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Auteur et lecteur : une pédagogie narrative (Diderot - jacques le fataliste et son maître)

Publié le 30/06/2015

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Les sept premières lignes du texte (1' « incipit «) condui­sent à l'énoncé du leitmotiv fataliste. Mais avant même que Jacques ait pu prononcer le mot favori de son capitaine, me voici, moi lecteur, happé dans les remous d'un dialogue véhément où j'ai grand-peine à discerner qui pose les questions, qui donne les réponses ou, plutôt, refuse de répondre, de qui et de quoi l'on parle (« Est-ce que l'on sait où l'on va ? «). Cette ouverture sarcastique programme l'incertitude de tout le récit : la tension entre le désir de savoir et la difficulté de savoir. D'où ma perplexité et ce malaise mêlé de plaisir. Frustration à voir s'exhiber et s'imposer un « auteur « agressif qui, à lui seul, fait les questions et les réponses, le narrataire et le narrateur, le mystifié et le mystificateur, comme s'il boxait avec son ombre. Mais délice aussi — comme aux premières pages de Candide — à me sentir soulevé par ce démarrage en trombe qui m'emporte avec la toute-puissance du destin...

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« 28 en prose », ouvre chacun des dix-huit livres par un pseudo-dialogue qui inflige au lecteur paralysé son omni­ potence joviale et sa bonne conscience tyrannique ; beau­ coup plus complexe est l'omniprésence de Tristram, double hyper-actif de l'écrivain, sujet et objet d'un récit réfléchi où l'ardeur communicative du combat contre le temps fait appel à la générosité d'un lecteur complice.

Le narrateur figuré dans Jacques évoque plus Fielding que Sterne.

Moins triomphaliste que celui de Tom Jones, l'auteur de Jacques déploie la même agressivité méprisante à l'encontre d'un lecteur ignare, paresseux ou importun, personnage fabriqué par sa mauvaise foi et qui n'existe que pour servir de cible à son ironie vengeresse.

Nous voilà loin de Tristram et même, semble-t-il, de cette fonction narrative complexe que Diderot n'avait cessé de raffiner depuis La Religieuse.

Pour tenter d'y voir clair, inventorions d'abord les thèmes de ce discours de l'auteur.

La première partie (avant l'auberge) est dominée par le procès intenté, au nom du vrai, à l'illusion romanesque.

Le séjour à l'auberge donne lieu à des interventions plus diverses où l'auteur, commentant le récit de l'hôtesse, examine des points de morale ou le problème des rapports entre l'art et le réel.

Même diversité dans la dernière partie : l'auteur revient sur l'opposition roman/vérité, complète le portrait de Jacques ou commente l'histoire de ses amours, et surtout se désolidarise d'un récit dont il finit par abandonner la responsabilité au lecteur, puis à un « éditeur » non moins fictif ...

Cette ultime dérobade couronne le jeu d'un auteur­ Protée d'autant plus insaisissable que le mot même d' « au­ teur » n'est presque jamais prononcé.

Celui qui stigmatise le « lecteur » (mot fréquent) ne se laisse pas nommer et ne s'expose guère à être interpellé en retour.

Sujet souverain de l'énonciation, il se manifeste par un ie ambigu qui recouvre trois rôles possibles : hors du récit, ce ie renvoie à l'image d'un écrivain au travail, soucieux de se démarquer des ro­ manciers ordinaires ; au niveau du récit, le narrateur narre son histoire à un narrataire ( « nos deux voyageurs ») ou cède la place à divers narrateurs (cf.

ch.

5) ; enfin, au sein même du récit fait irruption un auteur-acteur qui abandonne toute réserve, agit de plain-pied avec ses personnages, mêlant le « réel » (niveau de la narration) avec le « fictif » (niveau. »

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