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CHAPITRE II de Carmen de Mérimée

Publié le 23/06/2015

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1. Carmen volt son plan contrarié par l'irruption intempestive de don José : elle s'apprêtait, selon toute vraisemblance, à berner cet étranger et à le dépouiller de ses biens, et ne peut, par conséquent, mener à bien son projet. Elle en conçoit beaucoup de dépit. Peut-être aussi, en dernier recours (cf. I. 181 à 189) propose-t-elle à son allié d'en finir avec ce voyageur et de lui ôter la vie.

Une autre interprétation est possible : le terme de • payllo « s'applique non pas à l'étran‑

CHAPITRE II Questions p. 46

ger mais à José lui-même, ce qui est conforme à la suite des événements (Carmen en effet — cf. p. 71 — ne cessera de traiter José de • payllo •). De la sorte, la fureur finale de Carmen n'est peut-être que l'expression du déplaisir de voir son désir frustré et la réac­tion face à la jalousie agressive de celui que l'on connaîtra bientôt comme son amant et qui est tenu ici pour un importun.

2.   Le narrateur invoque la nécessité de • revoir quelques amis • et de • faire quelques commissions • ; Cordoue l'intéresse aussi au titre • d'antique capitale des princes musul­mans «, comme si des considérations historiques le ramenaient d'abord dans cette ville. Le lecteur n'est évidemment pas dupe qui a bien compris — ne serait-ce qu'en raison de l'aveu du narrateur qui prétend (p. 43) • avoir pris en grippe cette belle ville • — que les motiva­tions sont tout autres. Carmen exerce déjà son empire ; en outre, on est bien navré et vexé d'avoir interrompu en si bon chemin une séance qui promettait bien des agréments.

3.   Carmen a pour le narrateur l'attrait des jeux interdits. D'une part, elle est celle qui, experte en magie et sorcelleries de tous ordres, va lui permettre d'assouvir son ancienne passion pour les sciences occultes. Elle suscite d'autre part et principalement une attirance sexuelle inavouée ; certains indices le donnent à penser : la phrase à double sens (• Malheureusement nous fûmes bientôt dérangés • p. 40) ou encore la honte dont fait preuve le narrateur en présence du dominicain à l'évocation de son pre­mier séjour à Cordoue. Le gentleman, le touriste érudit et distingué n'aurait pas dédai­gné, en réalité, de connaître les faveurs de la • gitana

4.   Le rituel magique : (p. 40)

Les gestes : — faire la croix dans [la] main gauche avec une pièce de monnaie — Carmen ensuite « passe et repasse rapidement sa petite main sous son menton « (p. 42). S'agit-il de la phrase ultime du rituel et de la préparation au sacrifice final ?... Les éléments du « temple • : — une petite table plus deux tabourets, un coffre, une jarre d'eau, un tas d'oranges, une botte d'oignons

Les objets : — des cartes, un aimant, un caméléon desséché et • quelques autres objets nécessaires à [cet] art «...

5.. L'idiome des gitanos • : il existe réellement puisqu'il est encore parlé actuellement. Il s'agit d'un dialecte du castillan, • enrichi • d'un vocabulaire plus spécifiquement gitan. Au xixe siècle cette langue • calô « était un peu moins redevable de la langue espagnole qu'aujourd'hui et certains traits morpho-syntaxiques rappelaient, dit-on, les structures des langues indo-européennes et l'apparentaient au sanscrit'.

 

Mérimée se sert de l'idiome • chipe calli • pour faire couleur locale et agrémenter son récit de traits pittoresques, absolument caractéristiques de la région en question, mais il tend aussi à la considérer comme une langue cabalistique, inintelligible pour les non-ini­tiés, code secret tout autant que néfaste d'une communauté fomentant dans l'ombre quelque noire entreprise. De son propre aveu, le narrateur • n'entend pas « ce qui se dit et le mot de • payllo « a, comme tous les autres, des consonances bizarres. Le lecteur, de fait, n'entend pas davantage cette • langue mystérieuse • dont seules quelques bribes lui sont rapportées. On est tenté d'évoquer la Cabale2 des Juifs d'Espagne, c'est-à-dire ce

« CHAPITRE Il Questions p.

