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CHAPITRE I de Carmen de Mérimée

Publié le 23/06/2015

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CHAPITRE I

1. C'est le critique Gérard Genette qui, dans le désormais très célèbre Figures III, introduit ces notions narratologiques nouvelles. Le narrateur est extra— ou intradiégétique selon qu'il figure ou non en tant que narrateur, dans l'histoire racontée ; il est hétéro —ou homodiégétique selon qu'il figure ou non, en tant que personnage, dans l'histoire qu'il raconte. Toutes les combinaisons ou presque sont alors envisageables et envisagées par Genette qui, par exemple, cite Homère comme cas parfait de narrateur extra et hétéro-diégétique : non seulement en effet Homère est absent de son histoire mais encore il la raconte « au premier degré «.

Dans le cas présent, le narrateur adopte d'emblée un statut de narrateur intradiégétique dans la mesure où il se désigne manifestement comme l'instance narrative, revendique la paternité du récit qui va suivre et s'adresse directement à son lecteur : « En attendant que ma dissertation, précise-t-il, résolve enfin le problème géographique qui tient toute l'Europe savante en suspens, je veux vous raconter une petite histoire /.../ (p. 11).

D'une manière générale, on parlera de narrateur intradiégétique, dès lors que ce dernier est un tant soit peu mis en scène, que sont précisées les conditions de production de son discours et que l'acte — voire le geste — de narrer intervient en tant que fait signifiant dans le récit. C'est le cas ici, le narrateur tendant, selon toute vraisemblance, à se présen¬ter comme l'Écrivain et l'Écrivant par excellence (il est fait allusion à cette fameuse « dis¬sertation « qu'il prépare) ; ce sera aussi le cas et de façon plus probante encore dans la Ille partie de Carmen, une fois que don José aura pris le relais du narrateur.

Remarquons que chez Stendhal, qui à bien des points de vue constitue le modèle de Mérimée, le narrateur intradiégétique n'intervient pour ainsi dire jamais. Dans Le Rouge et le Noir, La Chartreuse de Parme, la narration va de soi et si d'aventure, pour des rai¬sons de coquetterie ou par crainte de la censure, on se pose en simple chroniqueur de faits réels (voir aussi à ce sujet Les Chroniques italiennes), il ne s'agit que d'un maquilla¬ge insignifiant et nullement de ces trompe-Pceil narratifs sciemment mis en place aux¬quels Mérimée a habitué son lecteur.

On ajoutera que, dans ce passage, le narrateur est également homodiégétique puisqu'il ne tarde guère à participer effectivement à l'action et à figurer, en tant que personnage à part entière, dans le récit : « J'avais loué à Cordoue ... «.

2. L'explorateur ici n'a rien de l'aventurier intrépide et se vouant, par définition, à la contingence ; il ne manifeste pas réellement de goût pour la fantaisie, l'imprévu ou l'improvisation et ne cherche visiblement pas — pour reprendre les termes de Claudel dans Le Soulier de Satin — • à s'enfoncer aussi loin qu'il est possible d'aller, vers cette autre frontière de l'Espagne, le feu «. L'espèce d'ivresse et le sentiment de s'abandonner en quelque sorte à une destinée vague qu'éprouvèrent les « conquistadores « en route vers les Amériques n'ont rien à voir avec la minutie et la rigueur avec lesquelles le narra¬teur a organisé son voyage. Rien ne se présentera à lui qu'il ne pense avoir déjà trouvé ou prévu ; l'itinéraire qu'il s'est fixé en Andalousie est déterminé par des lectures préa¬lables et notamment par l'étude des Commentaires de César et du Bellum Hispaniense. Ses préoccupations sont donc essentiellement d'ordre intellectuel : il s'agit pour lui de localiser avec précision le théâtre d'une bataille qui vit César triompher définitivement de l'opposition pompéienne, il ne conçoit pas le voyage sans livres, il est pétri de réfé 

 

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rences livresques (c'est à la Bible qu'il a recours encore lorsqu'il se compare, au moment de se désaltérer, aux « mauvais soldats de Gédéon «).

Son sens pratique néanmoins ne doit pas être mis en doute et le voyageur, pour être intellectuel et animé de préoccupations savantes, est loin de se comporter en rêveur naïf : sa connaissance du terrain est certaine (il identifie sans mal la sierra de Cabra «), ses déductions , à la vue d'une « petite pelouse verte parsemée de joncs et de roseaux «, révèlent une certaine sagacité et cette propension instinctive des voyageurs expérimentés à assurer d'abord leur propre survie dès qu'ils se savent en péril et à détecter les points d'eau en milieu désertique ; en outre, l'extrême prudence dont il fait preuve à l'approche de l'inconnu — comparable aux précautions que prennent les zoologistes en présence d'animaux sauvages — dénote un visiteur/chercheur averti.

