Le servage
Publié le 11/11/2018
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La diffusion du christianisme n'y est pas étrangère. Certes, ce dernier n'attaque pas de front l'esclavage : il ne le condamne pas explicitement; de plus, l'Église utilise la main-d'œuvre servile dans ses propres domaines. Toutefois, en proclamant l’égalité de tous les êtres humains devant Dieu, le christianisme fait peu à peu admettre que les esclaves sont eux aussi des personnes et qu’ils détiennent de ce fait certains droits ; ainsi, depuis l’empereur romain Constantin le Grand (306-337), il est interdit, au moins dans les domaines impériaux, de séparer les familles serviles en arrachant les enfants aux parents ou les époux l'un à l'autre. Par ailleurs, l’Église encourage les affranchissements des esclaves (souvent dans les testaments) comme acte de piété.
L'Emercence du servage
La disparition de l'esclavage à l'antique (auquel va se substituer progressivement le servage) s'explique également par des changements d'ordre économique et social.
D’une part, les sources d'approvisionnement en esclaves se tarissent peu à peu. Si la traite continue, en provenance notamment des pays slaves à partir du viie siècle (à tel point que le terme «slave» finit par désigner l'esclave en général), la plupart des esclaves ne font désormais que transiter par l'Europe, car les mondes musulman et byzantin offrent des débouchés plus lucratifs à ce commerce humain.
D'autre part, aux difficultés de renouvellement de la main-d'œuvre servile, il faut aussi ajouter la faiblesse de la circulation monétaire qui, à l'époque, interdit de substituer au travail gratuit de l'esclave celui que pourraient effectuer des travailleurs salariés. Ces différents éléments sont à l'origine d'une profonde modification de la situation économique des non-libres à travers tout l'Occident. Ainsi, dès le début du haut Moyen Âge, les esclaves tendent de plus en plus à vivre dans le cadre d'un grand domaine auquel ils deviennent attachés, où ils possèdent leur propre maison (casa) et où on leur laisse cultiver leur propre lopin de terre. On parle alors de «casement» ou «chasement». Cette attache sera, plus tard, considérée comme un signe d'absence de liberté. Mais, tout au long du haut Moyen Âge, elle est perçue comme l'expression d’un statut très amélioré par rapport à celui des anciens esclaves, une situation qui garantit le pain quotidien et la certitude de ne plus être vendu ou transplanté. L'esclave « chasé » est en effet tenté de produire davantage, car le surplus des revenus qu’il tire de sa parcelle lui revient, une fois les redevances payées.
MATERIELLEMENT TRES LOURD, MORALEMENT INFAMANT
Le terme « servage » provient d'un mot du langage populaire médiéval, «serf», lui-même issu du latin servus qui désignait l'esclave dans l’Antiquité. Comme le soulignait le grand médiéviste Georges Duby, «l'étymologie traduit effectivement la réalité d'une évolution sociale : dans les sociétés de l'Europe occidentale, le servage s'est lentement substitué à l'esclavage entre le viiie et le XIe siècle», c'est-à-dire au cours de ce que l'on appelle le haut Moyen Âge.
DE L'ESCLAVAGE AU SERVAGE
L'héritace romain
La civilisation romaine opère une distinction juridique essentielle entre deux catégories d'individus : les libres et les esclaves Si les premiers relèvent de la loi et des institutions publiques, les seconds sont la propriété privée d’un maître, qui peut se servir d’eux à sa guise, notamment en les revendant. Les esclaves sont ainsi considérés comme des instruments de production parmi d'autres. Les tribus germaniques qui envahissent l'Empire romain dès la fin de l’Antiquité pratiquent elles aussi l'esclavage et vont donc fort bien s'en accommoder.
Le lent recul de l'esclavage
Tout cela explique que l'esclavage soit encore très présent en Europe au début du Moyen Âge. Les textes des temps mérovingiens attestent ainsi le maintien, au sein de grands domaines, de véritables troupeaux d'esclaves chargés de travailler la terre pour le compte de leur maître. À l'époque carolingienne, les mentions de l'esclavage sont toutefois moins nombreuses, surtout dans la partie nord du continent (alors qu'il paraît persister plus fortement en Europe méridionale).
La tendance générale semble ainsi être au fléchissement progressif du nombre des esclaves dans le courant du haut Moyen Âge.
«
fouetté
en public), il faut encore
ajouter d'autres exigences, comme la
«taille à merci"· Cette dernière est
censée être le prix de la protection du
seigneur qui fait une encoche, une
«taille» (d'où le nom de la redevance),
sur un bâton qui est remis à celui qui
s'en est acquitté.
La taille consiste
assez souvent en une fourniture de
denrées (blé, bétail.
..
) et grève
particulièrement les serfs qui sont
réputés « tt1illtlbles et corvét1bles
à merci», c'est-à-dire à l'appréciation
du maître.
