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BUFFON. Utilité du plan. Discours sur le style

Publié le 04/07/2011

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buffon

C'est faute de plan, c'est pour n'avoir pas assez réfléchi sur son objet, qu'un homme d'esprit se trouve embarrassé et ne sait par où commencer à écrire. Il aperçoit à la fois un grand nombre d'idées, et, comme il ne les a ni comparées, ni subordonnées, rien ne le détermine à préférer les unes aux autres; il demeure donc dans la perplexité. Mais lorsqu'il se sera fait un plan, lorsqu'une fois il aura rassemblé et mis en ordre toutes les pensées essentielles à son sujet, il s'apercevra aisément de l'instant auquel il doit prendre la plume, il sentira le point de maturité de la production de l'esprit, il sera pressé de la faire éclore, il n'aura même que du plaisir à écrire : les idées se succéderont aisément, et le style sera naturel et facile; la chaleur naîtra de ce plaisir, se répandra partout et donnera de la vie à chaque expression ; tout s'animera de plus en plus; le ton s'élèvera, les objets prendront de la couleur ; et le sentiment, se joignant à la lumière, l'augmentera, la portera plus loin, la fera passer de ce que l'on dit à ce que l'on va dire, et le style deviendra intéressant et lumineux.

(BUFFON, Discours sur le style.)

MATIÈRE. — Vous expliquerez les idées exprimées dans ce passage, en distinguant la partie critique de la partie positive : quels sont les défaut s dont Buffon a fait le procès et pourquoi les attaque-t-il ? Quelles sont les qualités qu'il recommande, et pourquoi en fait-il on si bel éloge? Vous paraît-il, en réalité, que l'écrivain soit redevable à un plan bien fait, de toutes les qualités dont il est ici question? Discutez rapidement, puis essayez de dégager les caractères essentiels de la forme, et, si elle vous paraît répondre à l'idéal de Buffon, montrez-en la valeur en faisant voir d'où lui viennent le mouvement et la vie.

buffon

« implique le choix et la comparaison : choix qui permet de décider entre les matériaux qui se présentent, comparaisonqui permet de classer les idées dominantes et les idées secondaires.

Sans cela, c'est l'hésitation, le trouble : laperplexité.Dans la seconde, voici comment le raisonnement s'enchaîne : l'écrivain dont le plan est arrêté, dont les matériauxsont groupés (Invention) et classés (Disposition) d'après leur importance, contemple alors le bel agencement despensées essentielles , il les mûrit encore jusqu'à l'heure où le travail de l'élocution devra commencer, et cette heure,une sûre intuition l'avertira qu'elle est arrivée, que l'ouvrage est prêt à venir au jour; alors, ce sera pour lui unbesoin d'écrire, et par suite une joie; quelle allégresse de voir se dérouler sans arrêt le développement, derencontrer toujours l'expression vraie ! De cette joie naîtra la chaleur, le mouvement, la vie : exaltation progressive,élévation du ton, coloris de l'expression, tout cela suivra ce plaisir.

Ce mouvement, loin d'obscurcir l'ordre, le rendraplus sensible; le sentiment ajoutera à la clarté , il la fera plus vive, plus pénétrante, plus étendue, d'un bout àl'autre du discours.

La conclusion est que le style saisira en même temps l'intelligence et le cœur.Le développement se tient d'une façon logique, les parties se lient étroitement et s'entraînent l'une l'autre.

Buffonjoint ici l'exemple au précepte : le mouvement de ce passage vient, avant tout, de sa clarté.C'est que ces idées-là, Buffon les avait particulièrement à cœur.

On a dit de lui qu'il appartenait au XVIIe siècle, quec'était un « classique » égaré au siècle des encyclopédistes.

Ce n'est vrai qu'à moitié, mais cela est vrai.

Buffon estun cartésien, un esprit droit, avide d'unité et de méthode, qui ne compte parmi les vrais mérites que la solidité duraisonnement, la force de la composition, la netteté et la précision de la phrase.

La raison est souveraine, et elleimpose à l'artiste ses universelles lois.

Le Discours sur le style est une confidence.

Toutes les règles que Buffon y aénoncées ont leur origine dans son tempérament, son caractère, ses tendances naturelles ou acquises par ladiscipline des sciences naturelles.

Ce qui a frappé le savant, quand il admirait les ouvrages de la nature, c'est qu'ellearrive à la perfection parce qu'elle travaille lentement sur un plan harmonieux et qu'elle suit sans jamais s'écarter,c'est qu'elle a un plan unique, arrêté, dont elle développe successivement les parties par un mouvement continu,régulier, uniforme.

Natura non facit saltus, dit le vieil adage ; la nature ne fait pas de sauts, parce que son plan estéternel.

Ainsi, c'est l'homme, c'est le savant qui ont écrit le passage que nous étudions; tous deux nousrecommandent les qualités qu'ils mettaient personnellement au-dessus des autres, et qui caractérisaient le mieux laphysionomie de M.

de Buffon au milieu de ses contemporains.Car ce sont aussi les qualités qu'il regrettait le plus de ne pas rencontrer à son époque.