Il semble enfin être familier de l'Espagne et montre une bonne connaissance de l'espa¬gnol (cf. note p. 15).

3. À plusieurs reprises, il réagit en . gentleman «, tout à la fois en étranger et en homme de condition ; ses manières d'ailleurs manquent indiciblement de naturel :

il salue d'abord l'inconnu « d'un signe de tête familier «

— il s'excuse d'avoir « troublé son sommeil «

il lui propose un cigare, non sans avoir pris auparavant la précaution de lui demander s'il fumait

plus généralement, ses interventions procèdent toutes d'un code moral à la fois austè¬re, charitable et guindé, tout à fait caractéristique de la civilité anglaise, telle qu'elle était

prêchée • de façon très ostensible encore au XIXe siècle. Des formules du type À

moi n'appartenait pas l'honneur d'avoir découvert un si beau lieu « ou « la vue d'une arme à feu ne m'autorisait pas à mettre en doute la moralité de l'inconnu « (p. 14) le prouvent à l'évidence.

« CHAPITRE 1 Questions p.

16 renees livresques (c'est à la Bible qu'il a recours encore lorsqu'il se compare, au moment de se désaltérer, aux • mauvais soldats de Gédéon •).

Son sens pratique néanmoins ne doit pas être mis en doute et le voyageur, pour être intellectuel et animé de préoccupations savantes, est loin de se comporter en rêveur naïf : sa connaissance du terrain est certaine (il identifie sans mal la ..

sierra de Cabra ..

), ses déductions , à la vue d'une " petite pelouse verte parsemée de joncs et de roseaux ..

, révèlent une certaine sagacité et cette propension instinctive des voyageurs expérimentés à assurer d'abord leur propre survie dès qu'ils se savent en péril et à détecter les points d'eau en milieu désertique ; en outre, l'extrême prudence dont il fait preuve à l'approche de l'inconnu -comparable aux précautions que prennent les zoologistes en présence d'animaux sauvages -dénote un visiteur/ chercheur averti.

Il semble enfin être familier de l'Espagne et montre une bonne connaissance de l'espa­ gnol (cf.

note p.

15).

3.

À plusieurs reprises, il réagit en • gentleman •, tout à la fois en étranger et en homme de condition ; ses manières d'ailleurs manquent indiciblement de naturel : - il salue d'abord l'inconnu ..

d'un signe de tête familier • -il s'excuse d'avoir ..

troublé son sommeil · -il lui propose un cigare, non sans avoir pris auparavant la précaution de lui demander s'il fumait - plus généralement, ses interventions procèdent toutes d'un code moral à la fois austè­ re, charitable et guindé, tout à fait caractéristique de la civilité anglaise, telle qu'elle était ..

prêchée .

de façon très ostensible encore au XJXe siècle.

Des formules du type ..

À moi n'appartenait pas l'honneur d'avoir découvert un si beau lieu · ou ..

la vue d'une arme à feu ne m'autorisait pas à mettre en doute la moralité de l'inconnu ..

(p.

14) le prouvent à l'évidence.

4.

• L'homme à l'espingole • montre immédiatement des signes de méfiance : son pre­ mier réflexe est de se munir de son arme, il · toise ensuite de la tête aux pieds · le nou­ veau venu et son guide, puis, rassuré sur la nature réelle du danger, semble ne plus tenir compte de leur présence.

Il n'a, jusqu'à cet instant, proféré aucune parole : selon toute vraisemblance, c'est un être violent, rompu à l'emploi des armes, solitaire, peu sociable, endurci par son mode de vie.

Les adjectifs qui viennent sous la plume du narrateur confirment cette impression : ..

sombre, fier, farouche •.

C'est la raison pour laquelle ses premières paroles surprennent quelque peu ...

Oui, monsieur., telle est la réponse, fort polie, à la question posée par le voyageur/narrateur en guise d'entrée en matière.

Puis, comme s'il était de longue date accoutumé aux délices du cigare : ..

Ah ! s'écrie-t-il/ ..

./, comme il y [a] longtemps que je n'lai] fumé ! •.

Ce ne sont là ni des onomatopées grossières, ni les bribes réticentes qu'en de telles cir­ constances on serait en droit d'attendre de la part d'un être aussi sauvage, ni les accents de l'andalou populaire ; bien au contraire : les formules sont convenables, la conversa­ tion qui s'amorce est celle de deux hommes du monde parfaitement au courant des usages et soucieux de n'échanger que des propos de bon ton.

5.

Le personnage intrigue davantage encore si l'on considère attentivement son atti­ tude.

N'est-ce pas pour un hors-la-loi, fût-il traqué par les représentants de l'ordre offi­ ciel, le meilleur moyen d'éveiller les soupçons que de se retrancher d'emblée dans une posture défensive, de montrer une telle suspicion et de se comporter finalement soi­ même en suspect ? Les moindres de ses faits et gestes, en réalité, ont pour fonction, par. »

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