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La Révolution et l'Empire

Publié le 27/02/2008

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De ce que la Révolution française a des causes, il ne s'ensuit pas que son histoire tient tout entière dans ces causes. Il est vrai que, d'un certain point de vue, on peut conceptualiser le bilan de la Révolution à partir de l'analyse de ses causes. On peut écrire par exemple que la crise de la société d'ancien régime débouche sur un nouveau type d'organisation sociale et politique ; ou encore que la société bourgeoise est née sur les ruines de la société nobiliaire. L'ennui, avec ce type d'interprétation, ne vient pas seulement de ce qu'il est largement tautologique, enfermant les effets dans les causes ; c'est aussi qu'il défie toute chronologie du processus révolutionnaire. La substitution d'une société bourgeoise (au sens de : juridiquement égalitaire) à une société nobiliaire (au sens de : fondée sur le privilège des individus et des groupes) peut en effet être considérée comme acquise à des échéances fort différentes. Dès 1789, par exemple, après la Déclaration et le 4 août. Ou en l'an II, avec la dictature égalitariste de la Terreur. Ou dans les années 1800, avec la fondation de l'État napoléonien et le code civil. On peut même s'amuser à déplacer l'échéance bien au-delà et à imaginer par exemple la Révolution française sous la forme d'un processus grossièrement séculaire, 1789-1880 : car seule la victoire décisive des républicains sur les monarchistes, au commencement de la Troisième République, règle définitivement le conflit qui s'est noué à la fin du XVIIIe siècle entre l'ancienne et la nouvelle société.       

« De ce que la Révolution française a des causes, il ne s'ensuit pas que son histoire tient tout entière dans ces causes.

Il est vrai que, d'un certainpoint de vue, on peut conceptualiser le bilan de la Révolution à partir de l'analyse de ses causes.

On peut écrire par exemple que la crise de lasociété d'ancien régime débouche sur un nouveau type d'organisation sociale et politique ; ou encore que la société bourgeoise est née sur lesruines de la société nobiliaire.

L'ennui, avec ce type d'interprétation, ne vient pas seulement de ce qu'il est largement tautologique, enfermant leseffets dans les causes ; c'est aussi qu'il défie toute chronologie du processus révolutionnaire.

La substitution d'une société bourgeoise (au sensde : juridiquement égalitaire) à une société nobiliaire (au sens de : fondée sur le privilège des individus et des groupes) peut en effet êtreconsidérée comme acquise à des échéances fort différentes.

Dès 1789, par exemple, après la Déclaration et le 4 août.

Ou en l'an II, avec la dictatureégalitariste de la Terreur .

Ou dans les années 1800, avec la fondation de l'État napoléonien et le code civil .

On peut même s'amuser à déplacer l'échéance bien au-delà et à imaginer par exemple la Révolution française sous la forme d'un processus grossièrement séculaire, 1789-1880 : carseule la victoire décisive des républicains sur les monarchistes, au commencement de la Troisième République, règle définitivement le conflit quis'est noué à la fin du XVIIIe siècle entre l'ancienne et la nouvelle société.

Ces incertitudes chronologiques ont l'intérêt de souligner le fait que la Révolution ne peut être réduite à un simpleschéma du type causal.

Elle ne sort pas tout armée d'une inévitable crise des structures ; elle ne tient pas toutuniment dans la solution de cette crise de structures.

Elle est, quand elle éclate, l'accident, rencontre improbable deséries causales qui n'auraient pas du se croiser ; et puis, une fois qu'elle a paru sur la scène, elle constitue unenouvelle logique de l'histoire, en bouleversant l'équilibre des forces.

Le débat sur les causes de la Révolutionfrançaise gagnerait en clarté si on en dissociait l'analyse du phénomène révolutionnaire lui-même, une fois qu'il a priscorps.

En effet, pour peu qu'on l'étudie comme un déroulement d'événements, la Révolution n'obéit pas à la logique bureaucratique des effets et descauses.

Elle est invention perpétuelle, création permanente ; elle met en mouvement tant de nouvelles forces, elle en détruit tant de traditionnellesque les mécanismes de l'histoire elle-même s'en trouvent transformés.

Dans ce dialogue entre les sociétés et leurs États qui constitue la trame detoute histoire, tout, par la Révolution, bascule contre l'État, du côté de la société.

Car elle mobilise l'une et désarme l'autre : situation inverse decelle des " périodes calmes ".

Dès 1787, le royaume de France est une société sans État.

