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Commentaire de texte Espoir, Malraux - L'Espoir, André Malraux, Deuxième partie : Le Manzanares, II. « Sang de gauche », chapitre X

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

Au début du mois de novembre 1936, le gouvernement républicain espagnol a quitté la capitale pour Valence. Les premières attaques de Madrid ont lieu, et, alors que Franco avait proclamé qu'il ne bombarderait jamais la population civile, face à la résistance inattendue de la ville, le commandement nationaliste s'exaspère et veut finalement essayer de démoraliser la population par des bombardements aériens. Il compte que le moral madrilène, soumis à rude épreuve par les combats et la disette s'effondrera sous les bombes. La ville brûle et la population civile est massacrée. Dans cet extrait, le journaliste Shade, depuis le Central téléphonique transmet des informations à Paris sur la bataille qui ébranle la ville.
 
 Au moment où, Paris obtenu, Shade fut appelé dans la salle des téléphones, un obus tomba tout près. Deux autres, plus près encore. Presque tous les occupants se jetèrent contre le mur opposé à la fenêtre. Malgré les lampes électriques, on devinait la profonde lueur rouge du dehors, et il semblait que ce fût l'incendie même qui tirât sur le Central dont les treize étages de fenêtres étaient sans une ombre humaine. Enfin, un vieux journaliste moustachu se décolla de la paroi; puis tous, l'un après l'autre : ils regardaient le mur comme s'ils y eussent cherché leur trace.
 De nouveaux obus tombèrent. À peine moins près; mais nul n'abandonna les places reprises. On dit que dans les assemblées, toutes les vingt minutes, un silence passe : l'indifférence passait.
 Bientôt Shade put commencer à dicter. Pendant que se succédaient ses notes de la matinée, les obus se rapprochaient, les pointes des crayons sautant toutes ensemble sur les blocs de sténo à chaque explosion. Le tir cessa, et l'angoisse s'accrut. Les canons, là-bas, rectifiaient-ils leur tir? On attendait. On attendait. On attendait. Shade dictait. Paris transmettait à New York.
 « Ce matin, virgule, j'ai vu les bombes encadrant un hôpital où se trouvaient plus de mille blessés, point. Le sang que laissent derrière eux, virgule, à la chasse, virgule, les animaux blessés, virgule s'appelle des traces, point. Sur le trottoir, virgule, sur le mur, virgule était un filet de traces... «
 L'obus tomba à moins de vingt mètres. Cette fois, ce fut une ruée vers le sous-sol. Dans la salle presque vide ne restaient que les standardistes et les correspondants « en ligne «. Les standardistes écoutaient les communications, mais leur regard semblait chercher l'arrivée des obus. Les journalistes qui dictaient continuèrent à dicter : la communication coupée, ils ne la retrouveraient plus à temps pour l'édition du matin. Shade dictait ce qu'il avait vu au Palace.
 « Cet après-midi, je suis arrivé, quelques minutes après une explosion, devant une boucherie : là où les femmes avaient fait la queue étaient des taches; le sang du boucher tué coulait de l'étal, entre les boeufs ouverts et les moutons pendus aux crochets de fer, sur le sol où l'entraînait l'eau d'une conduite crevée.
 « Et il faut bien comprendre que tout cela est pour rien.
 « Pour rien.
 « C'est bien moins la terreur que l'horreur qui secoue les habitants de Madrid. Un vieillard m'a dit, sous les bombes :
 « J'ai toujours méprisé toute politique, mais comment admettre de donner le pouvoir à ceux qui usent ainsi de celui qu'ils n'ont pas encore? « Pendant une heure j'ai fait partie d'une queue devant une boulangerie. Il y avait là quelques hommes et une centaine de femmes. Chacun croit que rester au même endroit une heure est plus dangereux que de marcher. À cinq mètres de la boulangerie, de l'autre côté de la rue étroite, on mettait en bière les cadavres d'une maison éventrée, comme on le fait en ce moment dans chaque maison déchirée de Madrid. Quand on n'entendait ni canon ni avion, on entendait les coups de marteau résonner dans le silence. À côté de moi, un homme dit à une femme : « Elle a le bras arraché Juanita; vous croyez que son fiancé l'épousera dans cet état-là? « Chacun parlait de ses affaires. Au bout d'un moment une femme a crié : « Si c'est pas malheureux de manger comme nous mangeons! « Une autre a répondu, avec l'air grave et le style qu'elle ont toutes un peu pris à la Pasionaria : « Tu manges mal, nous mangeons mal, mais, avant, nous ne mangions pas bien; et nos enfants, eux, mangent comme on n'a pas mangé chez nous depuis deux cents ans. « À l'approbation générale.
 « Tous ces éventrés, tous ces décapités sont suppliciés en vain. Chaque obus enfonce davantage le peuple de Madrid dans sa foi.
 « Il y a cent cinquante mille places dans les abris, et un million d'habitants à Madrid. Dans les quartiers les plus visés n'existe aucun objectif militaire. Le bombardement va continuer.
