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Commentaire composé: STENDHAL, Le Rouge et le Noir.

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

Avec la vivacité et la grâce qui lui étaient naturelles quand elle était loin des regards des hommes, Madame de Rênal sortait par la porte-fenêtre du salon qui donnait sur le jardin, quand elle aperçut près de la porte d'entrée la figure d'un jeune paysan presque encore enfant, extrêmement pâle et qui venait de pleurer. Il était en chemise bien blanche, et avait sous le bras une veste fort propre de ratine violette.

Le teint de ce petit paysan était si blanc, ses yeux si doux, que l'esprit un peu romanesque de Madame de Rênal eut d'abord l'idée que ce pouvait être une jeune fille déguisée, qui venait demander quelque grâce à M. le maire. Elle eut pitié de cette pauvre créature, arrêtée, et qui évidemment n'osait pas lever la main jusqu'à la sonnette. Madame de Rênal s'approcha, distraite un moment de l'amer chagrin que lui donnait l'arrivée du précepteur. Julien, tourné vers la porte, ne la voyait pas s'avancer. Il tressaillit quand une voix douce dit tout près de ses oreilles :
— Que voulez-vous ici, mon enfant?
Julien se tourna vivement, et, frappé du regard si rempli de grâce de Madame de Rênal, il oublia une partie de sa timidité. Bientôt, étonné de sa beauté, il oublia tout, même ce qu'il venait faire. Madame de Rênal avait répété sa question.
- Je viens pour être précepteur, Madame, lui dit-il enfin, tout honteux de ses larmes qu'il essuyait de son mieux.
Madame de Rênal resta interdite; ils étaient fort près l'un de l'autre à se regarder. Julien n'avait jamais vu un être aussi bien vêtu et surtout une femme avec un teint si éblouissant, lui parler d'un air doux. Madame de Rênal regardait les grosses larmes qui s'étaient arrêtées sur les joues si pâles d'abord et maintenant si roses de ce jeune paysan. Bientôt elle se mit à rire avec toute la gaieté folle d'une jeune fille; elle se moquait d'elle-même et ne pouvait se figurer tout son bonheur.


STENDHAL, Le Rouge et le Noir.


Vous ferez un commentaire composé de ce texte par exemple en examinant avec précision les sentiments des personnages et l'art de l'auteur (une explication au fil du texte ne sera pas tolérée). Des références précises aux termes mêmes de l'auteur seront indispensables.

Roman de la passion et de la révolte contre l'ordre social, Le Rouge et le Noir met en scène le héros sans doute le plus fascinant de la littérature du XIXe siècle. Julien Sorel, qui ressemble quelque peu à Stendhal lui-même, est un personnage particulièrement intéressant et vrai. Qui, parmi les jeunes lecteurs qui n'ont pas manqué de parcourir et d'étudier Le Rouge et le Noir, ne s'est pas identifié à ce jeune homme, fragile et fort à la fois, noble et vil, passionné et calculateur? La vérité du personnage de Julien est dans son ambiguïté et ses contradictions mêmes. Ambiguïté et paradoxe que cultive Stendhal dans ce passage très célèbre de la rencontre entre Madame de Rênal et le jeune Sorel.
 Ici, le récit est très sobre, mais il évoque déjà la naissance de la passion qui va emporter les deux amants. Grâce au talent de l'auteur qui sait jouer avec le narrateur et les personnages, la mise en scène est parfaite : l'événement peut avoir lieu et laisser le lecteur présager de la suite.

« charmes de la belle maîtresse de maison? Le caractère énigmatique de Julien se marque même dans son vêtement,une chemise blanche, évoquant la pureté et l'innocence qui contraste nettement avec une veste...

violette, couleurde la décadence et de la débauche, ou - plus ambigu encore, si l'on connaît le roman —, couleur de la robe d'unévêque.Madame de Rênal joue également, sans en avoir pleinement conscience, ce jeu de la duplicité.

Elle est souvent enreprésentation, comme le montre cette première phrase :Avec la vivacité et la grâce qui lui étaient naturelles quand elle était loin du regard des hommes.Elle a appris à se contrôler et elle joue son rôle d'épouse et de mère respectable et vertueuse, qui ne s'intéressequ'à son mari et à ses enfants.

Quand Julien la surprend, elle est tout à l'amer chagrin que lui donnait l'arrivée duprécepteur.

Et pourtant, ce personnage n'est qu'une façade, derrière lui se cache une femme faite pour la passionet l'amour, une femme qui s'ennuie, qui a besoin de romanesque et de distraction (distraite un moment...).

Madamede Rênal est un peu Madame Bovary, prête à saisir la moindre occasion de s'amuser et d'être elle-même.

Uneoccasion que va lui fournir le beau Julien.

Dès le premier contact, la jeune femme va passer des larmes au rire, del'amer chagrin à la gaieté folle, la mère sérieuse va se transformer en jeune fille, riant et se moquant d'elle-même.Seul un choc peut expliquer ce changement brutal de comportement, celui causé par l'apparition de Julien.

