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LA BELLE ÉPOQUE Gastronomique de 1900 à 1909 : Histoire

Publié le 27/12/2018

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histoire

1900. le 22 septembre: à l'occasion de l’Exposition universelle. le président de la République Émile Loubet convie les maires de France à un immense banquet dans la capitale. Les prestations de Potel et Chabot furent-elles ce jour-là à la dimension de lcvénement? Peu importe, à la vérité: ce qui compte, c’est cette image, les sept kilomètres de tréteaux et de nappes disposés dans les Tuileries, le va-et-vient des serveurs à bicyclette, l’automobile du patron promenant l’œil du maître de tablée en tablée... Quel autre pays que la France pour pareille manifestation, et à quel autre moment de son histoire? Une nation est là. qui affiche une unité frappée aux armes singulières de l’assiette, de la fourchette et du verre, qui jouit, en cette veille du nouveau siècle, d'une indivisibilité garantie par la plus fondamentale des religions (entendez des manières d’être ensemble), à savoir: la Table.

 

Le boire et le manger sont, en ces annécs-là. en passe de trouver ainsi leur patrie et leur culture. Certes, on n’a pas attendu la Belle Époque pour avoir des cuisiniers de notoriété mondiale (ah! Carême...), ni pour s’enorgueillir d’une restauration fameuse, ni même pour se prévaloir d’une nouvelle race d’écrivains, les critiques des choses de bouche (n'est-ce pas, Brillat-Savarin?). Mais c'est sans doute au cours de cette décennie particulièrement que tout cela se fond dans une conscience collective, et devient pour la première fois affaire d'unanimité nationale.

 

Un rituel bourgeois

 

Longtemps il y eut, célèbre, ce crayon de Caran d’Ache: le repas du dimanche selon la France bourgeoise, véritable rituel des temps modernes. À date et heure fixes, partout, quoi qu'il arrive, que la famille se réunisse autour d'une table qui soit la même : sur la nappe damassée, un rôti qui fume, un vieux bourgogne sauvé des sinistres années du phylloxéra — ordre, immuabilité. Et silence : car on mange contre la désunion, on mange ensemble pour manifester et pour savoir qu’on est ensemble, aussi ne parle-t-on pas politique à table. «Surtout, n’en parlons pas!», légendait Caran d’Ache. en pleine affaire Dreyfus. D’ailleurs, de quoi pourrait-on parler, sinon de ce qu’on est en train de manger? Sujet assez vaste et consensuel pour suffire à la célébration dominicale.

 

Cette France-là se veut pérenne, transhistorique ; et en effet elle va l'être. Aussi bien, sans ses exclusives et tabous, il n’y aurait pas eu tout simplement de discours sur le boire et le manger, de gastronomie. Davantage: elle ne le sait pas encore, mais c’est pour elle que le Bibendum Michelin déjà se concocte. Une, deux décennies plus tard, le Bonhomme Pneu et le Saint Livre rouge né en 1900 seront prêts pour servir de signe de reconnaissance à une nation qui se risquera à bouger, mais seulement avec une assurance qu’on lui aura fournie contre tous risques d’accidents de route et de bouche. Elle ne le sait pas non plus, la France 1900, mais c'est pour cinquante, soixante ans, qu’elle met en place, avec scs appétits, rien de moins que les repères du temps national et de l’espace social, repères que deux guerres mondiales ne détraqueront pas vraiment. Car ce n’est pas seulement la cène du dimanche, mais le rite du maigre du vendredi, les chocolats du Nouvel An. les galettes de l'Épiphanie, les navettes de la Chandeleur. les massepains des Rameaux, les œufs de Pâques, autant d'occasions de faire partout des «Temples de la Douceur» les lieux de passage obligés, et toujours des échanges de famille à famille, visites faites, visites rendues, selon un subtil protocole, les pratiques d'une civilité autant gourmande que réglée.

 

AUX FOURNEAUX

 

On comprend qu'au sein des plus aisées d’entre les familles le titulaire des fourneaux ait place à part, et donc privilège, parmi la domesticité. Le cuisinier de grande maison, la cuisinière de maison bourgeoise peuvent bien nourrir l'un envers l'autre une inimitié socio-sexuelle à peu près totale. Ils ont en commun une même autorité d’«aristocrates». À eux l'économat, l'exigence de la quantité, l’intransigeance sur le produit, la haute main sur la tradition. «Xénophobes» l’un et l’autre, ils sont pleins de commisération pour qui ne sait plus ce

LA BELLE ÉPOQUE GASTRONOMIQUE.

