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Dans Manon Lescaut, est-ce la marginalité des personnages, la transgression sociale qu'ils incarnent, qui procure un plaisir romanesque au lecteur ?

Publié le 25/03/2024

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« Dans Manon Lescaut, est-ce la marginalité des personnages, la transgression sociale qu'ils incarnent, qui procure un plaisir romanesque au lecteur ? Vous pourrez ouvrir votre réflexion en opérant une comparaison avec d'autres textes du parcours. Cadre : le ROMAN (≠ théâtre, littérature d’idées…) de l‘Abbé Prévost + ouverture possible sur le parcours (Mme Bovary, Liaisons dangereuses, Muse du département, La Princesse de Clèves, Une Vie…) Définition des termes sur lesquels porte la question : marginalité des personnages : de « marge » (ce qui est à la marge, en dehors) —> le fait de ne pas être intégré à la société.

Des Grieux est bien intégré au départ, reconnu comme gentilhomme par Renoncourt, mais renonce à son statut social.

Manon est dès le départ soustraite à la société (couvent) en raison de ses mœurs.

Dans le roman, la marginalité se traduit par des lieux d’exclusion : prison / Amérique / désert.

Mais un comportement peut être marginal dans la mesure où il transgresse la loi sociale. La transgression est le fait d’enfreindre une loi, juridique, morale, sociale (cumul des 2 précédents).

Vivre maritalement (pour l’époque), la prostitution (Manon) / l’adultère (Mme Bovary, Dinah de la Baudraye) / le libertinage (Mme de Merteuil), renoncer à ses voeux, tricher au jeu, s’évader en tuant un homme (des Grieux) sont des transgressions qui peuvent choquer mais aussi donner du romanesque. Thème général auquel la question se rattache : le plaisir romanesque, en général constitué par l’identification et les émotions, l’action et les péripéties, mais aussi l’observation sociale, la réflexion et le style. Forme de la question : ouverte —> plan dialectique : Certes la marginalité/transgression peut rebuter, voire marginaliser le roman lui-même, mais elle plaît au lecteur en lui faisant gouter à l’interdit.

En fait, elle constitue un des moteurs du romanesque, qui en connaît plusieurs. *** En 1734, trois ans après la première parution de l’Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut qui constitue le septième tome des Mémoires d’un homme de qualité de l’abbé Prévost, Montesquieu écrit dans ses pensées à propos de cet ouvrage : « Je ne suis pas étonné que ce roman, dont le héros est un fripon et l’héroïne une catin qui est menée à la Salpêtrière, plaise, parce que toutes les actions du héros, le chevalier Des Grieux, ont pour motif l’amour qui est toujours un motif noble, quoique la conduite soit basse.

Manon aime aussi, ce qui lui fait pardonner le reste de son caractère.

» Il part donc du postulat que la transgression sociale que constituent la friponnerie et la prostitution seraient un obstacle au plaisir du lecteur, lequel ne serait dépassé que grâce à l’amour, sentiment « noble » et plaisant.

Cependant, on peut se demander, à l’inverse, si ce ne sont pas justement l’inconduite et la marginalité des personnages qui séduisent le lecteur. Pour résoudre ce paradoxe nous verrons que certes la marginalité, la transgression à l’œuvre dans Manon Lescaut peuvent rebuter le lecteur en freinant l’identification, voire marginaliser le roman lui-même, mais aussi qu’elles séduisent le public en lui faisant goûter à l’interdit.

En fait, la transgression des interdits ne constituent-elle pas un moteur ambigu du romanesque, appelé à être dépassé ? 1/4 La première moitié du XVIIIè voit s’épanouir le Siècle des Lumières mais reste aussi marquée par les règles classiques, et notamment la bienséance si chère aux dramaturges.

Celle-ci consiste à ne pas choquer le public de façon à ce qu’il ne sorte pas de l’œuvre et adhère à la leçon qu’elle procure, selon la doctrine du placere et docere. D’ailleurs, dans son avant-propos, l’auteur de Manon Lescaut prend soigneusement ses distances avec le comportement de son héros : « [le lecteur] verra, dans la conduite de M. Des Grieux, un exemple terrible de la force des passions.

J’ai à peindre un jeune aveugle, qui refuse d’être heureux, pour se précipiter volontairement dans les dernières infortunes ».