Ce chocest d'ailleurs réciproque et d'autant plus violent qu'il est inattendu.

Stendhal insiste bien sur l'étonnement des deuxpersonnages et sur l'impression qu'ils ont tous deux d'avoir été surpris.

Madame de Rênal se croyait seule et à l'abrides regards des hommes, elle se laissait aller en quelque sorte à sa vivacité et à sa grâce naturelles, lorsque cethomme-enfant, dont elle ne se méfiait pas, l'a aperçue.

Quant à Julien, il pleurait quand la belle Madame de Rênal l'avu, et il a honte de son comportement : tout honteux de ses larmes qu'il essuyait de son mieux.L'effet de surprise trouble encore davantage les deux amants, et leur émotion les, rend maladroits.

Les propos qu'ilséchangent sont hésitants, leurs phrases sont mal construites, lourdes, les verbes sont mal choisis : on y repèreencore une fois la même ambiguïté :Que voulez-vous ici, mon enfant? Le « voulez-vous » ne convient pas plus que le « mon enfant » et le vouvoiement,étant donnée la position de Madame de Rênal par rapport à son interlocuteur : tout près de ses oreilles.

Et laréaction de celui-ci : je viens pour être précepteur, Madame, est une phrase bien maladroite dans la bouche d'unéducateur.Le trouble qui apparaît dans ces deux répliques est mis en valeur par les commentaires du narrateur, qui fait de sonrécit un discours plein d'une sensualité à peine dissimulée.

Les deux personnages sont irrésistiblement etinconsciemment attirés l'un par l'autre.

Leurs réactions sont très fortes et ne peuvent s'expliquer que par la violencede leurs sensations.

Julien tressaillit, Madame de Rênal resta interdite; l'émotion du jeune homme se lit sur sonvisage, sur les joues si pâles d'abord et maintenant si roses, et la femme sérieuse a la gaieté folle d'une jeune fille.

Ila suffi d'un regard pour susciter un tel comportement, un regard auquel Stendhal accorde une importanceparticulière dans ce passage.

Ce sont les yeux qui séduisent d'abord, c'est le regard qui surprend et qui donnenaissance à la passion amoureuse, c'est lui encore — celui du narrateur cette fois — qui permet cette mise enscène savante de l'épisode.

Ainsi s'explique les expressions : elle aperçut, ses yeux si doux, n'avait jamais vu unêtre...

si éblouissant, les répétitions du verbe regarder : loin des regards des hommes, ils étaient fort près l'un del'autre, à se regarder, frappé du regard, Madame de Rênal regardait.

Ainsi s'explique encore le chagrin des deuxpersonnages, les larmes et la tristesse rendant le regard plus émouvant : distraite un moment de l'amer chagrin...qui venait de pleurer...

tout honteux de ses larmes qu'il essuyait de son mieux.

Ainsi s'explique enfin la présencedans le récit de ces portes (porte-fenêtre, tourné vers' la porte), qu'il faut ouvrir pour regarder.Les deux amants ne se décident à parler que pour détourner leur attention et tenter de rompre le charme envoûtantet dangereux de ce regard.

En vain, nous l'avons vu, car les paroles prononcées sont maladroites et ne font querévéler l'émotion de Julien et de Madame de Rênal, que la passion emporte déjà.Grâce au narrateur, nous pressentons que cet amour naissant sera difficile en raison de la personnalité des deuxamants et des ambitions qui les animent tous deux.

Madame de Rênal, surprise par Julien, se métamorphose enjeune fille gracieuse, mais elle reste maternelle dans ses propos, comme si elle voulait se défendre de l'attirancequ'elle éprouve pour le jeune paysan.

Quant à Julien Sorel, il est l'ambiguïté, la bivalence en personne.

Nous lesentons déjà tiraillé entre deux tendances, il est homme mais garde en lui un caractère féminin ou enfantin; il esttiraillé entre deux ambitions, deux milieux.

Bientôt, il hésitera entre deux carrières et entre deux femmes : Madamede Rênal et Mathilde de la Mole.Tout le talent de Stendhal se révèle dans ce passage, où l'écrivain parvient à faire comprendre au.

lecteur lapsychologie complexe de ses personnages et leur destin, et où il joue avec eux comme un enfant avec des poupées.Il montre bien que la passion qui va emporter Julien et Madame de Rênal est plus forte que tout ce qu'ils pourrontmettre en œuvre pour y résister, et il démontre que l'avenir de l'un et de l'autre est tout tracé à partir du momentoù ils se sont rencontrés.

Il sait, lui l'auteur, que Madame de Rênal ne pourra lutter contre l'amour de Julien qui luiapportera le bonheur, il n'hésite pas à le dire au lecteur : (elle) ne pouvait se figurer tout son bonheur, au risque dedéflorer le sujet de son roman.Dès le premier regard, la passion naît dans le coeur des deux personnages, laissons-la maintenant faire son cheminet conduire les amants aux pires extrémités, voilà ce que semble nous dire le narrateur diabolique de ce passage.. »

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