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Dernier chapitre de la troisième partie de Madame Bovary.

Publié le 08/09/2006

Extrait du document

bovary

 

Mort d'un amoureux transi

Un jour qu'il était allé au marché d'Argueil pour y vendre son cheval — dernière ressource —, il rencontra Rodolphe. Ils pâlirent en s'apercevant. Rodolphe, qui avait seulement envoyé sa carte, balbutia d'abord quelques excuses, puis s'enhardit et poussa même l'aplomb (il faisait très chaud, on était au mois d'août) jusqu'y l'inviter y prendre une bouteille de bière au cabaret. Accoudé en face de lui, il mâchait son cigare tout en causant, et Charles se perdait en rêveries devant cette figure qu'elle avait aimée. Il lui semblait revoir quelque chose d'elle. C'était un émerveillement. Il aurait voulu être cet homme. L'autre continuait y parler culture, bestiaux, engrais, bouchant avec des phrases banales tous les interstices où pouvait se glisser une allusion. Charles ne l'écoutait pas; Rodolphe s'en apercevait, et il suivait sur la mobilité de sa figure le passage des souvenirs. Elle s'empourprait peu a peu, les narines battaient vite, les lèvres frémissaient ; il y eut même un instant où Charles, plein d'une fureur sombre, fixa ses yeux contre Rodolphe qui, dans une sorte d'effroi, s'interrompit. Mais bientôt la même lassitude funèbre réapparut sur son visage. — Je ne vous en veux pas, dit-il. Rodolphe était resté muet. Et Charles, la tête dans ses deux mains, reprit d'une voix éteinte et avec l'accent résigné des douleurs infinies : — Non, je ne vous en veux plus ! Il ajouta même un grand mot, le seul qu'il ait jamais dit : — C'est la faute de la fatalité ! Rodolphe, qui avait conduit cette fatalité, le trouva bien débonnaire pour un homme dans sa situation, comique même, et un peu vil. Le lendemain, Charles alla s'asseoir sur le banc, dans la tonnelle. Des jours passaient par le treillis; les feuilles de vignes dessinaient -leurs ombres sur le sable, le jasmin embaumait, le ciel était bleu, des cantharides bourdonnaient autour des lis en fleur, et Charles suffoquait comme un adolescent sous les vagues effluves amoureux qui gonflaient son coeur chagrin. A sept heures, la petite Berthe, qui ne l'avait pas vu de toute l'après-midi, vint le chercher pour dîner. Il avait la tête renversée contre le mur, les yeux clos, la bouche ouverte, et tenait dans ses mains une longue mèche de cheveux noirs. — Papa, viens donc ! dit-elle. Et, croyant qu'il voulait jouer, elle le poussa doucement. Il tomba par terre. Il était mort. Trente-six heures après, sur la demande de l'apothicaire, M. Canivet accourut. Il l'ouvrit et ne trouva rien.

 

Jusqu'à ce qu'il découvre les lettres de Rodolphe, Charles est un personnage qui s'ignore : il ne sait pas ce que les autres, narrateur et lecteurs compris, savent de lui. Il est encore, en somme, le « nouveau « qu'il était au début du roman, dans la salle de classe où il apparaît.  Jusqu'à la rencontre avec Rodolphe, Charles, qui ne s'est jamais opposé à personne, n'a pas eu l'occasion de devenir quelqu'un. Paradoxalement, c'est le désir d'être un autre qui va lui' faire comprendre qui il est.

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