Les termes négatifs que nous soulignons montrent bien que l’abbé Prévost anticipe un déplaisir, ou du moins un jugement négatif du lecteur confronté à cette « histoire » scandaleuse et refusant de s’identifier à son personnage-narrateur et sa maîtresse. En effet, les deux jeunes héros du roman cumulent les mauvaises actions : le soir même de leur rencontre, ils consomment leur amour et se trouvent « époux sans y avoir fait réflexion ».

Or le chevalier des Grieux se destine à l’ordre de Malte, ce qui aurait dû le maintenir dans la chasteté.

Ensuite, loin de réparer leur faute, ils commencent à vivre maritalement, ce qui à l’époque constitue en soi un scandale.

C’est cette transgression initiale qui les précipite dans la marginalité car, même si le chevalier des Grieux est un jeune aristocrate fortuné, cette aventure le met en rupture vis-à-vis de sa famille et le condamne à vivre d’expédients.

Les goûts de luxe de sa maîtresse le conduisent ainsi à tricher au jeu, à escroquer les riches soupirants de Manon, et même à tuer un portier pour s’échapper de Saint-Lazare, la prison où son inconduite l’a fait enfermer.

Ainsi, de péché en délit et de délit en crime, les deux amants vivent de plus en plus marginalement, leur bannissement de la société se concrétisant d’abord par la prison puis par la déportation pour prostitution de Manon en Louisiane, où des Grieux la suit, jusqu’à la mort de la jeune femme dans un « désert », c’est à dire dans l’exclusion sociale ultime. Le roman fonctionne donc a priori comme un avertissement : voilà ce qui s’ensuit — le déclassement et la mort — lorsqu’on cède aveuglément à la passion.

D’après l’avantpropos, le lecteur n’est pas invité à s’identifier mais à juger les personnages.

D’ailleurs, l’auteur prend soin de situer son action sous la Régence, quinze à dix ans avant le moment de la parution : ainsi, le libertinage auquel il consacre quelques pages scandaleuses pour l’époque serait caractéristique de la période antérieure.

Cependant, ces précautions n’ont pas suffi à préserver l’œuvre de la censure.

Interdite par deux fois, elle reparaîtra en 1753, corrigée et enrichie de l’épisode du prince italien, qui reprend sur le mode farcesque le schéma des précédentes frasques de Manon et Des Grieux.

L’œuvre a donc pendant plus de vingt ans connu le sort de ses héros en étant elle-même condamnée et marginalisée.

Le fait de ne pas respecter les codes moraux d’une époque amène en effet des déboires, que connaîtra aussi Flaubert : les adultères de son Emma conduiront l’auteur au tribunal en 1857 et il sera contraint de retirer dans la parution suivante l’image du fiacre d’Emma et Léon s’agitant de manière évocatrice pendant une promenade sans but à travers Rouen. La transgression, la provocation, peuvent donc être un obstacle au plaisir du lecteur dans le sens où il juge plutôt que s’identifier et où le roman peut être lui-même marginalisé par la censure.

Cependant, force est de constater que le scandale, au nom duquel on l’interdit, suscite bien souvent la curiosité et l’appétit du public : après le retentissant procès de Madame Bovary, le roman de Flaubert a connu un immense succès ! Pour Montesquieu, c’est la force de l’amour qui sauve le roman de l’abbé Prévost et procure du plaisir.

En effet, la passion de des Grieux pour Manon est sans faille : elle le précipite dans le crime, mais elle le rend aussi héroïque, comme lorsque, impuissant à délivrer Manon par la force, il choisit dans la deuxième partie de la suivre en Amérique en 2/4 lui sacrifiant les dernières bribes de son statut social.

On peut effectivement ressentir une forme d’admiration pour la puissance de cette passion, d’autant plus qu’elle s’avère finalement être partagée : Manon mourante, dans une scène particulièrement pathétique, se montre sincèrement aimante en retour et le chevalier est ainsi récompensé de sa constance, même si c’est in extremis.

L’amour-passion est effectivement un des éléments romanesques qui plaisent au lecteur et favorisent son identification.

Celui de Manon Lescaut est comme Renoncourt, à qui Des Grieux se confie : il veut savoir ce qui a rendu le jeune homme si malheureux et s’émouvoir de ses mésaventures. Le lecteur apprécie ces sentiments extrêmes car il veut être diverti, au sens premier du terme, c’est à dire détourné de son quotidien souvent beaucoup moins excitant que ce que le roman lui propose : le fait que les.... »

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