les crép uscules dans cet enfe r africain se
révélaient fameux.
On n'y coupait pas.
Tragiques chaque fois comme d'énormes
assassinats
du soleil.
Un immense chiqué.
Seulement c'était
beaucoup d' admi
ration pour un seul
homme.
Le ciel pen
dant une heure para
dait tout giclé
d'un
bout à l'autre
d'écar late en délire ,
et puis
le vert écla
tait au milieu des
arbres et montait
du
sol en traînées trem
blantes jusqu 'a ux
premières étoiles .
Après ça
le gris re
prenait tout l'horizon
et puis
le rouge en
core, mais alors fati
gué
le rouge et pas
pour longtemps.
Ça
se
terminait ainsi.
Toutes les couleurs retombaient en lam
beaux , avachies sur
la forêt comme des
oripeaux après
la centième.
Chaque jour
sur
l~s six heures exactement que ça se
passait .
Bardamu à New York
Mon hôtel me suffisait.
Tombe gigantesque
et odieusement animée.
Peut- ê
tre qu'aux habitués ça ne l eur faisait
pas du tout le même effet qu'à moi ces
entassements
de matière et d'alvéoles com
merciaux ? Ces organisations de mem
brures à l'infini ?
Pour eux c'était la sécu
rité peut-être tout ce déluge en suspens
tandis que pour moi
ce n'était rien qu'un
abominable système de contraintes, en
briques , en couloirs, en verrous , en gui
chets, une torture architecturale gigan
tesque , inexpiable .
Philosopher n'est qu'une autre façon
d'avoir peur et ne porte guère qu'aux
lâches simulacres.
La comédie de la vie
La paresse c'est presque aussi fort que la
vie.
La banalité de la farce nouvelle qu'il
faut jouer vous écrase et il vous faut
somme toute encore plus de lâcheté que de
courage pour recommencer.
C'est cela
l
'ex il, l 'étranger , ce tte inexorable obser
vation de l'existence telle
qu'elle est vraiment pendant
ces longues heures lucides,
exce ptionnelles dans
la trame
du temps humain , où les habi
tudes
du pays précédent vous
abandonnent , sans que les
autres, les nouvelles, vous
aient encore suffisamment
abruti.
Après la mort de Robinson
Ils montent vers le pont.
Après ils disparaissent peu à
peu dans la plaine et il en
v ient toujours des autres, des
hommes, des plus pâles encore,
à mesure
que
le jour monte de partout.
A quoi qu'ils
pensent? Le bistrot voulait tout connaître
du drame,
des cir
constances , qu 'on lui raconte tout.
Vaudescal,
qu'il s'appelait le patron, un
gars
du Nord bien propre.
Gustave lui
en a raconté alors tant et plus.
Il nous rabâchait les circonstances Gus
tave ,
c'é tait pas ça pourtant qui était im
portant .
(.
.
.)
De loin , le remorqueur a sifflé ; son appel
a
passé le pont, encore une arche , une
autre, l'écluse , un autre
pont , loin , plus
loin ...
Il appelait vers lui toutes les pé
niches
du fleuve toutes, et la ville entière,
et
le cie l et la campagne et nous, tout qu'il
emmenait,
la Seine aussi, tout, qu'on n'en
parle plus.
Gallimard, 1981
L'.Amérique « ...
tant de gentillesse
et de rêve Molly m'a fait cadeau dans le cours de ces quelques
mois d 'Amé rique.
»
NOTES DE L'ÉDITEUR
Voyage au bout de la nuit (1932) est la
première œuvre importante du Dr Louis
Ferdinand Destouches, dit Céline .
D
'autre s
s uivront , tels
Mort à crédit, D' un château
l'autre
et Nord, également partiellement
a utobiographiques, mais traduisant, dans
un
style de plus en plus elliptique , une aigreur
croissante vis-à-vis du monde extérieur, aigreur
qui culmine avec l'antisémitisme
paranoïaque
du pamphlet Bagatelle pour un
massac re, qui vaudra après la guerre à
Céline l'ex
il et la prison.
Céline, un auteur
conte sté d'une œuvre incontestée.
presque
sténographique supprimerait à coup
sûr ;
il accentue les effets comme les
impressionnistes
le faisaient sur leurs toiles
pour restituer l'illusion
pren.ière.
Céline présente son style comme le résultat
d 'une déformation volontaire de la langue
parlée afin
qu'à la lecture celle-ci retrouve
toute la vivacité qu'une simple transcription
Photos (a) co llectio n Lau sat /Exp lor er ; (b, c, d, e) SN/ Sipa Icone, illustrations de Moretti, Club de !'Honnête Homme.
© MCMXC I, ProLitt eris, Zuri ch
« Il a su tourner ses phrases de telle sorte
qu'on n'entende plus la voix de l'auteur ni
celle du narrateur , mais la voix du lecteur.
»
-Bernard Lalande, Voyage au bout de la
nuit, Hatier
CÉLINE02.
»
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