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COURTOISIE - La littérature courtoise

Publié le 22/11/2018

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COURTOISIE. Dérivé de cour (qui s’écrivait et se prononçait cort en ancien français), l’adjectif corteis, cor-tois, désigne étymologiquement celui qui habite une cour princière ou seigneuriale par opposition au « vilain » qui habite la campagne. En fait, dès ses premiers emplois, le terme qualifie celui qui, parce qu’il participe à la vie de cour, possède ou acquiert les comportements physiques, moraux, culturels, les attitudes mentales propres à ce milieu clos, marqué du signe de l’élitisme, et qui se présente d’emblée comme un nouveau modèle de civilisation. On notera qu’une opposition semblable existait dans la Rome classique avec le couple urbanus/rusticus et qu’une autre se reformera au xviie siècle autour de la ville opposée à la cour. Dans tous les cas, le terme positivement marqué signifie un mode de vie et de pensée qui ne peut s’exprimer et se développer qu’à l’intérieur d'un groupe homogène, d’une communauté de personnes et de comportements.

 

L’adjectif corteis, puis le dérivé corteisie, cortezia en langue occitane, apparaissent dès la fin du XIe siècle. A deux reprises (vers 576 et 1093), la Chanson de Roland qualifie Olivier de pruz (preux) et de curteis. Cortès s’oppose d’autre part à vilain dans les poésies de Guillaume d’Aquitaine, comte de Poitiers (1071-1126), le premier des troubadours dont les œuvres nous aient été conservées. En fait, c’est d’abord au sud de la Loire, à la charnière du XIe et du XIIe siècle, et essentiellement à la cour poitevine de Guillaume ou à la cour limousine d’Ebles de Ventadour (v. 1096-1147), que s’est élaboré le concept de courtoisie tel que nous pouvons le saisir à travers les œuvres littéraires.

 

Certains facteurs économiques et sociaux ne sont pas étrangers à la naissance et à la diffusion de ce nouvel idéal. La fin du XIe siècle, le début du XIIe marquent le moment où le pouvoir central monarchique s’affaiblit et se disperse au profit des multiples cours seigneuriales. Les risques d’anarchie suscités par ce morcellement de l’autorité, encore plus accentué au Sud, sont contrebalancés à la fois par le développement de l'activité économique et par la limitation — et, dans une certaine mesure, la moralisation — de la guerre féodale obtenue par l’institution de la trêve puis de la paix de Dieu (v. 1095 et plus tôt en Aquitaine). Mutations qui ont dû favoriser sinon rendre nécessaire la vie de cour. La fin du XIe siècle est aussi le moment où se développent les expéditions militaires contre les Maures d’Espagne (la première croi-

« sade espagnole est de 1063), puis la croisade proprement dite.

Ces expéditions mettent en relation la civilisation du Midi puis celle du Nord avec la civilisation arabe, la Grèce byzantine (la premi ère croisade passe par Constantinople) et le monde oriental .

JI se pourr ait ainsi que le contact avec l'Espagne ait influencé de manière importante, sur le plan formel notamment, la lyr ique des troubadours.

Un autre point, souvent souligné, est le processus d'émancipation de la femme noble, de la dame (domina) - c'e st -à -dir e de l'épouse du seigneur (dominus) -,qui s'amorce à la fin du XIe siècle, dans le Sud d'abord, et qui a pu être en partie favorisé par le développement, à la même époque, du culte de la Vierge, médiatrice entre Dieu et les hommes.

Cette valorisation de la femme apparaît nettement avec Robert d'Arbrissel (1 050-11 17), l e fondateur de l'abbaye féminine de Fontevrault, qui accueillit notamment les deux épouses et la fille de Guil­ laume IX.

La convergence, au début du xn• siècle, de ces différ ente s m uta ti ons perm et peu t- êtr e d'e xpliq uer le développement, dans le domaine littéraire au moins, d'une nouvelle image de la femme et d'une réflexion sur l'amour humain.

Réflexion dont l'originalité idéologique et thématique est, d'abord, de renverser la hiérarchie établie par 1' Égli se, la soumission de la femme à l'homme, et de placer la dame, célébrée par les trouba­ dours sous l'appellation de midons (meus dominus), « mon seigneur>>, au somme t de la pyramide féodale, à la pointe extrême, jamais atteinte, du désir.

Il est, en outre, vraisemblable -mais invérifiable -que Guil­ laume IX, par son rang social, par ses qualités d'écrivain et de musicien, comme par ce que les documents nous apprennent de son tempérament et de ses mœurs, fort libres, était plus que tout autre qualifié pour recueillir, mettre en forme et diffuser les premi ère s manifestations de ce culte ritualisé de l'amour profane auquel la criti­ que, depuis Gaston Paris, a donné le nom d'amour courtois.