 « Pendant que j'écris ceci, des obus éclatent de minute en minute sur les quartiers pauvres; dans l'heure indécise du soir, la lueur des incendies est si forte qu'en cet instant, devant moi, le jour tombe sur une nuit couleur de vin. Le destin lève son rideau de fumée pour la répétition générale de la prochaine guerre; compagnons américains, à bas l'Europe!
 « Sachons ce que nous voulons. Quand un communiste parle dans une assemblée internationale, il met le poing sur la table. Quand un fasciste parle dans une assemblée nationale, il met les pieds sur la table. Quand un démocrate – Américain, Anglais, Français – parle dans une assemblée internationale, il se gratte la nuque et il pose des questions.
 « Les fascistes ont aidé les fascistes, les communistes ont aidé les communistes et même la démocratie espagnole; les démocraties n'aident pas les démocraties.
 « Nous, démocrates, nous croyons à tout, sauf à nous-mêmes. Si un état fasciste ou communiste disposait de la force des États-Unis, de l'Angleterre et de la France réunis, nous en serions terrifiés. Mais comme c'est notre force, nous n'y croyons pas.
 « Sachons ce que nous voulons. Ou bien disons aux fascistes : hors d'ici, sinon vous allez nous y rencontrer! - et la même phrase le lendemain aux communistes, si besoin est.
 « Ou bien disons, une bonne fois : À bas l'Europe.
 « L'Europe que je regarde de cette fenêtre n'a plus à nous enseigner ni sa force, qu'elle a perdue, ni sa foi de Maures qui bringuebalent leurs Sacrés-Coeurs. Compagnons d'Amérique, que tout ce qui chez nous veut la paix, que tout ce qui hait ceux qui effacent les bulletins de vote avec le sang des bouchers tués sur leur étal, se détourne désormais de cette terre! Assez de cet oncle d'Europe, qui vient nous donner des leçons avec sa tête qui a perdu la raison, ses passions de sauvage et son visage de gazé. «
 Dès qu'il eut fini de dicter, Shade monta au dernier étage, le meilleur observatoire de Madrid. Quatre journalistes étaient là, presque détendus : d'abord parce qu'ils étaient maintenant à l'air libre, que les lieux clos rendent l'angoisse plus intense, et ensuite parce que la lanterne du Central, plus petite que sa tour, semblait moins vulnérable. Le soir sans soleil couchant et sans autre vie que celle du feu, comme si Madrid eût été portée par une planète morte, faisait de cette fin de journée un retour aux éléments. Tout ce qui était humain disparaissait dans la brume de novembre crevée d'obus et roussie de flammes.
 Une gerbe flamboyante fit éclater un petit toit dont Shade s'étonnait qu'il eût pu la cacher; les flammes, au lieu de monter, descendirent le long de la maison qu'elles brûlèrent en remontant jusqu'au faîte. Comme dans un feu d'artifice bien ordonné, à la fin de l'incendie des tourbillons d'étincelles traversèrent la brume : un vol de flammèches obligea les journalistes à se baisser. Quand l'incendie rejoignait les maisons déjà brûlées, il les éclairait par derrière, fantomatiques et funèbres, et demeurait longtemps à rôder derrière leurs lignes de ruines. Un crépuscule sinistre se levait sur l'Age du Feu. Les trois plus grands hôpitaux brûlaient. L'hôtel Savoy brûlait. Des églises brûlaient, des musées brûlaient, la Bibliothèque Nationale brûlait, le Ministère de l'Intérieur brûlait, une halle brûlait, les petits marchés de planches flambaient, les maisons s'écroulaient dans des envolées d'étincelles, deux quartiers striés de longs murs noirs rougeoyaient comme des grils sur des braises; avec une solennelle lenteur, mais avec la rageuse ténacité du feu, par l'Atocha, par la rue de Léon, tout cela avançait vers le centre, vers la Puerta del Sol, qui brûlait aussi.
 C'est le premier jour..., pensa Shade.
 Les volées d'obus tombaient maintenant plus à gauche. Et du fond de la Gran Via que Shade surplombait et voyait mal, commença à monter, couvrant parfois la cloche des ambulances qui descendaient sans arrêt la rue, un son de litanies1 barbares. Shade écoutait de toute son attention ce son venu de très loin dans le temps, sauvagement accordé au monde du feu : il semblait qu'après une phrase périodiquement prononcée, la rue entière, en manière de répons2, imitât le battement des tambours funèbres : Dong-tongon-dong.
 Enfin Shade, plus qu'il ne comprit, devina, car il avait entendu le même rythme un mois plus tôt : en réponse à une phrase qu'il n'entendait pas, le bruit de tambour humain scandait : no pasaran3. Shade avait vu la Pasionaria4, noire, austère, veuve de tous les tués des Asturies, conduire dans une procession grave et farouche, sous des banderoles rouges qui portaient sa phrase fameuse « Il vaut mieux être la veuve d'un héros que la femme d'un lâche «, vingt mille femmes qui, en réponse à une phrase indistincte, scandaient le même no pasaran; il en avait été moins ému que de cette foule bien moins nombreuse, mais invisible, dont l'acharnement dans le courage montait vers lui à travers la fumée des incendies.
 