Les corvées
Le serf est également soumis aux
corvées.
Ce sont des journées de
travail gratuit dues au maître.
Ces
corvées peuvent aller de plusieurs
jours par semaine à une journée
par mois.
Elles sont de trois types :
• la corvée agricole assure la mise en
valeur de la
ensemencement, abattage du bois,
etc.);
• la corvée de transport consiste à
livrer au seigneur les redevances en
nature qui lui sont dues et à assurer
la mtlnutention au sein de son
domaine;
• enfin, la corv ée de service général
concerne la construction et l'entretien
du chlitttlu.
L'ÉVOLUTION DU SERVAGE
LES FACTEURS D' AMtUORATION
Toutefois, certaines évolutions
viennent améliorer les conditions de
vie du serf et limiter l'exploitation
de son statut.
Ce sont tout d'abord les impératifs de
la morale chrétienne, qui s'imposent
lentement à la conscience collective et
empêchent de traiter tout à fait le serf
comme les autres bêtes du cheptel du
maître.
D'autre part, la coutume (ensemble
de règles non écrites qui régit la vie
de la seigneurie et du village) joue
un rôle essentiel dans l'intégration
du serf au sein de la communauté
Cette coutume fixe le mont11nt des
prestlltions, l'ampleur des ponctions
que le maître peut opérer sur le travail
servile; elle donne aussi au serf des
garanties en matière judiciaire, car
c'est en fonction de cette coutume que
la cour privée où sont jugés les serfs
rend ses décisions.
ÉLARGISSEMENT DU SERVAGE
En s'améliorant, la situation des
serfs tend à rejoindre celle de la
ptlysDnnerit libre qui, elle, voit
parallèlement son statut se détériorer.
!:antique distinction entre liberté et
servitude s'estompe, et les contours
du groupe social des serfs deviennent
de plus en plus flous.
Ce dernier tend
progressivement à englober et à
confondre avec les descendants
d'esclaves des femmes et des hommes
d'ascendance libre, mais qui sont
passés sous la domination d'un
puissant.
Beaucoup de ces ex-libres
ont souvent dû renoncer à leur
indépendance sous la pression d'un
seigneur local ou, contraints par la
misère, pour recevoir une aide
économique, un secours temporaire
ou la concession d'une terre en
échange de leur liberté.
On retrouve des traces de ce
phénomène d'entrée en dépendance
dès l'époque mérovingienne.
Dans le
contexte d'insécurité économique et
sociale des débuts du haut Moyen Âge,
d'anciens hommes libres abandonnent leur
liberté aux propriétaires de grands
domaines en échange de protection et
d'une terre à cultiver, moyennant
redevance.
Plus tard, aux temps carolingiens,
nombreux sont ceux en quête d'une
protection qui cherchent à se
«recommander», à se donner à un
plus puissant.
D'autres encore, petits propriétaires
libres, donnent leur terre à un
sanctuaire, à un monastère, celui-ci
la leur rétrocédant moyennant le
paiement d'un cens.
Ce mouvement d'entrée en
dépendance va s'accentuer
particulièrement au cours du Xl' et
du xu• siècle :de nombreuses
catégories de paysans, précédemment
plus ou moins libres, viennent se
fondre dans un statut très analogue
à celui des serfs.
!:amalgame est
rapidement réalisé : le langage
courant, les usages et la coutume,
la conscience collective réunissent
bientôt dans une catégorie
juridiquement homogène tous les
individus attachés à un maître par
un lien héréditaire, placés sous sa
protection et sa justice, astreints de ce
fait à des prestations spécifiques.
Au Xli' siècle, ces hommes et ces
femmes représentent une part
importante de la population, même si
leur proportion varie d'une région
(voire d'un village) à l'autre.
Le servage apparaît ainsi comme
une des bases de l'économie
seigneuritllt et un facteur de
croissance.
À l'inverse de l'esclavage,
il ne prive pas l'individu de toute
initiative économique et ne freine
pas l'expansion démographique.
Certains serfs, chargés par le maître
d'administrer ses biens, vont
même compter parmi les agents
économiques les plus actifs.
Ils vont
faire la fortune dt leur seigneur et,
en même temps, la leur, ce qui va
leur permettre de sortir de leur statut
servile, voire d'accéder à la petite
noblesse.
LES AFFRANCHISSEMENTS
Le servage représente toutefois, pour
la quasi-totalité de ceux qui le subissent,
une rude entrave dont ils
aspirent à se dégager.
Beaucoup y
parviennent, subrepticement, par
l'émigration vers les villes ou les
chantiers de défrichement, en
s'éloignant suffisamment de leur
maître pour se dire libres et se faire
reconnaître comme tels.
siècle,
les affranchissements individuels ou
collectifs se multiplient.