La lyriqu e des troubadours ne saurait cependant se résumer au concept de cortezia.

Bien attesté chez Marca­ bru (v.

1130-1149), où il est associé à mezura, le terme signifie essentiellement, dans l'ensemble de la lyrique occitane, la connaissance et 1' observance, par l'amant et par la dame, du code social, des normes idéales de la vie de cour.

Chez les troubadours, la cortezia n'est pas un art d'ai­ mer.

Elle est simplement la qualité qui, associée à Joven («jeunesse»), Mezura, Pretz («prix», « valeur>> ) et Donar ( « générosité »), prédispose à aimer, à chanter et permet à l'amant d'éprouver la joy ou la dolor d'amour et le désir (le talan) de trover.

La seconde grande manifestation littéraire de la cour­ toisie est l'apparition, vers 1150, d'u n genre narratif nou­ veau, traditionnellement appelé roman courtois.

Comme pour la poésie lyrique d'oc, les cours seigneuriales, essentiellement la cour continentale d'Aliénor d' Aqui­ taine, petite-fille de Guillaume IX, la cour insulaire d'Aliénor et d'Henri II Plantagenêt (à par tir de 1154), puis, plus avant dans le siècle, les cours des deux filles d'Aliénor, Marie de Champagne, protectrice de Chrétien de Troyes, et Alix de Blois, protectrice de Gautier d'Ar­ ras, ont joué un rôle décisif dans la formation et Je déve­ loppement du genre.

Le roman dit courtois, que ce soit le roman antique, Je roman byzantin ou le roman breton, apparaît en effet comme étroitement lié à ce tte pratique du mécénat qu'attestent notamment les dédicaces des œuvres.

Mais on peut également considérer ces textes comme une tentative concertée de la part des clercs, de plus en plus nombreux en milieu seign eurial, pour instruire, diffuser parmi les courtois, les habitants des cou rs, des connaissances et des œuvres jusqu'alors réser­ vées à ceux qui pouvaient lire le latin.

Faire un roman, c'est, pour les auteurs des romans antiques -Thèbes, Énéa s, Troie -, translater (traduire) en romanz la matière antique.

Le rapport à la courtoisie du roman breton -et de l'œuvre de Chrétien de Troyes -est un peu différent.

Comme dans la lyrique des troubadours, la pratique de l'amour, thème fondamental des œuvres, y est réservée à l'élite co nsti tué e par les courtois.

Mais la courtoisie qu'enseignent Arthur et le roman breton (Artus, li boens rois de Bretaingne/Ja cui proesce nos enseigne/que nos soiens preu et cortois ...

, ainsi débute l 'Y vain de Chrétien) ne concerne pas simplement Je domaine amoureux.

L'amour n'est, finalement, que Je plus important des rituels, des codes que doit apprendre le chevalier pour médiatiser Je monde, l'ordonner à l'image de l'univers policé de la cour.

Pour substituer peu à peu à la curée sauvage l'art de la vénerie (Tristan de Thomas), aux jeux brutaux la pratique des échecs ou la maîtrise de la musique et de la poésie (Tristan de Thomas encore), aux combats à ma in s nues les armes ch eval eres qu es (courtoises!) [Perceval, Yvain], à la vie dans la forêt les raffinements des cours seigneuriales (Tristan de Béroul), à la passion désordonnée, à l'amour fou le covant d'amour (Yvain), qui seul peut donner au chevalier et au monde courtois sapes et s'acorde (Yvain, vers 6769).

A la fin du siècle, d'ailleurs, le code est d on né à lire sous sa fo rm e canonique, le Traité de l'amour courtois, arrêté par André Le Chapelain et peut­ être écrit à la demande de Marie de Champagne.

Dans le nord de la France, la courtoisie sous toutes ses formes apparaît ainsi, surtout avec Chrétien de Troyes, comme une tentative globale pour proposer aux cours seigneu­ riales, à la classe chevaleresque, un idéal de civilisation fondé sur la stricte observance d'un certain nombre de codes qui quadrillent et disciplinent l'ensemble des acti­ vités et des pulsions du chevalier, héros et destinataire exclusif du roman courtois.

[Voir aussi ARTHUR ET LA LÉGENDE ARTHURIENNE, CHRÉTI EN DE TROYES, ROMAN S ANTI· QUES, TRISTAN ET ISEUT, TROUBADOURS).

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