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Les années soixante-dix ou la fin des certitudes

Publié le 29/11/2018

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Les années soixante-dix ou la fin des certitudes

S'il est un trait qui caractérise les années soixante-dix, c'est bien le choc entre deux phénomènes à la fois simultanés et contradictoires. D'une part, la poursuite du mouvement de contestation des valeurs et des normes des sociétés industrielles, inauguré à la fin des années soixante et qui se traduit autant par une critique de l'univers de la consommation que par une mise en cause des cadres éthiques et moraux hérités du XlXe siècle. D'autre part, un phénomène apparu au début des années soixante-dix qui sape les bases de la société nouvelle née de la croissance :la crise économique révélée par les chocs pétroliers. Au point de rencontre de ces deux courants largement antagonistes naît un monde où, derrière l'apparente rationalité des événements, dominent l'incertitude et le désarroi.

 

Pour le monde industriel libéral qui avait fondé son avenir sur une croissance économique permanente, le réveil est brutal. Deux événements politiques touchant l'Orient lointain d'où provient \"l'or noir\" dont se nourrit l'essor industriel font s'effondrer les rêves dorés d'une éternelle prospérité :en 1973, la guerre du \"Kippour\" condujt les pays arabes producteurs de pétrole à s'en servir comme d'une arme en raréfiant les livraisons et en augmentant les prix qui quadruplent en quatre mois ; en 1979, l'effondrement du régime du Chah en Iran provoque une nouvelle flambée des cours des hydrocarbures, désormais multipliés par neuf, par rapport au début de la décennie. Sans doute peut-on remarquer qu'il ne s'agit là que d'un rattrapage et que ces deux \"chocs\" pétroliers n'ont eu pour effet que de révéler le caractère malsain d'une croissance fondée sur l'inflation. Il n'importe, le spectre de la crise pèse désormais sur les pays industriels et se manifeste par les deux fléaux entre lesquels oscillent désormais toutes les politiques économiques :le chômage qu'on ne peut combattre que par des actions de relance qui stimulent l'inflation ; l'inflation qu'on ne peut juguler que par la rigueur qui accroît le chiffre du chômage. Et les analystes multiplient durant la décennie les prévisions catastrophiques sur la gigantesque redistribution de la prospérité qui ne peut manquer de s'opérer au détriment des vieilles nations industrielles d'Europe et d'Amérique du Nord et au bénéfice des futurs \"nouveaux riches\" producteurs de pétrole, principalement localisés dans un tiers monde jusqu'alors assisté. L'émergence de nouveaux pays industriels en Asie ou en Amérique latine n'annonce-t-elle pas que le centre de gravité du monde est en train de basculer ? La terreur de la crise fait négliger des données révélant que la redistribution des cartes qui est en train de s'opérer laisse en fait les atouts principaux aux grandes puissances d'hier :si elles abandonnent des productions industrielles de base, désormais peu rentables, c'est pour mieux conserver la technologie de pointe qui fonde leur supériorité ; et d'ailleurs la \"manne

pétrolière\" qui se déverse sur les pays producteurs de pétrole permet à ceux-ci de s'équiper, en passant commande aux grands pays industriels, ou leur donne des possibilités d'investissement qui profitent à ces derniers.

 

Mais les réalités économiques cèdent le pas aux données psychologiques. Les années soixante-dix sont perçues comme le temps de la crise dans les esprits et dans les comportements. Et d'abord au sein du pays qui symbolise la croissance économique du monde libéral, les États-Unis. Triomphants dans les années cinquante, résistant victorieusement à la concurrence de l'Europe et du Japon dans les années soixante, ils connaissent désormais le doute. D'abord sur leur puissance économique et financière :dès avant le choc pétrolier, les États-Unis subissent le chômage, les déficits du budget et . de la balance commerciale, une inflation persistante qui conduisent en 1971 et 1973 à deux dévaluations du dollar. Jusqu'à la fin de la décennie, le pays vit sur fond de difficultés économiques que les politiques des présidents Nixon, Ford et Carter ne parviennent pas à juguler. Le doute porte également sur le rôle de chef de file du monde libéral que les Américains assument depuis 1945. 

« de la période d'essor des années soixante et de l'époque du gaullisme triomphant.

AvecJ'élection à la présidence de la République de Valéry Giscard d'Estaing qui se réclame du "libéralisme avancé", le pays paraît fuir les réalités et se dérober devant la prise de conscience de la crise économique et de ses conséquences.

La situation est probablement beaucoup plus grâve encore en Grande-Bretagne où la crise structurelle qui frappe le pays entraîne une vague de revendications sociales, provoquant en 1974 la chute du gouvernement conservateur d'Edward Heath.

Face au contre-pouvoir syndical révélé à cette occasion, les gouvernements travaillistes d'Harold Wilson et de James Callaghan tentent vaille que vaille de négocier un "contrat social" sur les salaires, les prix et la législation sociale qui leur permet de maintenir jusqu'en 1979 un pouvoir chancelant.

