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Alceste vient d'assister à la première représentation de Tartuffe, et il en écrit le récit à Philinte

Publié le 09/02/2012

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alceste

Paris, ce 30 août 1667.

Monsieur,

Admirez la conduite du sort à notre égard : lorsqu'un naturel complaisant jusqu'à la lâcheté vous destinait à la vie des cours, vos charges vous retiennent au fond d'une province, et lorsqu'une antipathie invincible me pousse au désert, des nécessités impérieuses m'enchaînent à Paris. Certes, je me sentirais quelque pente à maudire le destin, si déjà toute mon irritation n'était employée aux sottises humaines; faute de mieux, j'en corrige du moins les fantaisies importunes, dans la mesure de mon pouvoir, tâchant à me faire une solitude au milieu du tourbillon qui m'enveloppe. L'entreprise est relativement aisée, grâce à mon libre parler qui met en fuite les gens.

alceste

« vous une bête venimeuse, repoussante d'aspect, gluante et froide au tou­ cher, qui rampe dans l'obscurité humide des lieux souterrains : voilà Tar­ tuffe; le regard s'en détourne par un mouvement invincible de dégoût et de frayeur.

Où la répulsion touche à l'extrême, c'est lorsque le misérable, voyant ses menées découvertes, déchire les voiles dont il s'était sacrilèg~- : ment travesti, se redresse et s'étale dans l'horrible nudité· de son cynisme : il n'a pas même le sens de la honte, cette dernière pudeur du vice.

Le châ­ timent le vient enfin saisir en plein triomphe.

Nous ne savons quelle sera la peine; que nous importe? le monstre est enlevé de notre vue, nous sommes soulagés.

Au reste, la potence est trop noble pour lui, dont le souffle empesterait l'atmosphère des chiourmes.

Son souvenir opprime· la pensée comme un cauchemar, et je ne puis me convaincre qu'il n'y laisse point au passage quelque souillure.

Mon indignation trouve ailleurs encore son emploi.

Si Tartuffe figure le mal de toute sa laideur, Orgon personnifie la sottise en., son complet épa­ nouissement.

On m'affirme que cet Orgon fut, avant cette funeste rencontre, un type de jugement et de loyauté, qu'il rendit de signalés services à l'Etat ··et à ses amis : je n'y veux rien entendre, car, avec une dose commune de bon sens, on ne se laisse point prendre aux simagrées d'un scélérat, vicieux au point de ne pouvoir singer adroitement les dehors de la vertu.

Au tra­ vers de son masque, on voit à plein le traître; il faut absolument que l'im- .

posteur ait l'imbécillité de sa victime pour complice.

Tout le monde autour ·d'Orgon, sauf Mm• Pernelle, sa mère, folle elle aussi à vingt et trois carats, -a· beau s'efforcer de le détromper, il ne s'entête que davantage d!!-ns son ·aveuglement.

A l'école de son digne ami, il apprend vite à se débarrasser : de tout sentiment d'humanité : .

Et je verrais mourir frère, enfant, mère et femme, Que je m'en soucierais autant que de cela.

Au retour d'une absence, c'est de Tartuffe bien portant et bien man­ geant, et non de sa femme malade, qu'il a hâte de s'informer.

Ma foi! je n'ai rien compris au rire général que cette scène a provoqué; qu'ont-elles donc de si plaisant, ces niaises et odieuses préoccupations? - Plus tard, îl veut contraindre sa fille à épouser Tartuffe; enfin, il en vient à déshé­ riter ses propres enfants au bénéfice du fourbe.

En vérité, si la sottise n'était là pour excuse, je me demande en quoi Orgon serait moins coupable ·que l'hypocrite; et il ne voit pas qu'une telle conduite offense les prin­ cipes les plus élémentaires de la dévotion dont il se prévaut? Son rôle ·d'imbécile, il le soutient jusqu'au bout : écoutez-le s'écri"er, lorsqu'il ne doute plus de l'imposture du traître : · C'en estfait, je renonce à tous les gens de bien! Ainsi il retourne sa sottise de l'endroit à l'envers; il se tient pour très ·sage et n'en est que plus sot.

' En vérité, j'en veux à l'auteur de ne l'avoir puni que d'une alarme de :quelques heures.

Restent sans · doute l'humiliation et le remords que · lés :siens ne se feront pas faute de réveiller et d'aiguiser par de malignes et fréquentes allusiQns.

Etant donnée sa résolution de ne plus se fier aux gens de bien et l'abondance des francs scélérats, on peut prévoir aussi qu'il se laissera encore plus d'une fois leurrer, et il n'est pas dit qu'un exempt sera toujours là pour réparer ses bévues; mais cette expiation est éventuelle et, de plus, infructueuse pour nous qui n'en serons pas témoins.

Il fallait choisir un bon châtiment; bien sensible aux yeux, ~i atteiguît le coupable .

en épargnant sa famille.

Orgon et Tartuffe châtiés, la leçon visait tous les spectateurs : les uns, parce qu'ils sont méchants et malfaisants, et les autres ·pour n'avoir pas pour eux ces fortes haines ·que doit donner le vice aux âmes vertueuses.

Et quand il en résulterait aussi quelque dommage pour la famille d'Orgon, je n'y verrais que demi-mal; il s'en faut que l'on y soit des parangons de vertu.

J'approuve leur ardeur contre l'intrus hypocrite, mais ne serait-elle point inspirée en partie par le désir ~'ils ont de n'être point dérangés dans leur vie un peu bien libre? Par ailleurs, Elmire, femme d'Orgon, est trop avisée, ·trop hardie pour une honnête femme.

Marianne et Dami~; enfants d'Orgon, sont la contrepartie l'un de l'autre : elle, timide, toujours hésitante et pleurante; lui, toujours sur le pied de guerre et ne parlant que de couper les oreilles des gens; je conseille à ses parents de l'engager aux Gardes-Françaises, s'ils ne veulent voir plus d'une fois leur pot-au•feu renversé dans les cendres.

Cléante, beau-frère d'Orgon, me paraît être le. »

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