 L'Espoir, André Malraux, Deuxième partie : Le Manzanares, II. « Sang de gauche «, chapitre X

Jusqu'en 1931, l'Espagne est une monarchie. Après l'avènement de la république, elle connaît des difficultés d'ordre économique, social et politique. Après un retour de la droite au pouvoir en 1933, la gauche unie dans le frente popular (socialistes et communistes) remporte les élections de 1936. Celui-ci étant quasiment dépourvu d'aviation, il se fixe pour but de s'en constituer un. C'est alors que les forces armées opposées au régime légal, avec à leur tête Franco, se rebellent : le 18 juillet 1936, Franco, arrive au Maroc, prend le commandement des forces insurgées du sud de la Péninsule, et l'insurrection militaire gagne les garnisons à travers toute l'Espagne. Peu à peu, les armées franquistes s'emparent de toute l'Espagne républicaine et sont aidées par l'Italie fasciste et l'Allemagne nazie. De son côté, le camp républicain (composé de différentes forces unies contre le front nationaliste (anarchistes, communistes, démocrates, socialistes, etc.)) ne bénéficie que de l'aide des Brigades internationales et de l'appui de l'URSS - Londres et Paris adoptant une politique de « non-intervention «.
  

« les démocraties n'aident pas les démocraties.« Nous, démocrates, nous croyons à tout, sauf à nous-mêmes.

Si un état fasciste ou communiste disposait de laforce des États-Unis, de l'Angleterre et de la France réunis, nous en serions terrifiés.

Mais comme c'est notre force,nous n'y croyons pas.« Sachons ce que nous voulons.

Ou bien disons aux fascistes : hors d'ici, sinon vous allez nous y rencontrer! - et lamême phrase le lendemain aux communistes, si besoin est.« Ou bien disons, une bonne fois : À bas l'Europe.« L'Europe que je regarde de cette fenêtre n'a plus à nous enseigner ni sa force, qu'elle a perdue, ni sa foi deMaures qui bringuebalent leurs Sacrés-Coeurs.

Compagnons d'Amérique, que tout ce qui chez nous veut la paix, quetout ce qui hait ceux qui effacent les bulletins de vote avec le sang des bouchers tués sur leur étal, se détournedésormais de cette terre! Assez de cet oncle d'Europe, qui vient nous donner des leçons avec sa tête qui a perdu laraison, ses passions de sauvage et son visage de gazé.

»Dès qu'il eut fini de dicter, Shade monta au dernier étage, le meilleur observatoire de Madrid.

Quatre journalistesétaient là, presque détendus : d'abord parce qu'ils étaient maintenant à l'air libre, que les lieux clos rendentl'angoisse plus intense, et ensuite parce que la lanterne du Central, plus petite que sa tour, semblait moinsvulnérable.

Le soir sans soleil couchant et sans autre vie que celle du feu, comme si Madrid eût été portée par uneplanète morte, faisait de cette fin de journée un retour aux éléments.

Tout ce qui était humain disparaissait dans labrume de novembre crevée d'obus et roussie de flammes.Une gerbe flamboyante fit éclater un petit toit dont Shade s'étonnait qu'il eût pu la cacher; les flammes, au lieu demonter, descendirent le long de la maison qu'elles brûlèrent en remontant jusqu'au faîte.