 

Le repas bourgeois: un moment privilégié, une célébration avec son décor et son rituel immuables.

 

© Collection Viollet

que manger veut dire, pleins d’hostilité pour tout ce qui ressemble à un pudding étranger. Gardiens sur le front de la barbarie, maîtres à bord dans l’espace familial : divinités auxquelles est dû le meilleur. Ces gens sont des gageures pour leurs maîtres et maîtresses: les irriter, les décevoir, est un drame, se faire quitter par eux est une tragédie... Il n'est pas dit, pourtant, que tel ou tel maître ne puisse se montrer digne d'eux, mais c'est alors par une science de la terre, une expérience des voluptés qui ne sont pas données au commun des mortels. Ainsi Monet qui, pour sa cuisine de Giverny, aux couleurs acides, déjà agaçantes, harcèle son jardinier, sa cuisinière: qui surveille la cueillette des légumes pour qu'elle soit faite en leur primeur exacte, qui obsède les marchés pour une barbue au goût puissant, pour un de ces fruits étranges nommés bananes, qui déniche des graines toujours plus rares et des noms d’espèces toujours plus fastueux, bref, qui trame pour le repas de chaque jour la même sensualité épanouie que celle qui règne sur ses toiles — et que celle aussi d'un jeune chien fou de femme appelée Colette, qui n'en finira plus de commémorer le matin gourmand de sa vie.

histoire

« LA BELLE ÉPOQUE GASTRONOMIQUE.

Dtms les coulisses des mais ons bourgeoises, les crtisi11ières officiem.

© Ragu - Viol/tt LA BELLE ÉPOQUE GASTRONOMIQUE.

Tourisme et gastro11omie: rme associati011 d'arenir promue par Micheli11.

© Miclreli11 1991 parnasse juste conquis par l'immobilier, que Baty surtout offre tou­ jours le même sancerre, et que surtout les petites Vigourelles, les filles du Vigouroux de Campagne-Première, ne cessent jamais d'être char­ mantes.

Breton, il faut qu'on puisse trouver La venue, sitôt sort_i de la gare Montparnasse ; Alsacien, il faut qu'on puisse entrer à l'Ecu de France au débarqué de la gare de l'Est: retrouver le pays ct les «pays,., dans des brasseries qui ne se moquent pas du monde.

Il faut aux moins fortunés qui prétendent malgré tout se régaler d'un baltha­ zar un tissu du même ordre, fait de pratiques de cœur autant que de plaisirs de bouche: un «chand d'vin», un «bouillon», où même le désagrément fait légende sympathique, complicité.

Devinette: où 12 écrevisses font-elles 22 pinces? Mais chez Duval, bien sûr, car Du­ val seul garde deux pinces pour la bisque du lendemain ...

D Es NOMS D'AVENIR Pourtant cette France change.

Elle sc sort d'elle-même, avec timidité, précaution.

Les métissages ont commencé: les dames ont pris depuis dix ans l'habitude du five o'clock et des salons de thé; vers les Boulevards les bars américains prennent pied, avec leurs mixtures sulfureuses.

Le modernisme avance.

Le gaz a entamé sa conquête irrésistible: en alimentant un nombre chaque jour grandis­ sant de fourneaux, il est en voie de changer les conditions mêmes de la cuisine.

Le sucre en morceaux a seulemenl cinq ans d'âge industriel, mais un bel avenir devant lui, la végétaline balbutie dès 1901, mais promet ...

Bref, on est dans une mutation, avec ses manqués et ses succès.

Manquée, l'occasion de la grande conserverie: la France, mauvaise fille qui ne se souvient pas d'Appert, ne croit pas vraiment à celle nouvelle relation à l'aliment.

Mais réussies, telles reconquêtes ou explorations de marchés.

Le biscuit était anglais, il sera français.

Et voici l'invention géniale du Petit Beurre: beurre breton, œuf vendéen, sucre nantais.

