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Chénier : La jeune Tarentine

Publié le 06/09/2006

Extrait du document

 

Pleurez, doux alcyons, ô vous, oiseaux sacrés, Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons, pleurez.

Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine. Un vaisseau la portait aux bords de Camarine. Là l'hymen, les chansons, les flûtes, lentement, Devaient la reconduire au seuil de son amant. Une clef vigilante a pour cette journée Dans le cèdre enfermé sa robe d'hyménée Et l'or dont au festin ses bras seraient parés Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés. Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles, Le vent impétueux qui soufflait dans les voiles L'enveloppe. Étonnée, et loin des matelots, Elle crie, elle tombe, elle est au sein des flots. Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine. Son beau corps a roulé sous la vague marine. Thétis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher Aux monstres dévorants eut soin de la cacher. Par ses ordres bientôt les belles Néréides L'élèvent au-dessus des demeures humides, Le portent au rivage, et dans ce monument L'ont, au cap du Zéphir, déposé mollement. Puis de loin à grands cris appelant leurs compagnes, Et les Nymphes des bois, des sources, des montagnes, Toutes frappant leur sein et traînant un long deuil, Répétèrent : « hélas ! « autour de son cercueil. Hélas ! chez ton amant tu n'es point ramenée. Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée. L'or autour de tes bras n'a point serré de nœuds. Les doux parfums n'ont point coulé sur tes cheveux.

 

 

Présentation

 

Né en 1762 à Constantinople d'une mère qu'il croyait d'origine grecque, André Chénier a conçu très jeune un véritable culte pour la Grèce antique.

Pourtant, plus encore que la grande poésie grecque de l'époque classique, c'est celle, gracieuse et un peu maniérée de l'époque héllénistique qu'il imite dans les Mégies et les Bucoliques qu'il compose avant son départ pour Londres en 1787. Il a alors moins de vingt-cinq ans.

Parmi les Bucoliques se trouvent certains des poèmes les plus célèbres de Chénier, en particulier La Jeune Tarentine. Dans ce poème, Chénier s'inspire ouvertement de l'Anthologie grecque (célèbre recueil d'épigrammes et de poésies légères grecques de diverses époques, compilé au Xe siècle par Constantin Céphalas, et en dernier lieu au XIVe siècle par le moine grec Planude).

La Jeune Tarentine est donc une épigramme funéraire : ce poème est censé reproduire l'inscription gravée sur le monument dédié à la jeune morte qu'il évoque.

 

 

Mouvement du texte

La plus grande partie du poème est narrative et évoque successivement les espérances de la jeune Tarentine, sa mort et ses funérailles. Cette partie centrale est encadrée par un prélude, ou si l'on préfère une invocation, et par un postlude dans lequel le poète oppose la cruelle réalité aux espérances de la jeune fille. On a donc : A. Invocation (v. 1 et 2). B. Le dernier voyage de Myrto (v. 3 à 26) : a) Introduction (v. 3). b) La raison du voyage (v. 4 à 6). c) Les préparatifs pour la noce (v. 7 à 10). d) La mort solitaire de Myrto (v. 11 à 16). e) Le deuil des Nymphes (v. 17 à 26). C. Postlude (v. 27 à 30) : La lamentation du Poète. On peut remarquer que les différents éléments de la deuxième (et principale) partie ont des durées progressives : un vers, trois vers, quatre vers, six vers et enfin dix vers. L'accent est donc davantage mis sur la déploration des Nymphes (à laquelle se joint celle du poète lui-même) que sur les circonstances de la mort de la jeune fille. On peut aussi considérer que la dernière partie (v. 27 à 30) est le développement ou l'interprétation par le poète du cri de douleur des Nymphes du vers 26.

 

« Éléments pour une analyse de détail — (v.

1 et 2) Ces deux vers liminaires sont conçus de telle façon qu'ils présentent au niveau rythmique desstructures inverses.

(Parler d'un simple chiasme serait ici inadéquat.) Ils sont faits chacun de trois sectionsoccupant respectivement 2,4 et 6 syllabes ; ces sections forment une progression croissante dans le premier vers,décroissante dans le second.

Il faut donc rythmer (sans trop marquer la virgule qui suit ô vous dans le premier vers): 2 4 + 6 + 6 + 4 + 2.

La répétition intégrale des sections courtes, pleurez et doux alcyons, la répétition partielled'un élément dans les sections longues (le substantif oiseaux) rend la symétrie de cette constructionparticulièrement évidente ou nette pour l'oreille.Par ailleurs, l'encadrement de cette invocation par le double impératif pleurez souligne immédiatement le caractèreélégiaque du poème.

(Une élégie est un petit poème consacré ordinairement au deuil et à la tristesse.) — (v.

1 et 2) Doux alcyons.