40 est comparable à ces compagnes de Diane, à la beauté apollinienne : les nymphes.

Au terme de cette séquence cependant, il se trouve en présence d'une créature .

étrange et sauvage· (p.

39), dont l'énergie et peut-être la cruauté rappellent l'instinct prédateur du loup.

Peu à peu, les manières polies des premiers instants perdent toute signification : le vrai visage de Carmen apparaît.

5.

Le narrateur-dandy : le fait que son interlocutrice le prenne d'abord pour un Anglais est sans doute révélateur de sa tenue vestimentaire et de certaines filiations avec Brummell ; de plus, il ne se départit à aucun moment de ses façons hautaines : ces bai­ gneuses sont d'assez méprisables • grisettes .

et l'on ne s'abaisse pas à désirer ce type de femmes (cf.

le commentaire un peu cinglant à propos de ce · bain public · très spécial : • Je n'y étais pas · -p.

36).

Le dandy se reconnaît davantage encore à son mépris des mœurs bourgeoises jugées vulgaires, mépris qui confine souvent à la misanthropie.

Il est clair ici que le narrateur éprouve un grand plaisir à scandaliser les notables de la ville et à s'affranchir des bonnes mœurs, en se commettant auprès d'une jeune femme peu fréquentable : .

]'eus alors tout le loisir d'examiner ma • gitana •, assure-t-il, pendant que quelques honnêtes gens s'éba­ hissaient, en prenant leurs glaces, de me voir en si bonne compagnie • (p.

38).

6.

Le narrateur est d'entrée de jeu un • observateur crépusculaire • dans la mesure où, sans en être réellement conscient d'abord, il s'engage peu à peu dans une aventure ténébreuse.

" L'obscure clarté qui tombe des étoiles • envahit d'emblée l'univers au sein duquel le • héros " va évoluer et l'on n'a peut-être pas assez souligné ce phénomène selon lequel le récit de Carmen est, pour ainsi dire, condamné à cette luminosité malé­ fique, à cene pénombre tenace, à cette semi-opacité (ou semi-transparence) qui affecte et les personnages et le monde qui les enserre.

Il ne s'agit pas de ténèbres profondes mais d'un état intermédiaire entre le jour et la nuit, d'une éclipse durable et imprévue, de l'indicible hésitation de toutes choses .

Plusieurs indices le confirment : Carmen et le narrateur se noient dans la fumée de leurs cigares, la table de la " neveria • n'est éclairée que d' • une bougie enfermée dans un globe de verre ', les cheveux de Carmen sont ..

noirs à reflets bleus comme l'aile d'un corbeau" ...

7.

la rencontre : c'est évidemment Carmen qui, depuis le début, a l'initiative : c'est elle qui vient s'asseoir auprès de l'étranger • appuyé sur le parapet du quai ..

, c'est elle qui découvre son visage, réclame un cigare, pose les questions (cf.

p.

37), entreprend la conversation, etc.

Les rôles sont évidemment inversés son interlocuteur est passif et subit déjà la volonté de cette femme hors du commun qui a aussi l'intelligence de lui laisser croire, au moment d'aller " prendre des glaces ·, qu'il est le maître du jeu.

Cette stratégie de séduction vise à circonvenir l'intrus, à déposséder cet étranger de tout ce qui pourrait lui conférer quelque puissance.

8.

Carmen fume des cigares, ce qui est habituellement et pour l'époque surtout, l'apanage des hommes.

C'est là encore une manière de signifier que non seulement les rôles mais les rapports de force et peut-être aussi les identités sexuelles sont inversés.

Il est révélateur que le narrateur jette son cigare au moment même où Carmen désire en allumer un : la critique psychanalytique, considérant le cigare comme le symbole phal­ lique par excellence, aurait tôt fait d'interpréter cette scène comme la manifestation d'un double fantasme de castration, de virilisation, générateur de ce curieux rituel de l'échan­ ge des attributs sexuels .. »

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