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CHAPITRE III de Carmen de Mérimée

Publié le 23/06/2015

Extrait du document

11. Les librettistes sont restés très proches de la nouvelle et n'ont procédé qu'à peu de modifications. Le décor comporte effectivement les éléments essentiels la manu¬facture de tabac, le corps de garde, une chaise (au lieu du banc signalé dans la nouvelle, mais la différence est insignifiante). De même la scène se déroule quasiment de manière identique : la discussion entre don José et son lieutenant est la transposition théâtrale des confidences de don José au narrateur, Carmen paraît dans le même appareil vesti¬mentaire, se livre aux mêmes provocations et aux mêmes agressions (qu'il s'agisse de don José ou de sa consoeur) que dans la nouvelle. Le fait est que le récit de Mérimée est tout en rebondissements, en mouvements et en accidents : les librettistes n'ont pas eu à en changer profondément l'organisation pour les besoins de la scène.

De plus, la disposition des lieux conçus par Mérimée (un lieu central qui en l'occurrence est un seuil, la porte), délimitant deux mondes très distincts (la rue d'une part, la manu¬facture d'autre part, ou encore le monde des hommes d'un côté et celui des femmes de l'autre) se prête admirablement au travail théâtral, même si contrairement à la nouvelle, ce qui se passe à l'extérieur de la manufacture ne nous est pas montré.

Seul ajout véritable : le personnage de Micaela qui intervient juste après la rencontre de Carmen et qui permet d'entretenir l'intérêt du spectateur et de ne pas laisser don José —ce qui est le cas dans la nouvelle — s'abandonner à son amour naissant.

On signalera aussi la présence dans l'opéra des jeunes gens dont la fonction, au début de la scène 5 par exemple, est de susciter une réponse chantée de Carmen (c'est le fameux air : « L'amour est un oiseau rebelle... «). C'est l'occasion ici de faire apparaître la force charnelle et les talents multiples de la bohémienne qui peut tout à loisir, sur cette sorte de boléro aux allures flamenca chanter, danser et séduire.

12. La foule : dans l'opéra de Bizet les foules sont nombreuses et pressantes. Toute cette première partie de l'ceuvre est dominée par les mouvements de foule incessants : les jeunes gens, les cigarières, la garde montante se succèdent dans un tourbillon cha¬marré duquel émerge Carmen, telle une Diane singulière sortant d'une onde trouble. Mais ces moments de tumulte alternent avec des moments • nus « où les personnages principaux se trouvent seul à seul.

La foule est donc ou très proche ou très éloignée, ce qui correspond bien à son statut actantiel dans la nouvelle. On pourrait nuancer cependant : il n'est pas permis au coin 

 

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positeur d'opéra de retrouver ni de recréer l'atmosphère fantastique caractéristique de l'écriture de Mérimée qui transforme la foule en une entité inquiétante, lui conférant la particularité d'être à la fois (et paradoxalement) présente et absente.

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COMPRÉHENSION

1. Certains personnages secondaires servent de balises ou de points d'appui au déroulement de l'action, dont ils garantissent la véracité : les deux dragons, le géôlier, les commères dans la rue ont pour fonction de signifier respectivement l'existence d'une autorité, d'une administration, d'une population urbaine.

Les autres personnages secondaires (Nina, Longa, Chapalangarra, cf. p. 62) ne sont évo-qués que pour mieux cerner la personnalité trouble de don José et permettre d'apprécier son itinéraire moral.

2. Le contexte militaire :

les deux dragons,

— le corps de garde,

les armes (sabres, lances...),

— les uniformes (les éperons, la capote 1. 257, ...),

la faction (1 272), le peloton d'exécution (I. 275),

les grades (capitaine, colonel 1. 224

l'allusion aux • conscrits etc.

Don José est habitué aux situations violentes, par le métier même qu'il exerce, et il y est, pour ainsi dire, condamné puisqu'il ne saurait y échapper et que rien, de ce point de vue, ne lui sera par la suite épargné.

3. L'acte irréparable qui va causer la déchéance de don José est la faiblesse coupable dont il fait preuve à l'égard de Carmen en la relâchant. Il songe, inconsidérément, que personne ne s'apercevra du stratagème conçu pour libérer la prisonnière, mais il est bientôt confondu et sa carrière militaire est brisée sans recours.

