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Chateaubriand, à la veille de la Révolution et de son départ pour l'Amérique, écrit à un ami de Bretagne, qu'il n'a point vu depuis la mort de son père (1787). Il dit l'impression causée en lui par cette mort, ses adieux à Combourg, son retour à Paris, l'aspect de la Cour et de la Ville, le dégoût que lui inspire une telle société, ses ambitions et ses projets.

Publié le 10/02/2012

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chateaubriand

Mon Cher Ami,

J'espérais demeurer quelque temps encore chez ma soeur aînée, ou Je m'étais retiré après la mort de mon père, et je comptais bien, avant de quitter notre chère Bretagne, faire une dernière visite au meilleur de mes amis. Un génie malfaisant s'acharne sur moi et contrecarre tous mes projets. Il m'a fallu revenir en cette Babylone, rappelé d'urgence par une lettre de mon frère. Adieu, bois, rochers, prairies de Marigny, votre hôte d'un jour n'est pas né pour le bonheur !...

chateaubriand

« eussent rougi d'avoir à produire un simple sous-lieutenant au régiment de Navarre! Vous qui avez partagé mes jeux, vous savez que jamais la peur n'eut de prise sur moi.

Eh bien! à cette perspective de paraître à Yersaill~s, je me mis pourtant à trembler de tous mes membres.

Sottes appréhensiOns! Le moment venu, je me sentis parfaitement rassuré, et prêt à répondre aveç un aylomb imperturbable aux.

qu~stions.

royales les plus inattendue~.

Chosé à peme croyable! ce fut le rOI qm perdit contenance.

Il chercha vamement quelle parole aimable il pourrait adresser au nouveau venu, et se contenta de me saluer.

Dans le premier instant j'ai joui malicieusement de son em­ barras, mais après réflexion, je plaignis les pauvres monarques obligés de mettre leur esprit à la torture pour maintenir le prestige de leur autorité.

Quant à la Cour et aux courtisans, ils me dégoûtèrent.

La langue iran­ çaise n'a point d'autre mot pour traduire mon sentiment.

Depuis les jours de La Bruyère et de La Fontaine, rien n'a changé.

La Cour est éternelle" ment le pays où l'on se lève et l'on se couche sur l'intérêt; les courtisans sont toujours ce yeuple caméléon, peuple singe du maître, à qui le fabuliste jetait son mépr1s.

Leur morgue, Jeurs grimaces, leurs vilenies m'ont à jamais rebuté de cette brillante compa~nie dont les joies sont visibles mais fausses, les chagrins invisibles mais reels.

Une chasse à Marly, à laquelle· je fus convié, ne modifia point mon opinion; elle me confirma dans ma résolution de fuir ce monde comme la peste.

La société littéraire m'a été plus accueillante et même, vous l'avouerai-je,.

m'a presque conquis.

J'y trouve une liberté d'allures et de langage, une· hardiesse dans les idées, qui contrastent totalement avec l'hypocrisie hau-· taine de la Cour et qui conviennent à mon esprit indépendant.

Aussi est-ce· dans ces cercles que je dépense le meilleur de mes nombreux loisirs; car~ soit dit en passant, la vie militaire n'est pas absorbante.

La conquête n'est cependant pas définitive; je sqis, vous le savez, l'incertitude, la mobilité memes, le JOuet de mes humeurs.

Je puis, demain, échapper brusquemellt à ceux qui, déjà, me croient tenir...

Présentement, pour ne point faire figure de béotien, j'étudie avec frénésie les Latins, et les Grecs surtout,.

que j'ai fort négligés au collège.

Me bercé-je d'illusions? Il me semble qu'à fréquenter des gens d'esprit, moi d'ordinaire grave et taciturne, je deviens gai et spirituel.

M.

Chamfort est pour beaucoup dans ce miracle.

A entendre un La Harpe, conférencier incomparable, maître incontesté de l'opinion littéraire, je deviens éloquent.

Au contact d'un Parny - dont, vous en souvenez-vous? nous apprenions par cœur les élégies - d'un Le Brun - plus grand peut-être dans ses œuvres que dans sa personne -· d'un Fontanes - si gracieux, si élégant -je me sens devenir poète.

Je rime, mon cher ami; je rime sans répit, je èouvre d'alexandrins toute feuille blanche qui me tombe sous la main.

J'envie la renommée de ces favoris d'Apollon, je désire rivaliser avec eux et voir bientôt figurer dans l'. »

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