Louis XVI P2030 continue à réunir autour de sa personne le consensus de ses sujets mais, derrière cette façade de tradition, c'est la débandade dans les murs : l'autorité royale, nominalement respectée,n'enveloppe plus dans sa légitimité celle de ses agents.

Le roi a de mauvais ministres, des intendants néfastes : autre manière de dire que la sociétécivile, où l'exemple circule de haut en bas, se délivre des pouvoirs de l'État, en même temps que des règles du jeu.

Vient 1789 : du plus noble des nobles au plus rustique des ruraux, la société civile déploie d'immenses capacitésd'initiative historique, libérées par la disparition des institutions et du pouvoir.

La situation révolutionnaire estprécisément caractérisée par cette vacance où s'engouffrent des forces inédites.

La conscience révolutionnaire estcette illusion de vaincre un État qui déjà n'existe plus : elle est, dès l'origine, une perpétuelle surenchère de l'idéesur l'histoire réelle.

La Révolution substitue aux vieux pouvoirs qui ont sombré la dynamique des désirs collectifslibérés ; le scandale de la répression commence quand cette répression a craqué.

La Révolution est l'espacehistorique qui sépare une institution d'une institution, un pouvoir d'un autre pouvoir.

C'est ce qu'on appelle la liberté,ou le désordre.

Dans cette dérive imprévisible et accélérée de l'histoire, c'est donc l'envers de la société traditionnelle qui vient aujour, et qui occupe la scène.

L'ancien régime était aux mains du roi, la Révolution est la geste du peuple.

L'anciennesociété était celle du privilège, la Révolution fonde l'égalité.

L'ancienne France était un royaume de sujets, lanouvelle une nation de citoyens.

La Révolution n'est rien si elle n'est une idéologie de la rupture radicale avec lepassé, un formidable dynamisme culturel de l'égalité.

Tout, désormais, économie, société, politique, plie sous cettepoussée de l'idéologie et des militants qui en sont porteurs ; toute digue, toute institution est provisoire devant cetorrent qui ne cesse d'avancer.

Si j'emploie ici le terme d'idéologie, c'est pour désigner deux choses : d'abord, que tous les problèmes intellectuels ou moraux sont devenuspolitiques, et qu'il n'y a pas de malheur humain qui ne soit justiciable d'une solution politique.

Ensuite, que les militants révolutionnaires ontidentifié leur vie à la défense de leurs idées, et qu'il y a de ce double fait une intolérance essentielle de l'idéologie révolutionnaire, comme de l'idéo-logie religieuse à ses beaux jours.

Si la politique est devenue le domaine du bien et du mal, si c'est elle qui trace les lignes du partage entre lesbons et les méchants, les patriotes et les traîtres, nous sommes dans un univers historique dont la dynamique est complètement nouvelle.

CommeMarx H033 l'a bien vu, dans ses œuvres de jeunesse, la Révolution incarne l'illusion de la politique : elle transforme du subi en conscient.

Elle inaugure un monde où tout changement de la société est imputable à des forces connues, répertoriées, animées ; comme la pensée mythique, elleinvestit l'univers objectif de volontés subjectives c'est-à-dire, comme on voudra, de respon-sables, ou de boucs émissaires.

L'action n'y rencontreplus de limites mais seulement des adversaires : on reconnaît à ce trait le nouvel univers politique créé par l'explosion révolutionnaire.

Libérée, provisoirement, du ciment de l'État et de la contrainte du pouvoir, la société révolutionnaire se recomposeainsi au niveau de l'idéologie.

De ce point de vue, l'histoire culturelle du XVIIIe siècle français a disposé les élémentsde cette vaste substitution à deux niveaux différents.

La philosophie des lumières a préparé les esprits à voir dans lapolitique, au sens le plus large du terme, le lieu où se dénouent les conflits et les malheurs de l'humanité.

Ledomaine de la raison, limité à l'époque classique par l'autorité du divin, s'est étendu à l'ensemble des phénomèneshumains, sociétés comprises ; cette extension s'est faite dans un sens empirique, par le développement del'observation sociale, mais aussi dans un sens normatif, par la passion d'enraciner le social dans le rationnel.L'expulsion du sacré a été payée du prix des opérations impossibles : le retour du sacré sous sa forme" rationalisée ", par l'investissement sur le politique de ce qui avait été jusque-là du domaine du religieux.

D'ailleurs, un phénomène d'ordre social et politique a contribué à cette évolution.

La société française du XVIIIe siècle est à la recherche. »

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