4. Don José est manifestement amoureux de Carmen puisqu'il conserve par devers lui comme le bien le plus précieux cette fleur de cassie qu'• elle lui avait jetée et qui, sèche, gardait toujours sa bonne odeur... •. Le fétichisme dont il fait preuve montre qu'il est déjà lié à cette Carmen plus profondément et plus insidieusement qu'il ne le croit : même en prison, il est incapable d'éprouver la moindre rancune pour celle qui est la cause de son malheur. Mieux : elle devient, peu à peu, la femme unique, celle qui occu¬pe toutes ses pensées, la seule qui soit aimable.

5. (cf. p. 59 — 1. 118, cf. aussi l'analyse en fin d'ouvrage dans la partie Index thématique, à la rubrique • CEil •).

L'oeil de Carmen est aussi l'oeil du Malin, le • mauvais oeil • ; le regard que Carmen jette alors à ses victimes relève du sortilège ou de la malédiction. Dès lors que Carmen l'a regardé, don José erre dans un royaume ténébreux où il cherche en vain à retrouver sa liberté perdue. Cette image de l'oeil de Carmen est peut-être l'allégorie de la mauvaise conscience de don José, il rappelle en tout cas l'oeil de Jahvé dans L'Ancien Testa 

 

CARMEN

ment (*) ou le thème — cher aux romantiques — du soleil noir avec lequel on peut établir ici des rapprochements.

Il est intéressant de noter que Carmen ne montre qu'un oeil, tandis qu'elle est immédia¬tement placée entre deux dragons... Cette dialectique, très complexe en réalité, de l'Un et du Double est à mettre en relation avec la problématique de l'aliénation ; don José s'est, d'une certaine manière, aliéné à Carmen dans la mesure où se produit et s'accentue le dédoublement de sa personnalité.

6. Carmen découvre des parties de son anatomie et de son corps en général :

elle « montre un seul de ses grands yeux « (1. 118)

« son minois enjôleur JJ (I. 129)

— ses jambes admirables (1. 197)

ses bas troués (1. 234) retiennent particulièrement l'attention de don José.

La stratégie de séduction de Carmen se confirme : il s'agit pour elle de faire entrevoir, c'est-à-dire de montrer tout en retirant. C'est là une manière de susciter le désir, ce der¬nier pouvant, de ce point de vue, se définir comme le besoin de faire cesser ces inter¬mittences du monde sensible et de rétablir une continuité de la perception.

7. L'art de la métamorphose

— Carmen se fait passer, aux yeux de don José, pour une • payse •, c'est-à-dire une com-patriote, originaire de la même région (en l'occurrence La Navarre). Elle feint de parler sa langue (cf. « Laguna, ene bihotsarena • 1. 156), de connaître les moeurs navarraises (cf. l'allusion au « maquila «, à la production du cidre, 1. 169...), la terre navarraise, le sens de l'honneur navarrais (cf. 1. 170).

Carmen excelle au jeu de la métamorphose mais elle est, plus encore, une très fine psychologue : parce qu'elle a deviné que rien n'émeut davantage don José que le souve¬nir de sa terre natale et qu'il y repense comme à un paradis perdu (elle le voit en effet tressaillir « aux premiers mots qu'elle prononce en basque), parce qu'elle sait aussi quel attachement vouent les Espagnols à leur région ou province d'origine, elle tient précisé¬ment le discours nostalgique et patriotique qui va paralyser le jugement de son gardien et lui ôter sa lucidité.

8. Il est une autre explication possible et le mot de « liberté « est équivoque. En lui procurant les moyens de se sauver de prison, Carmen sait qu'elle fait franchir à don José un pas de plus dans le processus de marginalisation qui s'est amorcé ; non seulement don José a manqué à son devoir en se faisant complice de la fuite d'une personne dont il avait la garde, mais il est « relaps « et aggrave son cas en refusant de reconnaître le ver¬dict d'emprisonnement qui a été prononcé contre lui. Ce faisant donc, Carmen travaille non pas à libérer don José mais à le marginaliser et à l'intégrer davantage à cette secte ou cette armée de rebelles dont elle est l'égérie. Ce n'est pas de liberté qu'il conviendrait de parler, mais d'aliénation.

On remarquera, au passage, la prédilection de Carmen pour les objets contondants : c'est une lime qu'elle adresse au prisonnier, de même qu'elle manie à son aise le cou¬teau (cf. p. 55) ou se montre d'abord fascinée par l'épinglette du brigadier. Il est évi¬dent, assurait déjà le narrateur au chapitre II, qu'elle n'est pas sorcière à demi «.