L'hygiène et la diététique entendent déjà dire leur mot: bonne chance au cachou d'un pharmacien toulousain, M.

Lajaunie, à la petite boîte ronde (dont Leonetlo Cappiello fait la réclame.

dès 1902)! Bon vent au french coffee du temps de pénurie, à la chicorée Leroux, partie pour une carrière mondiale, et bientôt bienvenue au yogourt qui sera signé Danone! Aux portes de la grande consomma­ tion, la France frappe, et fort.

La macération fabuleuse que fut le Grand Marnier a donné des idées, et c'est, quelques années avant le siècle, une véritable explosion de nouveaux spiritueux, Cusenier, Saint-Raphaël, la Suze, dans un marché survolté par «la fée verte», l'absinthe maléfique et magique, pas encore interdite.

Alcools, dit le poète.

Ivresse, oui.

Voyez les cabriolets de Gervais qui volent dans Paris pour porter partout le Petit Suisse, la célèbre petite fille aux LA BELLE ÉPOQUE GASTRONOMIQUE.

Plus légère sa11s dowe, la c1tisi11e bourgeoise reste 11 éamnoi11s opuleme conune en témoigne ce memt de 1906.

@ Bibliotlztque nationale · Paris LA BELLE ÉPOQUE G A ST RO NOMIQUE .

Le Biscu it Nantais offre un exe mpl e réussi du passage de la pûtisserie arti.stmale à la production alimemaire industrielle.

© Bibliothèque nationale -Paris.

nattes ct qui propulse la maison Menicr au sommet, voyez en habit bleu et blanc à damier le bon géant rabelaisien qui n'attend plus que son nom de baptême: le père Lustucru.

L E TEMPS NOUVEAU On dirait à la fois un reste d'inquiétude et le début d'une précarité.

Si la France mange plus, les grandes famines de l'histoire ne sont pas si loin, et nul n'est encore coupé de son ascendance rurale au po int de pouvoir oublier que manger égale d'abord vivre, quelquefois survivre, plutôt que jouir.

«Si t'as faim, mange ton poing.» Hors de Paris, il y a la part du pauvre au bout de la table, et le matin de Noël ce faste pour enfants, une orange.

Ce n'est pas parce qu'il y a beaucoup à manger que le corps perd sa mémoire.

Et les corps de cette première décennie du siècle souvent ne mangent pas, ils bâfrent: ils englou­ tissent de ce pain trop salé qui caractérise la France des mauvaises farines, ou, vite, trop, d'un plat auquel il n'est demandé que d'être toujours du pareil au même.

Aussi n'est-ce que dans le mythe bourgeois que continuent les fastes de l'Empire: en vérité, quelque chose de nouveau est appa­ ru, irréversible, moderne, la vitesse.

La Cuisine en dix minw es , ce sera pour 1930, mais déjà les compagnies du gaz proposent des cahiers de recettes rapides, en guise de réclame.

On entre dans l'âge des hommes ct des femmes pressés, instables, nerveux.

Ils font Paris beau, Paris se fait beau pour eux, les habitués des Mondanités du Gaulois, Paris et ses annexes, Nice, Deauville, Vichy.

Une génération de grands restau­ rants double celle qui est sur le déclin.

L'argent, qui va à l'argent, ne sc trompe pas: Lebaudy, le sucre, vient de prendre des parts dans le tout neuf Maxim's.

Il y a Foyot, Voisin, le café Anglais, et aussi Larue, L edoye n, Lapérouse.

À ces femmes qui sortent, à ces têtes qui tournent, comment les dedans immuables de la cuisine bourgeoise pourraient-ils encore convenir? Comment la lenteur du tempo, la richesse des produits de la très grande cuisine de tradition pourraient­ elles ne pas gêner ces corps qui ne posent pas, qui prennent juste uo peu de souffle avant une nuit de tango rue de Lappe ...

Ali-Bab a beau faire: l'immense lièvre à la royale devient un anachronisme.

Il faut un allègement, une allégresse, une rupture exotique.

Tout est russe, heu­ reusement: russe, le service, qui tue à tout jamais le cérémonieux service dit à la française, russe le nougat, russe la salade, les hors­ d'œuvre à la russe eux aussi.

Et même, latino-russe, le surnom-provo­ cation (. »

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