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CLASSICISME

Publié le 20/02/2019

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CLASSICISME. Élevé en norme par l'institution scolaire française (v. dix-septième siècle) et présenté comme la perfection et le critère absolu de l'expression littéraire, le classicisme s'est en réalité dégagé comme notion et comme époque au cours de deux crises de la conscience esthétique : au xviiie s.r où l'on s'efforce d'exprimer une sensibilité nouvelle dans des formes héritées de Molière et de Racine, que l'on considère à la fois comme modèles et comme inimitables {le Siècle de Louis XIV, de Voltaire) ; au début du XIXe s., lorsque les romantiques rejettent règles et principes du xviie s. français au nom d'un idéal de liberté (dans la lignée d'Alfieri : Du Prince et des lettres, 1789), de nouveauté {l'Athenaum de F. von Schlegel ; De l'Allemagne de Mme de Staël ; Préface de « Cromwell», de Hugo) et de sincérité {Racine et Shakespeare, de Stendhal).

 

Avant cette phase problématique, le classicisme rassemble les caractères d'une œuvre ou d'un écrivain considéré comme classique, c'est-à-dire destiné à l'usage des classes (Ennodius, vie s.) et présenté comme un modèle du genre (Aulu-Gelle, qui emprunte le terme au vocabulaire du fisc : le classicus est un membre de la première des cinq classes de contribuables; Fronton, IIe s.). C'est en ce sens que Thomas Sébillet, dans son Art poétique (1548), cite Alain Chartier et Jean de Meung comme de « bons et classiques poètes français ». Le xviie s. donnera cependant longtemps une tonalité péjorative à « classique », à l’exemple de Donneau de Visé {Sertorius, 1663) : qui sent la classe, le collège, le pédant.

 

Incarné par la génération de 1660-1680 (La Fontaine, Molière, Racine, Boileau, Bossuet), le classicisme français réunit non pas les partisans d'une école groupés autour d'un manifeste, mais des écrivains unis par une communauté de goûts. De la même manière que la théorie de la monarchie absolue et de la divinisation de l'institution royale ne trouve sa formulation explicite qu'après l'événement qui l'a rendue possible (la Fronde et son échec), la codification de l'esthétique classique dans l'Art poétique (1674) de Boileau n'apparaît qu'après les grandes œuvres qui l'illustrent (l’ensemble du théâtre de Molière, mort en 1673 ; les six premiers livres des Fables, de La Fontaine ; Andromaque, Britannicus, Bérénice, Bajazet, de Racine ; le Sermon sur la mort et Oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre, de Bossuet). Le classicisme est d’ailleurs l'aboutissement d'une triple évolution. Évolution littéraire : préparée par des écrivains (comme Malherbe et Guez de Balzac) qui réagissent contre le pédantisme de la Pléiade, les excès du baroque, les

 

influences espagnole et italienne, et par des théoriciens (comme Chapelain ou l'abbé d’Aubignac) qui cherchent à définir les règles du « bon » et du « mauvais » « goût », à travers des débats passionnés sur le style entre les « doctes » et la Cour (querelle du cicéronia-nisme) ; le classicisme, en ce sens, est d'abord la victoire du français sur le latin et d'une littérature de délectation faite pour la noblesse sur une littérature savante conçue par la caste parlementaire comme une affaire sérieuse, impliquant les conceptions morales, religieuses et politiques de l'écrivain. Évolution sociale et politique : derrière le souci proclamé de vérité humaine et d'analyse morale se profile le désir de trouver un point d'équilibre qui permette de comprendre (et d'éviter à l’avenir) les troubles religieux et politiques qui, des guerres de Religion à la révolution d'Angleterre et à la Fronde, hantent l'esprit des contemporains (le théâtre de Racine empruntera nombre de thèmes et de situations à la Cour sainte, 1624, du P. Caussin, qui fait le fonds de la culture chrétienne des femmes du monde, d'Anne d'Autriche à Mme de Main tenon) ; derrière l'exigence d'élégance et de pureté de la langue et du style transparaît l'action des salons précieux, qui ont plié une société guerrière, violente et bigarrée à la politesse d'une aristocratie parisienne rassemblée autour de quelques femmes d’esprit. Évolution scientifique enfin : la géométrie classique, qui reprend celle de Milet (théorie des ombres, notion de centre et de « point stable », etc.), trouve son application en peinture, au théâtre, dans toutes les formes de représentation ; l'étiquette et les bosquets de Versailles rejoignent, dans une même conception de l'espace et de la mécanique qui s'y déploie, les pièces à machines, les règles de Vaugelas, la théologie de Bossuet, la musique de la Chapelle royale ; la physique des solides (topologie des bords et des limites), cœur de la science du temps, est un monde lisse, uni, le miroir qui reflète et réfracte la lumière de la vérité : le « cristal » est le modèle de la physique et du style classiques.

