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Clément Marot – Au Roi, « Pour avoir été dérobé »

Publié le 14/05/2014

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marot

Clément Marot – Au Roi, « Pour avoir été dérobé «

J’avois un jour un vallet de Gascongne,

Gourmand, ivrongne, et asseuré menteur,

Pipeur, larron, jureur, blasphemateur,

Sentant la hart de cent pas à la ronde,

Au demourant, le meilleur filz du monde,

Prisé, loué, fort estimé des filles

Par les bordeaulx, et beau joueur de quilles.

Ce venerable hillot fut adverty

De quelque argent que m’aviez departy,

Et que ma bourse avoit grosse apostume;

Si se leva plus tost que de coustume,

Et me va prendre en tapinoys icelle,

Puis vous la meit tresbien soubz son esselle

Argent et tout (cela se doit entendre),

Et ne croy point que ce fust pour la rendre,

Car oncques puis n’en ay ouy parler.

Brief, le villain ne s’en voulut aller

Pour si petit; mais encore il me happe

Saye et bonnet, chausses, pourpoint et cappe;

De mes habitz (en effect) il pilla

Tous les plus beaux, et puis s’en habilla

Si justement, qu’à le veoir ainsi estre,

Vous l’eussiez prins (en plein jour) pour son maistre.

Finablement, de ma chambre il s’en va

Droict à l’estable, où deux chevaulx trouva;

Laisse le pire, et sur le meilleur monte,

Pique et s’en va. Pour abreger le compte,

Soyez certain qu’au partir du dict lieu

N’oublia rien fors qu’à me dire adieu.

Ainsi s’en va, chatouilleux de la gorge,

Ledict vallet, monté comme un Sainct Georges,

Et vous laissa Monsieur dormir son soul,

Qui au resveil n’eust sceu finer d’un soul.

Ce Monsieur là (Syre) c’estoit moy mesme,

Qui, sans mentir, fuz au matin bien blesme,

Quand je me vey sans honneste vesture,

Et fort fasché de perdre ma monture;

Mais de l’argent que vous m’aviez donné,

Je ne fuz point de le perdre estonné;

Car vostre argent (tresdebonnaire Prince)

Sans point de faulte est subject à la pince.

Bien tost après ceste fortune là,

Une autre pire encores se mesla

De m’assaillir, et chascun jour m’assault,

Me menaçant de me donner le sault,

Et de ce sault m’envoyer à l’envers,

Rithmer soubz terre et y faire des vers.

C’est une lourde et longue maladie

De trois bons moys, qui m’a toute eslourdie

 

La povre teste, et ne veult terminer,

Ains me contrainct d’apprendre à cheminer

Tant affoibly m’a d’estrange manière;

Et si m’a faict la cuysse heronniere,

L’estomac sec, le ventre plat et vague:

Quand tout est dit, aussi mauvaise bague

Ou peu s’en fault que femme de Paris,

Saulve l’honneur d’elles et leurs maris.

Que diray plus au misérable corps

Dont je vous parle il n’est demouré fors

Le povre esprit, qui lamente et souspire,

Et en pleurant tasche à vous faire rire.

Et pour autant (Syre) que suis à vous,

De trois jours l’un viennent taster mon poulx

Messieurs Braillon, Le Coq, Akaquia,

Pour me garder d’aller jusqu’à quia.

Tout consulté, ont remis au printemps

Ma guarison; mais, à ce que j’entens,

Si je ne puis au printemps arriver,

Je suis taillé de mourir en yver,

Et en danger, si en yver je meurs,

De ne veoir pas les premiers raisins meurs.

Voilà comment, depuis neuf moys en ça,

Je suis traicté. Or, ce que me laissa

Mon larronneau, long temps a l’ay vendu,

Et en sirops et julez despendu;

Ce neantmoins, ce que je vous en mande

N’est pour vous faire ou requeste ou demande;

Je ne veulx point tant de gens ressembler,

Qui n’ont soucy autre que d’assembler;

Tant qu’ilz vivront ilz demanderont, eulx;

Mais je commence à devenir honteux,

Et ne veulx plus à voz dons m’arrester.

