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BALZAC, Le Père Goriot, fin (commentaire)

Publié le 17/02/2011

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balzac

Les deux prêtres, l'enfant de choeur et le bedeau vinrent et donnèrent tout ce qu'on peut avoir pour soixante et dix francs dans une époque où la religion n'est pas assez riche pour prier gratis. Les gens du clergé chantèrent un psaume, le Libera, le De Profundis. Le service dura vingt minutes. Il n'y avait qu'une seule voiture de deuil pour un prêtre et un enfant de choeur, qui consentirent à recevoir avec eux Eugène et Christophe. « Il n'y a point de suite, dit le prêtre, nous pourrons aller vite, afin de ne pas nous attarder, il est cinq heures et demie. «. Cependant, au moment où le corps fut placé dans le corbillard, deux voitures armoriées, mais vides, celle du comte de Restaud et celle du baron de Nucingen, se présentèrent et suivirent le convoi jusqu'au Père-Lachaise. A six heures, le corps du père Goriot fut descendu dans sa fosse, autour de laquelle étaient les gens de ses filles, qui disparurent avec le clergé aussitôt que fut dite la courte prière due au bonhomme pour l'argent de l'étudiant. Quand les deux fossoyeurs eurent jeté quelques pelletées de terre sur la bière pour la cacher, ils se relevèrent, et l'un d'eux, s'adressant à Rastignac, lui demanda leur pourboire. Eugène fouilla dans sa poche et n'y trouva rien, il fut forcé d'emprunter vingt sous à Christophe. Ce fait, si léger en lui-même, détermina chez Rastignac un accès d'horrible tristesse. Le jour tombait, un horrible crépuscule agaçait les nerfs, il regarda la tombe et y ensevelit sa dernière larme de jeune homme, cette larme arrachée par les saintes émotions d'un coeur pur, une de ces larmes qui, de la terre où elles tombent, rejaillissent jusque dans les cieux. Il se croisa les bras, contempla les nuages, et le voyant ainsi, Christophe le quitta. Rastignac, resté seul, fit quelques pas vers le haut du cimetière et vit Paris tortueusement couché le long des deux rives de la Seine, où commençaient à briller les lumières. Ses yeux s'attachèrent presque avidement entre la colonne de la place Vendôme et le dôme des Invalides, là où vivait ce beau monde dans lequel il avait voulu pénétrer. Il lança sur cette ruche bourdonnante un regard qui semblait par avance en pomper le miel, et dit ces mots grandioses : « A nous deux maintenant! « Et, pour premier acte du défi qu'il portait à la société, Rastignac alla dîner chez Mme de Nucingen.

INTRODUCTION

Ce passage est l'un des plus célèbres du roman dont il dégage le sens profond. Le Père Goriot, symbole de la Paternité, est mort abandonné de ses filles qu'il avait idolâtrées jusqu'à son dernier souffle. Personne ne s'occupe de son enterrement excepté deux étudiants, Eugène de Rastignac et Horace Bianchon qui se proposent de faire graver sur sa tombe:

« Ci-gît Monsieur Goriot, père de la Comtesse de Restaud et de la Baronne de Nucingen, enterré aux frais de deux étudiants. «

 I - LA CÉRÉMONIE RELIGIEUSE

(De : Les deux prêtres... à : l'argent de l'étudiant)

balzac

« Profundis (Des profondeurs de l'abîme) est un psaume indispensable, mais court. d) Un clergé médiocre.Tout respire la misère : ce service de vingt minutes, cette unique voiture de deuil où ne prennent place qu'un prêtreet un enfant de choeur, ce qui leur permet d'accepter les deux étudiants désargentés.

Le prêtre a un mot sec etprofessionnel : Il n'y a point de suite ...

nous pourrons aller vite, afin de ne pas nous attarder, il est cinq heures etdemie. Ce prêtre est avant tout pressé par le temps.

Écrasé par les nécessités matérielles, il a oublié sa mission d'ami despauvres.

Il manque nettement d'onction.

On pense au curé de La Fontaine :Un mort s'en allait tristement S'emparer de son dernier gîte ; (In Curé s'en allait gaiement Enterrer ce mort au plusvite.(Fables VI1,2)Le curé de Balzac n'a même plus la gaîté intéressée de celui de La Fontaine.

Il est le simple reflet de l'athéismepratique de la société parisienne.

(Le Père Goriot a été écrit trois ans après le sac de l'Archevêché). e) Les filles et les gendres du Père Goriot.Le Père Goriot est mort abandonné de ses deux filles.

Delphine attendait son médecin, ayant pris froid au sortir deson bal; Anastasie était arrivée trop tard.