9. Le thème de l'errance :

(*) car il y a des correspondances — Baudelaire ne nous contredirait pas — entre l'ceil de Dieu et l'ceil du Diable.

 

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— don José en est au premier stade de l'errance, mais il semble qu'il n'ait déjà plus d'autre recours. Mis « hors-la-loi « un peu contre son gré, il lui faut à présent fuir les représentants de l'ordre établi et ne jamais trouver de place nulle part.

— Carmen, en tant que bohémienne, a adopté depuis toujours ce type de vie. — le narrateur n'est au fond lui aussi qu'un voyageur impénitent qui, au nom de préoccu¬pations historiographiques erre de ville en ville en Andalousie et chemine interminable¬ment dans une Espagne qui le retient malgré lui.

10. La Vénus d'Ille

Le joueur de paume est précisément le futur mari de Melle Puygarrig, Alphonse de Pey-rehorade, fils d'un notable catalan, amateur d'archéologie. • Monsieur Alphonse . est un dandy un peu fat qui s'apprête à célébrer ses noces en grande pompe.

Comme don José, ce personnage est d'un naturel orgueilleux et violent : il affronte au jeu de paume, le jour même de ses noces, un Aragonais (un Espagnol, précisément...) et l'emporte non sans humilier quelque peu son adversaire. Comme pour don José (cf. p. 51) le jeu de paume va mener au pire : c'est au cours de cette partie qu'il va, sans le vouloir, provoquer et la colère de Vénus (c'est une statue de Vénus récemment exhu¬mée) et la ruine de ses espérances. Comme don José enfin, il est ensorcelé par une créa¬ture fantastique qui contrarie sa destinée et fomente sa perte : Monsieur Alphonse meurt le soir même de ses noces, étouffé dans son lit par un mystérieux géant de bronze qui correspond au « signalement « de la Vénus d'Ille.

Détail supplémentaire : les adversaires respectifs (au jeu de paume) de don José et Mon¬sieur Alphonse présentent la particularité d'être assimilés ou assimilables à des noirs, par le biais soit de la synecdoque (Mina et Chapalangarra sont des « negros -, c'est-à-dire des libéraux, par opposition aux royalistes, les blancs), soit de l'hyperbole (il est dit que l'Aragonais a « la peau basanée « et « d'une teinte presque aussi foncée que le bronze [de la statue] «).

ÉCRITURE

11. « ma pauvre mère /.../ n'a qu'un petit « barratcea « /.../ . (1. 168) • Laguna, ene bihotsarena «, camarade de mon coeur, êtes-vous du pays ? (1. 157) « son béret bleu et son « maquila • (1. 174), etc. Mérimée introduit de façon artificielle des mots ou des expressions basques, sans chercher à connaître vraiment l'âme de cette langue ou de ce peuple ; ce ne sont que des bribes pittoresques, destinées à « faire couleur locale « et qui sont utilisées dans le discours de Carmen comme autant de formules magiques.

Carmen appelle aussi don José « son pays «, soulignant par là leur appartenance, imagi-naire, à une même région d'origine. Il ne s'agit nullement d'une traduction du navarrais mais d'un terme familier et probablement dialectal, du français (qui se ressent alors de l'étymologie, puisque le mot « pays « provient du latin « pagensis « = habitant d'un bourg). L'authenticité de la langue parlée par Carmen, on le voit, doit être sérieusement mise en doute.

12. La construction de cette phrase est sinon incorrecte, du moins inhabituelle. Le participe passé au pluriel (« arrivés •) ne se trouve pas en apposition au sujet (« le maré¬chal des logis •) de la phrase — ce qui est normalement le cas —, il constitue le prédicat d'une proposition participiale dont le sujet est sous-entendu (construction très proche de l'ablatif absolu latin). On peut parler ici d'anacoluthe, dans la mesure où la construction

 

CARMEN

elliptique produit une rupture syntaxique.

13. - • Mais dans la me du Sergent, — vous la connaissez, elle mérite bien son nom

/.../ « (p. 59, 1. 126)

— « La • bar lachi, monsieur, c'est la pierre d'aimant ... « (1. 139)

— • Vous saurez que les bohémiens, monsieur, /.../ « (1. 150)

— « Elle mentait, monsieur, 1...1 « (1. 176)

— • En moins de temps que je n'en mets à vous le dire .. (1. 205)

« Le croiriez-vous, monsieur ? « (1. 233)

— • Vous pensez bien que ... « (1. 258)

« Vous ne pouvez vous figurer ... « (1. 273).