Les premiers laissent peu de traces
dans l'histoire, que cela soit le geste,
sur son lit de mort, d'un maître qui
accorde la liberté à quelques-uns de
ses serfs ou celui d'un seigneur
appauvri qui tente ainsi de sortir de
l'ornière.
Les affranchissements collectifs, au
contraire, donnent lieu à la rédaction
de chartes de franchise concédées par
des rois, des princes, des communautés
religieuses, voire des villes ...
On en
trouve la trace du milieu du Xlii' siècle
en Europe de l'Ouest jusque vers 1350
en Pologne et en Europe centrale.
Au temps de Saint Louis, par exemple,
nombre de ruraux de la région
parisienne parviennent à s'affranchir :
plusieurs monastères décident en effet
vers 1250, de libérer leurs serfs à prix
d'argent afin de reconstituer leurs
réserves monétaires, mises à mal par
de nouvelles constructions et le
versement de taxes pour financer la
croisade du roi.
!:affranchissement est aussi pratiqué
par les rois de France, qui financent
ainsi une partie de leurs besoins
d'argent, de SDint Louis à Philippe
le Bel.
Ce dernier charge par exemple
trois banquiers florentins d'organiser
des affranchissements en série des
serfs du domaine royal.
Curieusement; ceux-ci se heurtent à
la résistance des serfs, qui discutent
du prix et, parfois, trouvant que l'on
veut leur faire payer leur liberté trop
cher, préfèrent conserver leur statut
servile.
D'autres serfs affranchis, s'étant
endettés pour obtenir des libertés,
connaissent finalement une nouvelle
forme de dépendance.
VERS LA FIN DU SERVAGE
À partir du XIV' siècle, en France et
dans toute l'Europe occidentale, le nombre
de serfs diminue encore plus
fortement sous l'effet conjugué des
vagues de mortalité, des tumultes
des guerres, des déplacements de
populations qui en résultent, des
difficultés des seigneurs et des
nécessités de la reconstruction
économique des campagnes.
On
peut donner pour exemple les serfs
appartenant au comte de Hainaut.
Ils diminuent de 70% entre 1317
et 1350; leur nombre se réduit encore
de moitié entre 1350 et la fin du
XIV' siècle.
Dans certaines régions, on assiste
toutefois à cette époque à une
tentative de réaction seigneuriale
visant à «reprendre en main» les serfs.
En Angleterre, cette réaction prend
forme dans la seconde moitié du
XIV' siècle : les corvées complètes sont
réintroduites dans les domaines du
prieuré de Canterbury entre 1340
et 1390; les redevances et les taxes
casuelles sont fortement augmentées;
des procès sont intentés à des paysans
qui nient leur vilainage, c'est-à-dire
leur statut de non-libres.
Tout cela
n'empêche pas les revenus des
domaines anglais (même les mieux
administrés) de baisser dès les années
1380-1390.
Par ailleurs, l'explosion de
mécontentement populaire de 1381
(qui éclate simultanément dans le Kent
et dans l'Essex) montre les limites de
cette réaction seigneuriale et le rejet
qu'elle provoque dans le monde
paysan.
En Europe occidentale, il est à noter
que certaines régions semblent ne pas
avoir connu le servage : Picardie,
Normandie et Forez, Lombardie ...
Ailleurs, malgré son déclin généralisé
à partir du XIV' siècle, il a parfois
perduré fort longtemps :c'est le cas
en France par exemple où sous
'1iï=ji� :;;;}!r;r ;:-; ;;:;� Louis XVI, le il:' chapitre de
Saint-Claude, en Franche
Comté, compte
12000 serfs!
Les dernières
traces
résiduelles
=.,..-=== du servage
vont cependant disparaître
définitivement en Fr11nce en 1789.
En revanche, dans l'est de l'Europe,
en Prusse, en Roumanie, en Hongrie,
dans les pays slaves, dès la fin du
Moyen Âge, on assiste (au contraire de
l'Europe occidentale) à un mouvement
qui redonne aux grands propriétaires
fonciers un pouvoir quasi absolu sur
leurs paysans.
C'est ainsi qu'apparaît un nouveau
servage qui va devenir le socle
économique de ces régions et
caractériser leur société durant toute
la période moderne.
Ce système y
conservera toute sa vigueur jusqu'au
XIX' siècle, parfois même jusqu'aux
premières décennies du xX' siècle.
Dans l'Empire russe, c'est Alexandre Il
(1855-1881) qui fait abolir le servage,
par le Statut des paysans libérés
(1861).
Néanmoins, les paysans
doivent acheter la terre qu'ils cultivent,
soit individuellement, soit par
l'intermédiaire de la communauté
villageoise (mir), à laquelle ils restent
assujettis..
»
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