Comme dans un feud'artifice bien ordonné, à la fin de l'incendie des tourbillons d'étincelles traversèrent la brume : un vol de flammèchesobligea les journalistes à se baisser.

Quand l'incendie rejoignait les maisons déjà brûlées, il les éclairait par derrière,fantomatiques et funèbres, et demeurait longtemps à rôder derrière leurs lignes de ruines.

Un crépuscule sinistre selevait sur l'Age du Feu.

Les trois plus grands hôpitaux brûlaient.

L'hôtel Savoy brûlait.

Des églises brûlaient, desmusées brûlaient, la Bibliothèque Nationale brûlait, le Ministère de l'Intérieur brûlait, une halle brûlait, les petitsmarchés de planches flambaient, les maisons s'écroulaient dans des envolées d'étincelles, deux quartiers striés delongs murs noirs rougeoyaient comme des grils sur des braises; avec une solennelle lenteur, mais avec la rageuseténacité du feu, par l'Atocha, par la rue de Léon, tout cela avançait vers le centre, vers la Puerta del Sol, qui brûlaitaussi.C'est le premier jour..., pensa Shade.Les volées d'obus tombaient maintenant plus à gauche.

Et du fond de la Gran Via que Shade surplombait et voyaitmal, commença à monter, couvrant parfois la cloche des ambulances qui descendaient sans arrêt la rue, un son delitanies1 barbares.

Shade écoutait de toute son attention ce son venu de très loin dans le temps, sauvagementaccordé au monde du feu : il semblait qu'après une phrase périodiquement prononcée, la rue entière, en manière derépons2, imitât le battement des tambours funèbres : Dong-tongon-dong.Enfin Shade, plus qu'il ne comprit, devina, car il avait entendu le même rythme un mois plus tôt : en réponse à unephrase qu'il n'entendait pas, le bruit de tambour humain scandait : no pasaran3.

Shade avait vu la Pasionaria4,noire, austère, veuve de tous les tués des Asturies, conduire dans une procession grave et farouche, sous desbanderoles rouges qui portaient sa phrase fameuse « Il vaut mieux être la veuve d'un héros que la femme d'un lâche», vingt mille femmes qui, en réponse à une phrase indistincte, scandaient le même no pasaran; il en avait été moinsému que de cette foule bien moins nombreuse, mais invisible, dont l'acharnement dans le courage montait vers lui àtravers la fumée des incendies. L'Espoir, André Malraux, Deuxième partie : Le Manzanares, II.

« Sang de gauche », chapitre X 1.

Litanie : prière liturgique àù toutes les invocations sont suivies d'une formule brève récitée ou chantée par lesassistants.2.

Répons : chant sur des paroles empruntées aux Écritures, éxecuté par un soliste et répété en entier ou en partiepar le choeur.3.

No pasaran : « ils ne passeront pas »4.

La Pasionaria : Ibárruri Dolorès, militante espagnole communiste qui prôna la guerre à outrance contre lesnationalistes pendant la guerre civile; elle fut un remarquable orateur et galvanisa par ses mots d'ordre la résistancerépublicaine.LA GUERRE D'ESPAGNE (1936-1939), guerre civile qui a opposé le gouvernement républicain espagnol du Frontpopulaire (Frente popular) à une insurrection militaire et nationaliste dirigée par le général Franco. Le contexte Jusqu'en 1931, l'Espagne est une monarchie.

Après l'avènement de la république, elle connaît des difficultés d'ordreéconomique, social et politique.

Après un retour de la droite au pouvoir en 1933, la gauche unie dans le frentepopular (socialistes et communistes) remporte les élections de 1936.

Celui-ci étant quasiment dépourvu d'aviation, ilse fixe pour but de s'en constituer un.

C'est alors que les forces armées opposées au régime légal, avec à leur têteFranco, se rebellent : le 18 juillet 1936, Franco, arrive au Maroc, prend le commandement des forces insurgées dusud de la Péninsule, et l'insurrection militaire gagne les garnisons à travers toute l'Espagne.

Peu à peu, les arméesfranquistes s'emparent de toute l'Espagne républicaine et sont aidées par l'Italie fasciste et l'Allemagne nazie.

Deson côté, le camp républicain (composé de différentes forces unies contre le front nationaliste (anarchistes,communistes, démocrates, socialistes, etc.)) ne bénéficie que de l'aide des Brigades internationales et de l'appui de. »

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