Quant à l'Italie, elle paraît se décomposer sous l'effet de l'endettement extérieur, de l'inflation galopante, de la dépréciation de la lire, mais aussi des scandales politico-financiers, de la vague terroriste conduite par les "Brigades rouges" qui culmine en 1978 avec l'assassinat d'Aldo Moro, leader de la démocratie-chrétienne.

La naissance d'une "économie souterraine", fondée sur la fraude fiscale et le travail au noir, la multiplication des attentats et des enlèvements paraissent souligner l'impuissance de l'État italien à conduire la société.

Seuls l'Allemagne et le Japon semblent en mesure de maîtriser une situation qui échappe aux gouvernements du monde libéral.

Sous la direction du socialiste Helmut Schmidt qui a succédé en 1974 à son collègue de parti Willy Brandt, la République fédérale parvient à surmonter la crise par une politique de relance des investissements et de la consommation, grâce à un important endettement intérieur de l'État et à un accord avec les syndicats sur le "partage des sacrifices" qui maintient la paix sociale.

Cette forte cohésion nationale permet au pays de surmonter la vague d'attentats terroristes due à la "bande à Baader", qui, après avoir assassiné en 1977 le président du patronat allemand, Hanns Martin Schleyer, conclut par le suicide collectif de ses trois principaux dirigeants son impuissance à mordre sur la société.

Quant au Japon, après avoir subi de plein fouet le premier choc pétrolier en 1974-1975, il rétablit sa situation dès 1976 sur la base d'une croissance modérée et d'une véritable révolution technologique.

En dépit de cette résistance à la crise de certains pays, le climat d'ensemble des années soixante-dix est bien celui d'un repli du monde libéral qui favorise les avancées du communisme dans la seconde moitié de la décennie.

Au printemps 1975 s'opère au profit des communistes l'unification du Viêt-nam par la chute de Saïgon, précipitamment évacuée par les derniers soldats américains.

À leur tour, le Laos et le Cambodge tombent aux mains des révolutionnaires communistes, les Khmers rouges mettant en place dans ce dernier pays, devenu le Kampuchéa démocratique, un régime de terreur qui fait un million de morts.

En Afrique et dans l'océan Indien, le communisme fait une entrée en force, inspirant les régimes du Mozambique, du Congo ou du Bénin, voire intervenant militairement, par soldats cubains interposés, pour installer ou consolider des régimes frères en Angola ou en Éthiopie.

Le symbole de cette volonté d'expansion du communisme sur la scène internationale demeure l'intervention de l'Armée rouge en Afghanistan dans les derniers jours de décembre 1979 pour au régime pro-soviétique installé dans le pays depuis le coup de 1978 un nouveau dirigeant plus proche des vues du Kremlin.

Les points ainsi marqués par le communisme sur la scène internationale ne doivent cependant point faire illusion.

En proie à une crise profonde, cette idéologie a perdu son pouvoir d'attraction.

Dans sa version soviétique, sous le long règne de Leonide Brejnev, installé au pouvoir depuis 1964, le communisme apparaît comme un régime sclérosé et inefficace, consacrant la domination sur la société d'une bureaucratie de privilégiés, la nomenklatura, et maintenant son pouvoir par la contrainte.

La parution en Occident de l'Archipel du Goulag qui dénonce le système concentrationnaire soviétique et vaut à son auteur, d'être banni en 1974, porte un coup mortel à sa crédibilité.

l'intérieur du pays se lève la contestation des dissidents, défenseurs des droits de l'homme comme l'académicien Sakharov, syndicalistes qui créent des organisations libres en dépit de l'interdiction, croyants qui réclament le droit de pratiquer leur religion ou juifs qui revendiquent la liberté d'émigrer.

Cette contestationtrouve sa réplique chez les intellectuels tchèques signataires de la "Charte 77", chez les syndicalistes catholiques polonais, dans la jeunesse de la République démocratique allemande ...

Quant à l'autre grande variante du communisme, celle incarnée en Chine par le maoïsme, elle disparaît avec la mort de Mao en 1976, puis l'arrestation de la "Bande des Quatre", chefs de file de l'aile radicale de la Révolution culturelle, enfin avec l'arrivée au pouvoir en 1978 de Deng Xiaoping qui oriente la Chine dans une voie pragmatique et donne le pas au "décollage économique" sur l'idéologie en ouvrant le pays vers l'Occident et le Japon.

Les années soixante-dix sont bien celles d'une crise des certitudes idéologiques qui avaient dominé les années cinquante et soixante.

La foi en la croissance ébranlée par la crise économique, la croyance messianique dans un monde nouveau accouché par le communisme enlisé dans la pesante et contraignante bureaucratie du "communisme réel" cèdent la place au doute, au scepticisme, aux attitudes nihilistes.

Et parce que la crise des valeurs des années soixante-dix donne raison a posteriori aux critiques de la croissance de la société productiviste. »

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