Il est clair que don José associe étroitement son interlocuteur au récit de ses malheurs. C'est en fonction de cet allocutaire (le terme est de Benveniste) que ce récit s'organise précisément, qu'il prend sens. On voit bien ici que ce narrateur n° 1 (le voyageur-histo-riographe) n'a pas seulement pour fonction de prêter une oreille attentive aux propos qui lui sont tenus, mais qu'il est, contre toute attente, une pièce importante de cet échiquier moral, bref qu'il est partie prenante et impliqué dans le drame. La dernière phrase de ce passage (• le monde vous regarde «), parfaitement ambigüe, n'en a que plus de portée.

« CARMEN 5.

Les indices : -dans sa mise : · Dans mon pays, une femme en ce costume aurait obligé le monde à se signer • (p.

53).

C'est donc qu'elle est bel et bien un être dangereux et impie.

-dans ses propos : " allons /.

.

./, fais-moi ~ aunes de dentelle noire pour une man­ tille /.

.

./! • (p.

53).

Or on sait quelle est l'importance symbolique du chiffre 7 dans les contes de fée et daŒ le langage de l'Inconscient.

Sa valeur magique et la mystérieuse fascination qu'il exerce sont bien connues.

-dans ses réactions : don José l'associe instinctivement au chat, animal dont de vieilles croyances ont souvent fait l'emblème du mal (cf.

les poèmes bien connus de Baudelaire et la nouvelle de Poe Le Chat noir) ; il souligne aussi son comportement d'insoumise, son indêpendance farouche, son mépris des lois naturelles, son goût pour la révolte : (p.

53).

Carmen est aussi celle qui épingle (cf.

p.

53) sa victime.

6.

La tenue vestimentaire de Carmen : la couleur rouge est dominante (cf.

son jupon, ses souliers) évoquant le sang et soulignant donc la cruauté du personnage ; ses rubans sont · couleur de feu • faut-il y discerner quelque rapport avec ses pratiques infernales ? De plus, elle porte tout l'attirail de la séduction, laissant toujours " entrouvert· son quant­ à-soi, s'exhibant et se dissimulant à la fois, fidèle à sa tactique de toujours qui consiste à se donner et à se reprendre immédiatement.

Son jupon "laisse voir" ses jambes, ses bas de soie ont "plus d'un trou·, enfin elle "écarte sa mantille afin de montrer ses épaules", etc.

Ce frou-frou érotique, notons-le, n'est pas une invention de Cannen ; il semble qu'elle ait revêtu le costume traditionnel des andalous, très coloré (rouge, noir, blanc ici) et très apprêté.

7.

Le Guadalquivir: dans la première partie, Carmen se baignait dans le Guadalquivir, ici elle travaille à proximité de cette rivière qui, d'une certaine manière, relie Cordoue à Séville et l'épisode précédent à cet épisode-ci : le fait est que les rencontres le narra­ teur/Cannen et don José/Cannen sont similaires et évoquées en termes comparables.

(La phrase : "À l'heure où les ouvrières rentrent / ..

./, bien des jeunes gens vont les voir pas­ ser" répond à la phrase : • Vers le coucher du soleiL il y a quantité d'oisifs sur le quai qui borde la rive droite du Guadalquivir" (p.

35)).

La situation est pour ainsi dire la même (les hommes contemplent le spectacle de femmes se livrant à leur occupation quotidien­ ne), le fleuve est le référent imaginaire essentiel (dans cette ze rencontre, il est fait allu­ sion à une " pêche " miraculeuse, au cours de laquelle " les amateurs n'ont qu'à se bais­ ser pour prendre le poisson ..

), le décor lui-même est presque identique (dans le premier cas, c'est une tannerie qui borde le fleuve, dans le second, une manufacture de tabacs).

Les personnages et les rôles ont changé mais la scène de la séduction reste, en quelque sorte, la même.

Le Guadalquivir n'est autre peut-être que le Styx, au-delà duquel s'étend le royaume des morts et qui charrie en son sein d'affreuses monstruosités, à moins qu'il ne soit une figure du serpent, symbole de la tentation dans la cosmologie biblique.

8.

L'épisode nous est conté de façon humoristique, les cris poussés par la femme blessée (• Confession 1 confession ! je suis morte 1 ·) rappellent en effet la débâcle des fouaciers de Lerné, mis en déroute par Frère Jean des Entommeures et sa cohorte de moines (dans Gargantua de Rabelais).

À celle qui " se vante d'avoir assez d'argent pour acheter un âne .

(p.

55), Carmen. »

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