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BATAILLE Georges : sa vie et son oeuvre

Publié le 16/11/2018

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BATAILLE Georges (1897-1962). Les catégories traditionnelles, se révèlent inappropriées ou encombrantes, dès lors qu’on prétend rendre compte de l’œuvre de Georges Bataille. Cette œuvre a quelque chose du tourniquet! Les récits ne cessent de renvoyer à l’ontologie qui les sous-tend; la pensée philosophique, loin de se condenser ou de se durcir en « système », ne cesse de rechercher le jaillissement formulaire qui l’apparente à une « poétique »... Le lecteur de Bataille est constamment projeté dans le champ d’une expérience — ou, plus exactement, d’une expérimentation — existentielle où se nouent obscénité (érotisme), quête de l’extase (mysticisme) et fascination de la mort...

Né dans le Puy-de-Dôme en 1897, l'enfant Bataille découvre la vie à travers la présence-absence tragique d’un père aveugle et paralysé. On peut voir là le point-origine d’une vision du monde gouvernée par la hantise de la dégradation, de la décomposition des corps... Jeune, il se convertit au catholicisme et songe un instant à embrasser la vie religieuse. Mais il optera finalement pour l’École des chartes. C’est qu’en 1920 sa foi s’effondre. Concurremment, il découvre le rire libérateur de Nietzsche... Une santé précaire l’a mis à l’abri des horreurs de la guerre de 1914. Une vingtaine d’années vont suivre, foisonnantes : à travers la psychanalyse, il échappe à la dépression qui le minait; un moment, il croise le surréalisme, dont bientôt il devient l’un des plus célèbres « hérétiques ». Le voici, en 1929, directeur de Documents, une revue qui est le point de ralliement des surréalistes excommuniés par Breton. Il ne cesse d'approfondir, parallèlement, une réflexion philosophique et politique : il se nourrit de Hegel; il étudie le fascisme; il adhère au « Cercle communiste démocratique », qui jette sur Staline un regard fort critique...

 

Mais, peu à peu, il se détourne de l’engagement immédiat. Il fonde la revue Acéphale, où il va formuler quelque chose comme une ligne d’action existentielle, une orientation programmatique conditionnée par le refus, à la fois nietzschéen et surréaliste, des contingences d’un monde qui, « comparé avec les mondes disparus [...], est hideux et apparaît comme le plus manqué de tous » (Acéphale, n° 1, 1936). Pour Bataille, le salut passera, désormais, par la conquête de l’extase.

En 1934, il a rencontré Laure, qui, pendant quatre ans, sera sa maîtresse (elle meurt en 1938). Récemment publiés, les Écrits de Laure révèlent une personnalité à la fois complexe et tourmentée, une expérience et une volonté d’expérimentation à tonalité masochiste et une réflexion gouvernée par le double thème de la souillure et de l’exaltation mystique... S’il ne fait pas de doute que Bataille a influencé Laure, il apparaît, dans l’autre sens, que Laure a été, pour l'auteur de la Part maudite, une inspiratrice capitale.

La maladie, en 1942, contraint Bataille à s’installer à Vézelay. Une dernière période s'ouvre alors, entièrement consacrée à la réflexion et à l’écriture. Il contribue à fonder la revue Critique. Il est conservateur de la bibliothèque de Carpentras, puis de celle d’Orléans. Il meurt en 1962. Il est alors auréolé d'un prestige considérable, du moins dans les milieux intellectuels.

Vivre l'animalité de l'homme

D’une méditation qui traverse aussi bien la métaphysique que la sociologie ou l’économie politique, on retiendra quelques thèmes qui éclairent particulièrement les récits et les poèmes de Bataille.

Qu’en est-il, par exemple, de l’animalité de l’homme? Qu'en est-il de ce corps dont les pulsions et les fantasmes, les exigences et les actions signent à la fois une dérision et un défi : dérision au regard de cette aspiration à la pureté vers quoi tend l’esprit humain, défi aux démonstrations de la logique, rébellion contre l’intelligence...?