Ce climat global, qui définit le classicisme et qui s'exprime dans sa plus grande rigueur à travers la clôture de l'espace tragique et la règle des trois unités, explique à la fois la position excentrique d'un Corneille, d'un Descartes et d'un Pascal (vivant et écrivant dans une époque de luttes, où l'aventure personnelle a encore un sens, et fondant leur éthique et leur esthétique sur le doute et l'angoisse) et que la mise en cause du classicisme par les libertins ou les burlesques ait eu des implications politiques et religieuses (Saint-Évre-mond). L'esthétique classique, ainsi que l'a montré D. Nisard [Histoire de la littérature française, 1844-1861), est tout entière normative. Caractérisée par l'idée de convenance ou de propriété esthétique, qui impose une stricte adéquation de la forme et du style au sujet choisi, donc une hiérarchie des genres (primauté de l'épopée et de la tragédie), l'esthétique classique se fonde sur une double imitation : imitation de la Nature (comprise elle-même comme un modèle de régulation), imitation des Anciens (puisque la pérennité de leurs œuvres témoigne de leur aptitude à dire la vérité constante et universelle, donc la Nature). Le classicisme porte ainsi en lui un paradoxe : la recherche de la perfection et la contrainte de l'imitation empêchent les œuvres du siècle classique d'avouer leur propre excellence et leur propre originalité et interdisent de penser la création littéraire en termes de développement et d'évolution — c'est ce qu'a bien vu Perrault au cœur de la « querelle des Anciens et des Modernes ». Immense entreprise de codification culturelle, le classicisme repère toujours sous l'œuvre un champ discursif établi, littéraire par la référence aux écrivains exemplaires, idéologique par le renvoi aux comportements et aux bienséances. Le classicisme s'installe ainsi dans une vaste grammaire dédoublée, en une relation spéculaire, qui permet bien des parcours, puisque tout territoire peut être reconnu et dit : le classicisme, c'est le tour du propriétaire. La véritable rupture d'équilibre, à travers La Bruyère et Fénelon, sera contemporaine du grand

 

bouleversement de l'astronomie [Principes mathématiques de la philosophie naturelle, 1687, de Newton) : la « pluralité des mondes » (c'est ce que retient l'idéologie de l'époque, plus que l'absolu du temps et de l'espace) ne peut plus se contenter d'un goût unique et d'une seule vérité ; l'expression littéraire sera désormais inséparable de la conscience critique.

« romantiques rejettent règles et principes du xvu• s.

français au nom d'un idéal de liberté (dans la lignée d'Alfieri · Du Prince et des lettres, 1789), de nouveauté (l'Atheniium de F.

von Schlegel; De l'Allemagne de Mm• de Staël ; Préface de "Cromwell "• de Hugo) et de sincérité (Racine et Shakespeare, de Stendhal).

Avant cette phase problématique, le classicisme rassemble les caractères d'une œuvre ou d'un écrivain considéré comme classique, c'est-à-dire destiné à l'usage des classes (Ennodius, v1• s.) et présenté comme un modèle du genre (Aulu-Gelle, qui emprunte le terme au vocabulaire du fisc : le classicus est un membre de la première des cinq classes de contribuables; Fronton, n• s.).

C'est en ce sens que Thomas Sébillet, dans son Art poét ique ( 1548), cite Alain Chartier et Jean de Meung comme de. »

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