Je ne dy pas, si voulez rien prester,

Que ne le prenne. Il n’est point de presteur

(S’il veult prester) qui ne face un debteur.

Et sçavez-vous (Syre) comment le paye?

Nul ne le sçait, si premier ne l’essaye;

Vous me devrez (si je puis) de retour,

Et vous feray encores un bon tour.

A celle fin qu’il n’y ait faulte nulle,

Je vous feray une belle cedulle,

A vous payer (sans usure, il s’entend)

Quand on verra tout le monde content;

Ou si voulez, a payer ce sera

Quand vostre loz et renom cessera.

 

Le texte que nous citons est précédé d'une introduction en sept vers1, que J. Vianey commente en ces termes : « En sept vers, il sait à la fois amuser son royal lecteur par une rime plus que riche, éveiller sa curiosité par l'annonce d'un double récit qui servira de preuve nouvelle à une vérité populaire, capter sa bienveillance par un éloge de sa noblesse, par un appel à son expérience, par un acte de soumission à sa volonté, par un aveu du peu qu'il est lui-même. Tout cela avec quelle mesure ! « (Les Épîtres de Marot, p. 72, Nizet.)

Composition. — Après un portrait rapide et pittoresque du valet (v. 1-5), Marot conte sa première mésaventure : un vol perpétré par son valet (v. 639) ; il décrit sa maladie et son misérable état physique (v. 4o-67) ; puis il lance un appel direct au roi (v. 68-go).

L Le portrait moral du valet (v. 1-5).

v. I. — L'épître commence sur le ton de la fable, ton qui estompe la réalité précise du temps, grâce à l'emploi de l'imparfait et de l'adverbe un jour. Le monde de la fable se retrouve dans ce personnage pittoresque (ou même « picaresque «) du valet de Gascogne, avec le portrait peu reluisant qui va nous en être esquissé. Ce por¬trait est construit sur une forte antithèse : contraste entre le nombre des « qualités « du valet et la concision du jugement qui complète son portrait.

marot

« La povre teste, et ne veult terminer, Ains me contrainct d’apprendre à cheminer Tant affoibly m’a d’estrange manière; Et si m’a faict la cuysse heronniere, L’estomac sec, le ventre plat et vague: Quand tout est dit, aussi mauvaise bague Ou peu s’en fault que femme de Paris, Saulve l’honneur d’elles et leurs maris. Que diray plus au misérable corps Dont je vous parle il n’est demouré fors Le povre esprit, qui lamente et souspire, Et en pleurant tasche à vous faire rire. Et pour autant (Syre) que suis à vous, De trois jours l’un viennent taster mon poulx Messieurs Braillon, Le Coq, Akaquia, Pour me garder d’aller jusqu’à quia. Tout consulté, ont remis au printemps Ma guarison; mais, à ce que j’entens, Si je ne puis au printemps arriver, Je suis taillé de mourir en yver, Et en danger, si en yver je meurs, De ne veoir pas les premiers raisins meurs. Voilà comment, depuis neuf moys en ça, Je suis traicté.

Or, ce que me laissa Mon larronneau, long temps a l’ay vendu, Et en sirops et julez despendu; Ce neantmoins, ce que je vous en mande N’est pour vous faire ou requeste ou demande; Je ne veulx point tant de gens ressembler, Qui n’ont soucy autre que d’assembler; Tant qu’ilz vivront ilz demanderont, eulx; Mais je commence à devenir honteux, Et ne veulx plus à voz dons m’arrester. Je ne dy pas, si voulez rien prester, Que ne le prenne.

Il n’est point de presteur (S’il veult prester) qui ne face un debteur. Et sçavez -vous (Syre) comment le paye? Nul ne le sçait, si premier ne l’essaye; Vous me devrez (si je puis) de retour, Et vous feray encores un bon tour. A celle fin qu’il n’y ait faulte nulle, Je vous feray une belle cedulle, A vous payer (sans usure, il s’entend) Quand on verra tout le monde content; Ou si voulez, a payer ce sera Quand vostre loz et renom cessera.. »

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