De fait, Bataille n’a cessé d’interroger et d’explorer les implications de cette tension, voire de cette déchirure, que l’animalité introduit dans la vie de l’homme. L’obsession de la souillure étant, à ses yeux, incontournable, il s’agit de l’investir de positivité. Il s’agit d’en faire la condition même de l’accomplissement sexuel. C’est par elle, en effet, affirme Bataille, que j’éprouve ce vertige de la perdition sans lequel la sexualité demeure lettre morte. Dans cette perspective, aimer implique d’assumer comme valeur cette obscénité que matérialisent toutes les fonctions d’excrétion du corps. Autrement dit, l’extase amoureuse ne saurait, sans se condamner à l’échec, faire l’économie d’une traversée de la perversion. Dès lors, on le conçoit, dans l’érotique de Bataille, la notion de transgression occupe une position stratégique. Mais on s’abuserait à chercher dans cette œuvre une revendication de liberté : même si les tabous les plus fondamentaux (celui, notamment, de la séparation des morts et des vivants) sont battus en brèche, il s’agit de tout autre chose. « Pas de mur entre érotisme et mystique », proclame Bataille (Sur Nietzsche). L’expérience de l’abjection est en effet, à ses yeux, le seul lieu où, simultanément, je puis faire l’épreuve du sacré et celle du blasphème. D'où l’ambivalence — fascination et épouvante — constitutive de l’extase érotique. D’où aussi l’obligation de vivre sa sexualité comme une quête, d’aller toujours au-delà de la répulsion et de la souffrance...

« La pratique de la joie devant la mort »

Ce titre, emprunté à un essai de Bataille, pourrait bien être emblématique : car la plupart de ses récits ont le dépouillement du compte rendu expérimental; ils retracent des itinéraires, ils relatent d'étranges quêtes... Les principales étapes en sont le viol des normes, la recherche sans fin de l’excès, l’extase dans le paroxysme. Mais on ne retrouve guère, ici, la jubilation sadienne : l’érotisme est ascèse; il est aventure du corps et de l’esprit, à la fois alliés et irréconciliés, s’égarant délibérément du côté de ce no man’s land où la souffrance n’est plus antinomique de la joie ni la vie de la mort. S’il est vrai que, depuis Platon au moins, la pensée occidentale de l’amour se fonde sur un rêve d’éternité, tout à l’inverse la mystique érotique de Bataille ne cesse de réaffirmer l’imminence de la mort et son caractère de fin absolue. Il la définit, au fond, comme cette jouissance suprême dont le corps ne cesse de rêver mais dont la violence excéderait ses possibilités. L’agonie, écrit-il dans le «plan d’une suite de l’Histoire de l'œil», «ce n’est nullement une joie érotique, c’est beaucoup plus. Mais sans issue. Ce n’est pas non plus masochiste, et, profondément, cette exaltation est plus grande que l’imagination ne peut la représenter, elle dépasse tout. Mais c’est la solitude et l’absence de sens qui la fondent ». Et, si l’érotisme selon Bataille est ascèse, c’est qu’au bout du compte, il est préparation à cette ultime déflagration de la chair, à cette jouissance absolue.

Aussi bien Bataille récuse-t-il ces représentations, toutes théoriques et comme aseptisées, qui rendent supportable l’idée de la mort : la mort n’est pas, pour lui, « néantisation », simple passage d’un état à un autre état ou à l’absence de tout état. C’est aussi, c’est d’abord tout ce qui précède et tout ce qui suit cet instant qu’on appelle la mort (faut-il préciser que l’athée Bataille s’en tient à une vision strictement matérialiste du phénomène?). Avant la mort, voici l’agonie, le spectacle de la souffrance et de la dégradation (physiologique, spirituelle) du mourant. Après la mort viennent la putréfaction, la décomposition de ces chairs qui furent moi.

« démonstrations de la logique, rébellion contre l'in­ tel ligence ...

? De fait, Bataille n'a cessé d'interroger et d'explorer les implications de cette tension, voire de cette déchirure, que l'animalité introduit dans la vie de l'homme.

L'ob­ session de la souillure étant, à ses yeux, incontournable, il s'agit de l'investir de positivité.

li s'agit d'en faire la condition même de l'accomplissement sexuel.

C'est par elle, en effet, affirme Bataille, que j'éprouve ce vertige de la perdition sans lequel la sexualité demeure lettre morte.

Dans cette perspective, aimer implique d'assumer comme valeur cette obscénité que matérialisent toutes les fonctions d'excrétion du corps.

Autrement dit, l'ex­ tase amoureuse ne saurait, sans se condamner à 1 'échec, faire l'économie d'une traversée de la perversion.

