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Colloque sentimental - Verlaine, Les Fêtes galantes

Publié le 27/02/2011

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verlaine

Dans le vieux parc solitaire et glacé, Deux formes ont tout à l'heure passé. Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles, Et l'on entend à peine leurs paroles. Dans le vieux parc solitaire et glacé, Deux spectres ont évoqué le passé. — Te souvient-il de notre extase ancienne ? — Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne ? — Ton cœur bat-il toujours à mon seul nom ?

Toujours vois-tu mon âme en rêve? — Non. — Ah ! les beaux jours de bonheur indicible Où nous joignions nos bouches ! — C'est possible. — Qu'il était bleu, le ciel, et grand, l'espoir ! — L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir. Tels ils marchaient dans les avoines folles(l), Et la nuit seule entendit leurs paroles. Verlaine, Les Fêtes galantes, 1869. En vous appuyant sur un examen précis de sa facture, vous ferez de ce poème un commentaire composé. Vous pourriez par exemple étudier son climat d'étrangeté, les aspects dramatiques et pathétiques de son dialogue, en montrant combien les éléments du style concourent à suggérer une vaporeuse mélancolie.

Plan I. Climat d'étrangeté en une vaporeuse mélancolie. II. Théâtralité : aspects dramatiques et pathétiques d'un dialogue de l'indicible.

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« l'ardeur de ce qui aurait dû être une rencontre amoureuse.

Or la rencontre elle-même n'est plus qu'un reflet vaguede ce qui a été, elle passe ou plutôt elle a déjà « passé » avant même, presque, d'avoir eu lieu.

La répétition de «passé » est à ce sujet significative.

Elle a passé comme « ont...

passé » les « deux formes » qui semblent flotterdans ce décor sans âme.

Ce dernier, bien que répété, — deux fois revient le vers « Dans le vieux parc solitaire etglacé » —, décor d'absence et d'indifférence (« solitaire »), est comme englouti par la nuit qui devient doncnormalement « seule » présente, à part les « deux spectres ».

L'emploi du verbe « entendit » dont « la nuit » estsujet, verbe réservé généralement à un être vivant comme l'homme, renforce l'idée de personnification ; ou de semi-allégorie car la lettre n initiale n'est pas une majuscule ; elle permet de penser que la nuit se fond dans l'ensemble,comme « parc » et « formes » se fondent dans la nuit.

Cependant celle-ci devient symbole de cette rencontre desentiments morts, de ce couple qui se révèle, en mollesse et demi-teinte, définitivement éteint.

L'allure de chanson,de refrain du poème, de répétition douce, « mélancolise » — terme créé plus tard par Apollinaire — une romance quidevient sans paroles, malgré ses apparences de dialogue : souvenirs, donc quelque chose qui revient à l'esprit plusou moins déformé.

Ce qui complète l'étrangeté c'est la texture des êtres qui se meuvent comme dans le lointain, aux« yeux morts », aux « lèvres molles », à la limite entre des êtres sans volonté, vidés de substance morale, ou devéritables ombres : on ne sait ; et tout en devient singulier.

Leurs mouvements aussi appartiennent-ils au présentou à un monde chimérique? Le passé composé : « ont ...

passé », « ont évoqué » et surtout la locution temporelle «tout à l'heure » gomme immédiatement le présent pourtant utilisé entre les deux passés composés (« leurs yeuxsont...

leurs lèvres sont...

») et le rejette dans un passé proche sans doute mais qui devient actuel.

Cettetemporalité continuellement équivoque était déjà visible dans la présentation du parc dont le qualificatif « vieux »sous-entend qu'à un moment il était beau, luxuriant, symbole d'une vie qui comme le parc devient « glacé[e] ».

Touts'englue dans le doute, l'imprécis, comme ce premier témoin « on », indéfini : « Et l'on entend...

» C'est la présencede la mort : « leurs lèvres sont molles », qui fait prévoir l'absence de langage, et pourtant — contradiction — ilsparlent et le témoin les comprend, bien qu'il les entende « à peine ».

