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Des précieuses ridicules à l'école des femmes ou l'évolution des comédies de Molière

Publié le 08/03/2011

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   Molière a commencé par suivre la mode, en y ajoutant toutefois sa marque. L'Etourdi et le Dépit, composés et représentés d'abord en province, sont imités de l'italien et dans la manière des comédies de Corneille. Mais voici la rentrée à Paris. A reprendre pied dans sa bonne ville et respirer l'air natal, le parisien Molière se retrouve un autre homme et se découvre lui-même. Les Précieuses ridicules, représentées, le mardi 18 novembre 1659, sur le théâtre du Petit Bourbon où elles faisaient affiche avec Cinna, inaugurent une manière toute nouvelle. Plus d'intrigue romanesque et presque plus d'intrigue : juste ce qu'il en faut pour encadrer l'étude de mœurs, prise sur le vif, en pleine actualité. Et la pièce est une farce. Elle s'est appelée d'abord La farce des Précieuses. La voie est ouverte où, désormais, chaque étape sera marquée par un chef-d'œuvre.

« Horace.

Mais avant d'arriver au premier en date des chefs-d'œuvre de la grande manière, il nous faut traverser unintermède qui ne laisse pas d'avoir son importance. Ce serait, pour qui veut suivre dans son développement l'œuvre de Molière, une grande lacune d'oublier ou dedédaigner l'entrepreneur de spectacles, obligé de fournir aux divertissements de Louis XIV.

Avec quelle âpreté ne luia-t-on pas reproché sa complaisance à se faire « l'amuseur » du souverain ! Il est vrai qu'il ne s'avisa pas, le grandart étant de plaire, qu'il fût défendu de plaire au Roi, lui seul.

Nous n'hésitons pas, pour notre part, à nous réjouirqu'il ait si bien réussi dans cette partie de sa tâche.

Non seulement il s'est acquis, par ce moyen, la faveur royale,sans laquelle il n'eût pu faire représenter et sans doute il n'eût pas écrit les plus hardies de ses grandes comédies ;mais on doit admirer sans réserve la souplesse et la fertilité d'invention avec lesquelles il a su, de cette nécessitémême, tirer pour son art des ressources nouvelles. « Comédie faite pour les divertissements du Roi, au mois d'août 1661 », ainsi s'intitulent les Fâcheux.

Il s'agissait dedonner au Roi le divertissement de la comédie, dans la fête que Fouquet allait lui offrir, en sa somptueuse résidencede Vaux, le 17 août 1661, et qui, sitôt suivie de la disgrâce du surintendant, devait en recevoir un tragique reflet.La comédie fut « conçue, faite, apprise et représentée en quinze jours ». C'était le temps de la grande passion du jeune Roi pour la danse.

Qu'à cela ne tienne : à la comédie Molière mêlerades entrées de ballet.

« C'est, dit-il, un mélange qui est nouveau pour nos théâtres.

» Et voilà créé, en effet, ungenre nouveau et charmant.

Mêlant la parole, la musique et la danse en d'harmonieuses proportions, la comédie-ballet préparera la voie à l'opéra, et mettra dans la comédie raisonnable du XVIIe siècle une délicieuse note defantaisie. Aussi bien, ni musique ni danse ne font oublier au poète l'objet propre de la comédie, la peinture des mœurs.

Il metsous nos yeux une riche galerie de portraits, choisis parmi ceux dont un prince pouvait le mieux s'égayer.

Il enmanque un, et c'est le Roi qui s'en avise.

C'est à la suggestion de Louis XIV, devenu son collaborateur, que Molièreajoute le personnage du Chasseur, copié sur l'original de M.

de Soyecourt.

Or il est au moment où la faveur marquéedu Roi va être la condition nécessaire, indispensable à la continuation même de son œuvre. C'est à juste titre que Ferdinand Brunetière a choisi l'Ecole des Femmes (26 décembre 1662) pour en faire une «époque du théâtre français» et de là jeter un regard d'ensemble sur le théâtre de Molière. Le poète y reprend un sujet déjà traité par lui, auquel il va donner sa forme définitive : à vouloir contrarier la nature,on perd sa peine et on est battu d'avance.

C'était déjà le thème de l'Ecole des Maris; mais, ici, chacun despersonnages est à la fois plus individuel et plus général.

Les traits qui lui sont particuliers sont plus accentués, et enmême temps il s'élève au type.

Arnolphe n'est pas tout uniment un barbon fait pour être berné : seule, son humeurjalouse et qui tourne à la manie, fait de lui un ridicule.

C'est dire qu'il est non pas un rôle de théâtre, mais unhomme, tel que nous en connaissons beaucoup, chez qui un défaut gâte les meilleures qualités.

De tous les jeunesgens que Molière a mis dans son théâtre, Horace est celui dont l'image se présente d'abord à notre esprit, nul autren'ayant plus que lui d'élan, de grâce, d'imprudence, de bonheur, et, pour tout dire en un mot, de jeunesse.

Mais,c'est Agnès qui est la création de génie.

Sous les coiffes virginales et les yeux baissés de l'enfant charmante etcruelle, Molière a personnifié la toute puissance de l'amour sur un cœur où nul principe, nul sentiment acquis nevient refréner la poussée de l'instinct qui s'éveille.

Si complète est l'ingénuité de cette ingénue que d'abord elle nousdéconcerte.

Nous sommes tentés d'y soupçonner quelque artifice, début d'une rouerie naissante.

C'est ce que nemanquent pas d'indiquer les plus gracieuses interprètes du rôle, et c'est leur tort.

Elles ont le tort d'apercevoirAgnès à travers la Cruche cassée.

Agnès est sans détour et son innocence n'est point feinte : Je n'entends point de mal dans tout ce que j'ai fait. Mais l'amour est un grand maître : il saura donner à cette ignorante l'esprit, qu'il ne refuse pas même aux plussottes. Désormais, dans le théâtre de Molière, notre regard ira droit à ces types, — vrais d'une vérité universelle, vivantsd'une vie plus intense que les êtres réels de chair et de sang, — qui composent l'humanité idéale créée par lespoètes et douée par eux de l'immortalité. Ecole des Maris, Ecole des Femmes, tournent autour d'une question dont il apparaît que Molière est alors toutparticulièrement préoccupé, et pour cause : celle du mariage.

Quelques semaines avant qu'il fît jouer l'Ecole desMaris„ Molière demandait à sa troupe deux parts pour lui et sa femme, — s'il se mariait.

Il se mariait, en effet, le 20février 1662, dix mois avant l'Ecole des Femmes.

Il épousait la jeune sœur de Madeleine Béjart, — Armande, Claire,Elisabeth, Grésinde Béjart, — qui avait dix-huit ans. Ce n'est pas forcer les choses de penser qu'il y a une secrète correspondance entre le sujet de ces deux pièces etles pensées qui, dans la réalité, hantaient l'esprit de leur auteur.

« Molière n'est pas Arnolphe, dit M.

Donnay, pasplus qu'Armande n'est Agnès ; mais tout de même Molière a quarante ans, comme Arnolphe, et les mêmesinquiétudes.

» Et voilà entrée dans la vie de Molière cette Mlle Molière qui tiendra tant de place dans son œuvremême.. »

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