Dès lors, on le conçoit, dans 1' érotique de Bataille, la notion de transgression occupe une position stratégique.

Mais on s'abuserait à chercher dans cette œuvre une revendi­ cation de liberté : même si les tabous les plus fondamen­ taux (celui, notamment, de la séparation des morts et des vivants) sont battus en brèche, il s'agit de tout autre chose.

« Pas de mur entre érotisme et mystique», pro­ clame Bataille (Sur Nietzsche).

L'expérience de l'abjec­ tion est en effet, à ses yeux, le seul lieu où, simultané­ ment, je puis faire l'épreuve du sacré et celle du blasphème.

D'où l'ambivalence -fascination et épou­ vante -constitutive de l'extase érotique.

D'où aussi l'obligation de vivre sa sexualité comme une quête, d'al­ ler toujours au-delà de la répulsion et de la souffrance ...

u la pratique de la joie devant la mort , Ce titre, emprunté à un essai de Bataille, pourrait bien être emblématique : car la plupart de ses récits ont le dépouillement du compte rendu expérimental; ils retra­ cent des itinéraires, ils relatent d'étranges quêtes ...

Les principales étapes en sont le viol des normes, la recher­ che sans fin de l'excès, l'extase dans le paroxysme.

Mais on ne retrouve guère, ici, la jubilation sadienne : l'éro­ tisme est ascèse; il est aventure du corps et de l'esprit, à la fois alliés et irréconciliés, s'égarant délibérément du côté de ce no man's land où la souffrance n'est plus antinomique de la joie ni la vie de la mort.

S'il est vrai que, depuis Platon au moins, la pensée occidentale de l'amour se fonde sur un rêve d'éternité, tout à l'inverse la mystique érotique de Bataille ne cesse de réaffirmer lïmminence de la mort et son caractère de fin absolue.

Il la définit, au fond, comme cette jouissance suprême dont le corps ne cesse de rêver mais dont la violence excéderait ses possibilités.

L'agonie, écrit-il dans le «plan d'une suite de l'Histoire de l'œ il » , «ce n'est nullement une joie érotique, c'est beaucoup plus.

Mais sans issue.

Ce n'est pas non plus masochiste, et, profon­ dément, cette exaltation est plus grande que l'imagina­ tion ne peut la représenter, elle dépasse tout.

Mais c'est la solitude et l'absence de sens qui la fondent».

Et, si l'érotisme selon Bataille est ascèse, c'est qu'au bout du compte, il est préparation à cette ultime déflagration de la chair, à cette jouissance absolue.

Aussi bien Bataille récuse-t-il ces représentations, toutes théoriques et comme aseptisées, qui rendent sup­ portable l'idée de la mort : la mort n'est pas, pour lui, « néantisation », simple passage d'un état à un autre état ou à l'absence de tout état.

C'est aussi, c'est d'abord tout ce qui précède et tout ce qui suit cet instant qu'on appelle la mort (faut-il préciser que l'athée Bataille s'en tient à une vision strictement matérialiste du phénomène?).

Avant la mort, voici l'agonie, le spectacle de la souf­ france et de la dégradation (physiologique, spirituelle) du mourant.

Après la mort viennent la putréfaction, la décomposition de ces chairs qui furent moi.

Or, dans la dépense sexuelle, Bataille voit comme la mise en scène prémonitoire de cette entropie de la chair : affranchi du contrôle de l'esprit, traversé par mille pul­ sions centrifuges, le corps érotique explose en une multi­ tude de procès organiques sans récupération ni compen­ sation- suer, uriner, vomir, déféquer, éjaculer ...

Et les normes, les interdits, les tabous constituent autant d'écrans destinés à filtrer l'intolérable, à me faire oublier que, par la frénésie sexuelle, mon corps me fait connaître (me rapproche de, m'initie à) la mort.

m'apprend à subir et à désirer cene violence absolue qui, un jour, nécessai­ rement, me foudroiera ...

la femme médiatrice La femme, dans cet univers (où, on peut le noter, l'un des rares tabous à demeurer inentamé est celui de l'homosexualité masculine), la femme donc occupe une fonction cardinale.

Au narrateur (la plupart des récits de Bataille sont à la première personne), elle offre l'accueil d'une bienveillance, le matériau d'un. »

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