Quant à ce témoin il va peu à peu s'identifier àla nuit.

Langage mort cependant et de mort, car il ne s'agit que de disparition, d'absence, de la néantisation ducouple, d'un amour mort, noir comme la couleur du ciel, noir dans la nuit. Ainsi, avec des spectateurs impalpables : « on entend », « la nuit entendit », une représentation dont on ne sait sielle est présente ou déjà passée (« entendre » est d'abord au présent puis à la fin du bref poème au passé simple),un décor seulement ébauché, des acteurs que « l'on entend à peine » et qui eux-mêmes ne se rejoignent pas, c'estun bien curieux spectacle auquel nous convie Verlaine.

Et pourtant ce sont bien les éléments du théâtre que nousavons là, un théâtre d'ombres sans doute mais qui n'en est que plus pathétique, car il touche de pitié et de malaisele lecteur, plus dramatique aussi car il révèle le secret d'un couple détruit : par le temps ? l'absence ?l'incompréhension ? Le drame est justement de ne savoir par quoi.

Les « choses du théâtre » sont toutes là : unlieu, un moment, des personnages : la pièce peut se jouer, celle de l'inconstance des amants, le drame aussi dulangage.

Tout est situé sur scène.

C'est d'abord le décor, présenté dans le premier vers avec sa forme d'ensemble :« un vieux parc » et l'atmosphère qu'il dégage, mélancolique (« solitaire »), plus même : « glacée ».

Les couleurs dece décor sont indiquées à la fin du poème : « le ciel noir » que complète l'expression : « la nuit seule », tandis quel'aspect d'abandon est donné par le détail des « avoines folles », herbes des lieux incultes.

Le décor encadre donchistoire et paroles, comme au théâtre.

Notons cependant la répétition de la présentation du cadre (cinquième vers)de façon absolument identique à celle du début (premier vers), ce qui curieusement au lieu de confirmer apporte aucontraire une notion moins ferme, un peu irréelle, sans doute celle qui correspond à l'heure nocturne. — Au théâtre, il est évident que les personnages sont essentiels ; ce sont eux qui se meuvent sur scène devant,ici, nos yeux de lecteurs-spectateurs.

Or ils sont « deux formes », « deux spectres ».

des silhouettes, dessquelettes? Mais ils bougent : ils « ont passé », « ils marchaient ».

Leur aspect physique comporte des précisions :« yeux morts », « lèvres molles ». — Mais surtout les personnages de théâtre parlent.

Le dialogue est essentiel à la scène, c'est également le cas ici :ils « ont évoqué le passé ».

La présentation graphique souligne les paroles dialoguées à l'aide de tirets quireprésentent chaque tirade.

Elles sont d'ailleurs construites théâtralement, par exemple en parallèle : « — Te souvient-il de notre extase ancienne ? — Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne? », avec la reprise au début de la première question et à la fin dela seconde du verbe évocateur du passé « se souvenir ».

Ou bien c'est une réponse sèche qui claque commefréquemment dans les dialogues de théâtre : — « Non » (position remarquable de ce monosyllabe en fin de vers) —« C'est possible ».

Enfin une construction très subtile en chiasme s'appuie de nouveau sur deux vers, un pourchacun des protagonistes : — « Qu'il était bleu, le ciel, et grand, l'espoir L'espoir a fui.

vaincu, vers le ciel noir.

» Autour de « l'espoir » à la charnière entre les deux vers et les deux répliques, l'opposition s'établitsystématiquement.

« Vaincu » correspond à « grand », « noir » à « bleu », formulation en croix (sens de chiasme).Les coupes abondantes des deux vers martèlent la disparition du passé heureux.

Le drame s'est donc joué avectous les éléments propres à la scène.

Car le théâtre ce ne sont pas seulement personnages, dialogue, décor, c'estune action, un « drama », terme grec qui signifie histoire jouée au théâtre.

Elle est dans ce texte tantôt pathétique,tantôt saupoudrée d'une mélancolie vaporeuse.

Drame du temps qui passe, de l'inconstance des amants, du. »

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