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Blaise Cendrars : L'Or

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

[Le héros de L'Or, Johan August Suter, est parti pour l'Amérique dans la première moitié du XIX° siècle pour y faire fortune. D'abord fermier dans le Missouri, il s'intéresse beaucoup à ce que racontent les gens de passage qu'il accueille dans son domaine.]    Un jour, il a une illumination. Tous, tous les voyageurs qui ont défilé chez lui, les menteurs, les bavards, les vantards, les hâbleurs, et même les plus taciturnes, tous ont employé un mot immense qui donne toute sa grandeur à leurs récits. Ceux qui en disent trop comme ceux qui n'en disent pas assez, les fanfarons, les peureux, les chasseurs, les outlaws, les trafiquants, les colons, les trappeurs, tous, tous, tous parlent de l'Ouest, ne parlent en somme que de l'Ouest.  L'Ouest.  Mot mystérieux.  Voici la notion qu'il en a.  De la vallée du Mississipi jusqu'au-delà des montagnes géantes, bien loin, bien loin, bien avant dans l'ouest, s'étendent des territoires immenses, des terres fertiles à l'infini. La prairie. La patrie des innombrables tribus peaux rouges et des grands troupeaux de bisons qui vont et viennent comme le flux de la mer.  Mais après, mais derrière ?  Il y a des récits d'Indiens qui parlent d'un pays enchanté, de villes d'or, de femmes qui n'ont qu'un sein. Même les trappeurs qui descendent du nord avec leur chargement de fourrures ont entendu parler sous leur haute latitude de ces pays merveilleux de l'Ouest, où, disent-ils, les fruits sont d'or et d'argent.  L'Ouest ? Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi y a-t-il tant d'hommes qui s'y rendent et qui n'en reviennent jamais ? Ils sont tués par les Peaux Rouges ; mais celui qui passe outre ? Il meurt de soif ; mais celui qui franchit le col ? Où est-il ? Qu'a-t-il vu ? Pourquoi y a-t-il tant parmi ceux qui passent chez moi qui piquent directement au nord et qui, à peine dans la solitude, obliquent brusquement à l'ouest ?

 Ce texte comporte de nombreux paragraphes très courts, composés parfois d'un seul mot. De ce point de vue, il ne ressemble pas aux textes en prose habituels, et semble, visuellement, s'apparenter à de la poésie. D'autre part, cela suppose un rythme discontinu, qui rappelle bien sûr la scansion dont nous avons déjà parlé.

« Tout le récit est donc une immense interrogation dont la seule visée est de connaître le sens de ce « motmystérieux », « l'Ouest ».Rebondissement Mais c'est un récit en plusieurs phases : récit des voyageurs, puis récit de ce qu'en pense Suter.

L'Ouest,c'est « la prairie ». Puis récit des « Indiens qui parlent d'un pays enchanté, de villes d'or, de femmes qui n'ont qu'un sein ».

Cerécit pourrait bien sûr être développé davantage, mais ne l'est pas. Puis récit des « trappeurs » qui « ont entendu parler sous leur haute latitude de ces pays merveilleux del'ouest, où, disent-ils, les fruits sont d'or et d'argent ».

De nouveau, ce récit n'est qu'ébauché. 2. Récit express3. Enfin, le texte élabore un récit très rapide, dans la succession des questions du dernier paragraphe, et de leursréponses lacunaires. On y trouve tous les éléments du « western » : Peaux-Rouges, désert, montagne, etc. Mais le lieu commun est évité, justement du fait de la rapidité du récit.

On voit tout ce qui pourrait être dit, mais letexte passe immédiatement à autre chose. III.

Le renouveau du récit 1.

Par rapport au topos * (ou lieu commun) Le système final de l'enchaînement des questions et des réponses permet d'éviter les lieux communs, en les passantpourtant en revue.

En fait, tout le système énumératif du texte paraît avoir pour fonction d'épuiser l'ensemble deslieux communs possibles. Il ne reste, de cet ensemble topique, que le mot lui-même, rendu à son mystère profond. L'aventure Le récit d'aventure, qui serait possible d'innombrables fois, est à chaque fois refusé au profit d'une autrepossibilité romanesque.

Dès lors, c'est l'aventure elle-même, en tant que thème romanesque, qui est refusée. Si aventure il y a, elle n'est ici qu'aventure du langage, aventure dans les mots, leur répétition, leurénumération, les variations auxquelles ils sont soumis. Dès lors, le rythme prend une importance particulière, notamment du fait de la scansion imposée à la lecturepar ces énumérations et ces répétitions. 2. Quel genre de récit ?3. Il est clair qu'il ne s'agit pas d'un récit d'aventure.

Mais il ne s'agit dans le même temps que de cela ; en quelquesorte, c'est un récit d'aventure « dévié », c'est le récit de toute les aventures possibles.

Cette multiplication despossibilités narratives est rendue d'autant plus forte que le texte est régulièrement interrompu par les ruptures deparagraphe.

En adoptant cette typographie particulière, le récit rend visibles ses propres ruptures. Il adopte alors une structure discontinue, qui rappelle simultanément la poésie — ce serait une poésie d'aventures...— et la successivité propre au cinéma, à cela près qu'il y aurait rupture entre chaque image. Conclusion Le texte de Cendrars est donc moins un récit d'aventures, dans le genre du « western », qu'un récit sur la magiedes mots, et du mot « Ouest ».

Pour cela, il s'écarte des voies habituelles du récit, et emprunte celles de la poésieet de la succession des images.. »

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