Le Discours est uneprotestation contre la littérature du XVIIIe siècle, ce passage est une critique des écrivains du temps.

Formé par LaBruyère et inauguré par Fontenelle, le XVIIIe siècle avait perdu les sérieuses habitudes de composition qu'avait euesle classicisme.

« L'on écrit régulièrement depuis vingt années », avait déclaré La Bruyère, et, après avoir constatéqu'on avait mis dans le discours « tout l'ordre et toute la netteté » dont il était capable, il ajoutait non sans malice :« Gela conduit insensiblement à y mettre de l'esprit.

» Oui, pensait Buffon, mais" r l'esprit acheté aux dépens de lanetteté et de l'ordre, est assurément payé beaucoup trop cher.

De là, cette attaque contre le défaut de plan quivient du défaut de réflexion, et ce magnifique éloge de l'ordre qui seul fait les ouvrages immortels.

Le persiflage estde règle dans les discours de réception à l'Académie; le récipiendaire n'avait pas manqué à la tradition.Mais si le directeur n'y avait pas manqué non plus, qu'aurait-il répondu au récipiendaire ? D'abord que M.

de Buffonfaisait la part trop belle à la raison souveraine; que, principe d'ordre, elle n'était pas de toute nécessité principe demouvement, qu'elle n'était pas la seule source de naturel, de lumière, de chaleur.

Sans doute, lorsque, contemplantl'idéedans toute sa vérité éclatante, l'intelligence la voit resplendir et rayonner, l'âme est remuée tout entière et attiréepar un élan irrésistible ; elle s'échauffe et éprouve un enthousiasme qui la pénètre et la soulève.

Mais il y a d'autresémotions que les émotions intellectuelles, et celles-ci ne sauraient suffire au poète lyrique ou tragique, au conteurou au romancier, à l'orateur sacré ou laïc.

Que dis-je? Peuvent-elles même suffire au savant ? M.

de Buffon qui nousfait une confidence, qui ne pense qu'à lui en donnant des conseils aux autres, et qu'à son Histoire naturelle enédictant des lois qu'il croit générales, n'a même pas énoncé des formules assez vastes pour enfermer l'art del'écrivain qui étudie les ouvrages parfaits de la nature, pour s'appliquer complètement au style scientifique.

N'a-t-ilpas été ingrat envers l'imagination et la sensibilité, le grand génie qu'on a rapproché d'Epicure, de Lucrèce, et dePline l'Ancien, et qui, dans les Époques de la nature, a percé la nuit des temps, déployé le spectacle grandiose desrévolutions antérieures à la mémoire des hommes, et célébré les victoires de l'humanité sur l'univers, le triomphe del'intelligence sur la matière? L'imagination du savant est bridée parles méthodes d'investigation, patientes etminutieuses ; sa sensibilité, maîtrisée, par sa volonté disciplinée et robuste, ne saurait l'entraîner loin de la sérénitéimpartiale et clairvoyante : cela est juste, mais l'une et l'autre sont les vraies sources de la chaleur et dumouvement ; l'une et l'autre agissent sur l'âme des lecteurs, et apportent au style une vie intense, une couleuroriginale, une force de sympathie qui gagne tous les cœurs.

La Raison est souveraine, soit ; mais il y a une Muse quis'appelle Uranie ; il n'y en a pas qui s'appelle : la Raison !A cela M.

de Buffon aurait répliqué, après la fin de la séance : « Nous ne sommes pas près de nous entendre, parceque nous ne partons pas de la même définition du « mouvement ».

Il y a en effet dans l'éloquence, dans le roman,dans la poésie des élans de l'imagination et de la sensibilité qui déconcertent et qui enlèvent; il suffit, pour éprouverces émotions et les communiquer à d'autres, d'avoir un cœur qui « sente vivement », et qui marque énergiquementau dehors ses élans passionnés.

Mais quand on a la tête ferme, le goût délicat, le sens exquis, on résiste et onlaisse au vulgaire la faiblesse de ces surprises.

La poésie ? Mais la meilleure est celle qui a les mérites de la prose laplus pure; les romanciers m'ennuient ; les orateurs ne me séduisent que s'ils ont les qualités des écrivains parfaits.Je n'aime ni les soubresauts, ni les saccades; je veux un mouvement ininterrompu, qui s'étend de proche en proche,sans arrêt dans la marche droite et sûre vers la vérité.

Pour cela, il ne faut pas permettre à l'imagination et lasensibilité de venir, en cours de route, se jeter au travers; tous nos efforts ont pour but de réprimer leurs excès, defaire place nette devant l'intelligence que rien ne doit gêner dans la contemplation des idées essentielles etsecondaires.

Voilà pourquoi une longue méditation est indispensable pour établir un ordre où tout soit calculé, oùrien ne soit abandonné à l'imprévu, où aucune fissure ne soit laissée par où les passions viennent apporter le. »

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