Les alcyons sont des oiseaux de mer plus ou moins légendaires (assez semblables auxhirondelles, selon Littré), qui passaient pour ne faire leur nid que sur une mer calme (en particulier pendant les septjours qui précèdent le solstice d'hiver, et les sept jours qui le suivent, appelés pour cette raison jours alcyoniens).Ils étaient donc regardés comme des oiseaux d'heureux présage ce que suggère ici l'adjectif doux et il est logiqueque le poète les invite à pleurer devant le malheur qui frappe sur mer la jeune Tarentine.L'invocation aux oiseaux est soulignée par la solennité de l'apostrophe : ô vous et le développement progressif desoppositions : oiseaux sacrés, oiseaux chers à Thétis qui mettent en valeur le caractère religieux de ce début depoème : Thétis est une divinité marine, fille de Nérée (cf.

v.

19) et mère d'Achille.

Dès le début du poème, Chénierfait donc appel à des images mythologiques.— (v.

3) Elle a vécu.

Cette tournure est un hellénisme : en grec il est d'usage d'employer ainsi le parfait pourdésigner une action parvenue à son terme plutôt que de constater un état présent comme ,dans le français elle estmorte.— (v.

3) Myrto.

Peut-être 'Chénier a-t-il simplement choisi ce prénom pour la grâce de ses sonorités.

On peut aussipenser qu'il a voulu susciter par le simple nom de l'héroïne des associations d'images chez son lecteur : en Grèce lemyrte était une fleur symbolique de la gloire ; à Rome il était consacré à Vénus, déesse de l'amour.

Les amoureuxqui n'avaient pu mener à terme leur passion passaient pour hanter les bois de myrtes des Champs-Élysées (c'est-à-dire du Paradis des Anciens).

C'est en ce sens par exemple que Ronsard écrit dans le sonnet Quand vous serez bienvieille : «Par les ombres myrteux je prendrai mon repos.» Il n'est pas certain que Chénier ait bien lu Ronsard ; saculture classique en revanche, était encyclopédique.— (v.

3) La jeune Tarentine.

Dans l'Antiquité grecque le nom de la cité où l'on est né fait presque partie du nomd'un individu.Toute l'action de notre élégie se passe entre la Grande - Grèce (c'est-à-dire l'Italie du Sud) et la Sicile.

Ces terresn'ont été romanisées que relativement tard.

La date de l'action est d'ailleurs laissée dans une totale imprécision.

Labrièveté de ce vers résume le fait principal du poème avant que celui-ci soit développé.

Il n'y a donc aucunesurprise sur l'issue de l'action.— (v.

4) Bords.

Sens classique : rivage.— (v.

5) Ce vers est formé de quatre segments de trois syllabes (le dernier se joignant par un enjambement au verssuivant) ce qui ralentit le tempo, en accord avec le sens de la phrase : lentement.

Cette apparente dislocation del'alexandrin est compensée par une forte harmonie en / (six fois dans le vers).— (v.

5) Hymen.

Encore un terme appartenant au vocabulaire classique, et signifiant (par métonymie) le mariage etle cortège qui l'accompagne.— (v.

6) Devaient.

L'emploi à l'imparfait du verbe devoir souligne la différence entre les prévisions et les réalités (cf.v.

27).— (v.

6) Au seuil de son amant.

Encore une métonymie : au seuil de la maison de son amant.

La tournure employéeévite les accumulations de compléments (de nom).— (v.

6) Amant.

A prendre ici au sens classique : qui aime et qui est aimé.— (v.

7 à 10) Remarquer les enjambements qui lient ces quatre vers : pas une virgule au cours de cette longuephrase décrivant les préparatifs faits par Myrto, peut-être pour souligner qu'elle s'est donnée à cette tâche sans unmoment de répit.— (v.

7) Une clef vigilante.

La figure de style employée ici est une hypallage : ce n'est pas la clef qui est vigilantebien sûr, mais Myrto, à qui renvoient aussi les possessifs des vers 8 à 10 : sa robe, ses bras, ses...

cheveux.

Cettetournure permet une présentation plus rapide (plus elliptique) des images.— (v.

8) Dans le cèdre.

Encore une forme de métonymie, l'emploi de la matière pour l'objet lui-même : un coffre enbois de cèdre.— (v.

8) Enfermé.

L'inversion place ce mot à la coupe et le met donc en valeur : Myrto a rangé avec soin les objetsnécessaires à son mariage.

Il complète l'expression clef vigilante.— (v.

9) Et l'or.

Même type de métonymie qu'au vers précédent : les bijoux d'or.— (v.

9) Seraient parés.

Le conditionnel a ici une simple valeur de futur dans le passé.— (v.

10) Préparés.

Selon les préceptes stricts de la poésie classique (Malherbe ou Boileau) cette rime estparticulièrement faible qui associe un mot et son composé.

On peut remarquer cependant que l'inversion met ce moten valeur (et insiste une fois encore sur la minutie des préparatifs de la noce — le parfum lui-même est déjà choisi),ainsi que l'allitération : parfums préparés.— (v.

11 à 13) Il y a ici une forme d'anacoluthe (rupture de construction) : les expressions du vers 11 : seule sur laproue, invoquant les étoiles ne se rapportent évidemment pas au sujet de la phrase, le vent, mais au complémentd'objet L' (enveloppe).

Cette construction crée un effet de surprise vigoureusement renforcé par le rejet du verbe,. »

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