Il est vrai qu'elles étaient plus ou moins séquestrées par leurs marissoucieux avant tout de régler les questions d'argent.

L'hypocrisie sociale s'est exprimée dans la réponse desconcierges à Rastignac : « Monsieur et Madame ne reçoivent personne; leur père est mort, et ils sont plongés dansla plus vive douleur.

» Cette douleur s'exprime par l'envoi de deux voitures armoriées, mais vides, qui suivent leconvoi.Les « gens de ses filles » sont aussi pressés que les « gens du clergé ».

Tous « disparaissent » en même temps.

Lesnotations de temps, les allusions à l'argent se répètent d'une façon obsédante dans le passage.

Tout ce qui n'estpas l'argent doit être expédié au plus vite : « On jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais.

»(Pascal, Pensées). II.

- LA RÉACTION DE RASTIGNAC (Quand les deux fossoyeurs...

à : Mme de Nucingen). a) Mélancolie.Les deux fossoyeurs n'échappent pas à la règle.

Après avoir fait semblant de travailler, ils demandent leur pourboire.Mais Rastignac est incapable de donner même la somme la plus dérisoire.

Et ces vingt sous, ce détail insignifiant,sont la goutte d'eau qui fait déborder le vase d'amertume.

Cette tristesse causée par un franc montre à Rastignacla puissance infinie de l'argent : c'est le nouveau Dieu qui ouvre les portes de l'Enfer ou du Paradis.

Léon Bloy lecomparera au corps du Christ, à l'Eucharistie, dans Le Sang du Pauvre.Le paysage, l'humidité, le crépuscule achèvent de démoraliser le jeune homme.

Le tableau se transforme.

Cetenterrement du Père Goriot, le Christ de la Paternité, l'être pur du roman, devient l'enterrement de la pureté, de lajeunesse vertueuse de Rastignac.

Jusqu'ici il avait partagé les vertus familiales et provinciales de ses soeurs, de samère.

Il avait refusé la fortune de Victorine Taillefer obtenue par un meurtre.

Va-t-il tirer les conclusions logiques dudrame qui vient de finir? Est-ce la revanche de Vautrin le tentateur? b) L'ambition.Le roman s'achève sur la grandiose vision de Paris au crépuscule.

L' expression « tortueusement couché » suggèreune bête de proie, félin ou serpent.

L'adverbe a un sens propre et figuré à la fois.

La pensée et le regard deRastignac vont de la victime aux causes profondes de cette mort : la lutte pour l'argent, les rivalités d'ambition, lespassions secrètes de ce grand monde pour lesquelles le Père Goriot s'est immolé.Ce monde a ses quartiers interdits au vulgaire.

Rastignac avait été arrêté à l'entrée de l'hôtel de Restaud.

LesNucingen n'étaient pas admis au Faubourg Saint-Germain.

L'aristocratie d'argent était prête à toutes les bassessespour pénétrer dans les salons de l'ancienne noblesse qui tenait ses assises fermées « entre la colonne Vendôme etle dôme des Invalides ».

Rastignac contemple avidement cet espace où s'étendent la rue Saint-honoré, le FaubourgSaint-Germain, (le bon ton exigeait qu'on y eût un hôtel), la rue du Bac déjà célèbre par son élégance sous LouisXVI, la rue Saint-Dominique et la rue de Grenelle où sont les deux hôtels Beauséant.Paris est comparé à une ruche bourdonnante, c'est-à-dire à une multitude d'insectes qui s'agitent, font du bruitpour entasser des richesses.

Rastignac a envie d'en pomper le miel comme un insecte parasite qui l'aspirerait avecsa trompe.

Il se sent presque une vocation pour l'exploitation, le pillage que lui a conseillés Vautrin.

On a quelquefoisreproché au style de Balzac l'impropriété de ce « regard » qui « pompe » le miel.

Le défi porté à la société est unbesoin de se venger des échecs précédents et surtout de l'humiliation qu'il vient de subir.

Son mépris est accentuépar le spectacle de l'injustice à laquelle il a assisté.

Il n'a aucun scrupule à défier ce monde pourri de vices secrets.Vautrin avait en partie raison.La dernière phrase est profondément ironique.

Malgré son prétendu deuil, malgré le drame réel de la lutte contre sonmari, Madame de Nucingen donne à dîner pour sauvegarder une brillante façade.

Bien qu'elle soit responsable duspectacle abominable qui a écœuré Rastignac, ce dernier se sert d'elle pour pénétrer dans le monde.

Elle lui est plusfavorable qu'Anastasie de Restaud.

Avec ses derniers écus le Père Goriot leur a meublé à tous deux un petitappartement.

Elle n'a rien à lui refuser.

Par elle, Rastignac vengera à sa manière le Père Goriot.. »

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