Devoir de Philosophie

Deux amis lettrés engagent le débat suivant après avoir lu « Le Voyage » de Charles Baudelaire. L’un soutien que les poètes ne savent que ressasser à l’infini des thèmes banals, l’autre défend l’originalité de la mission poétique. Vous construirez un dialogue argumenté, illustré d’exemples variés, et précédé de quelques lignes d’introduction qui contextualiseront le dialogue.

Publié le 15/03/2011

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baudelaire

Automne 1987. Hilde, étudiant en lettres classiques, est assis à une table du Café de Flore sur le Boulevard Saint-Germain. Les chaises sont disposées de telle sorte que les clients sont assis face au boulevard, côte à côte.  Il a entre les mains une vieille édition de couleur pourpre des  Fleurs du Mal de Baudelaire dans laquelle est annexée Note nouvelles sur Edgar Poe. Sur la table, un exemplaire des Châtiments de Victor Hugo, et un recueil de poésie du romantique russe Alexandre Pouchkine. Un étudiant de l’université traverse la route.  Après avoir reconnu Hilde, il tire une chaise, et s’installe à sa droite.

 

Hilde, levant la tête : Ah ! Goetz… Que faites-vous là ?

Goetz : Je reviens de l’université. Je m’entretenais avec mon directeur de thèse, qui…

Hilde, froidement : Bien, bien…  Il se remet à sa lecture.

baudelaire

« Baudelaire.

Ce vers fait écho à un autre, quelques strophes plus bas : « Dont le mirage rend le gouffre plus amer » . Le texte est jalonné par le lexique de la déception.

Le Voyage dont parle Baudelaire est la représentation allégoriquede la vie… Là, c'est le moment où tu vas me demander Pourquoi ? Et je suis content que tu m'es posé cette question ! « Le Voyage » représente la vie.

En effet, le poème se termine par la mort des voyageurs, et il commencepar le terme Pour l'enfant .

Je pense que dans le poème Le Voyage, Baudelaire cherche à mettre en évidence l'absurdité de l'existence … Goetz : L'absurdité de Camus aurait donc hérité de Baudelaire ? Qu'entendez vous donc par « mettre en évidence l'absurdité de l'existence ? » Hilde : Je n'oserais ! Je pense cependant, que le poème Le Voyage a sa part d'absurdité.

Dans le poème on peut observer deux forces qui s'opposent : l'appel humain à connaître sa raison d'être – représenté par la quêteincessante des voyageurs, de cette « fatalité dont jamais ils ne s'écartent »,- et l'absence de réponse du milieudans lequel ils évoluent – entendre par là, les nombreuses désillusions qui leur font face.

Les voyageurs naviguentdans un monde, dont ils ne peuvent accepter la réalité… Goetz : … et dont ils ignorent tout. Hilde : Non, non, non.

Vous faites erreur.

Ils n'ignorent rien de ce monde, bien au contraire, ils en connaissent tout. Ils l'ont parcouru dans tous les sens, géographiquement et moralement.

Géographiquement ils s'attendaient àtrouver des merveilles, « Des bijoux merveilleux, fais d'astres et d'éther » , mais ils ont été déçus, à l'image du «Voyage à Cythère » autre poème que l'on trouve dans les Fleurs du Mal .

Dans ce poème, ils s'attendaient à trouver une « Belle île aux myrtes verts, pleine de fleurs écloses » , ils n'ont vu « Qu'un désert rocailleux troublé par des cris aigres » , et un gibet avec un pendu.

Voyez, donc.

« Dans ton île, ô Vénus ! Je n'ai trouvé debout/ Qu'un gilet symbolique où pendait mon image ».

Ils ont « salué des idoles à trompe/des trônes constellés de joyaux lumineux » mais ils se sont ennuyés. Goetz : Et moralement ? Hilde: Moralement, ils ont éprouvé toutes les expériences et toutes les illusions, mais ils n'ont vu que le péché le vice, la femme… Goetz : La femme ? Quelle horreur ! Hilde: Riez, riez.

Mais la femme est un des thèmes récurrents chez Baudelaire le mysogine.

« La femme stupide », « La femme frivole ».

Dans Mon cœur mis à nu un des ses journaux intimes il dit : « J'ai toujours été étonné qu'on laissât les femmes entrer dans les églises.

Quelle conversation peuvent-elles tenir avec Dieu ? ».

Mais là n'est pas le sujet ! Je disais donc que l'homme est désabusé, ils perdent tout espoir au fur et à mesure des déceptions.L'homme esclave de ses passions, le bourreau sadique et le martyr lâche, la foule aveugle et stupide, « la multitude vile ».

Dans « A une passante » des « Tableau parisiens » on verra même la dénonciation de la politique pervertie : « Et le peuple amoureux du fouet abrutissant », la religion souillée et dénaturée : « La sainteté/Comme en un lit de plume un délicat se vautre/ Dans les clous et le crin cherchant la volupté », et, pour les « moins sots » les paradis artificiels, l'opium.

Et au cours de ses voyages, physique ou moraux, ils se sont encore et toujours ennuyés.

Ils n'ontplus aucune illusion.

Ils ont, comme les « Bohémiens en voyage » des Fleurs du Mal , « le morne regret des chimères absentes ». Goetz : Rien de bien original, non ? Dans « Brise marine » de Mallarmé : « La chaire est triste, hélas ! Et j'ai lu tous les livres/ Fuir ! Là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres / D'être parmi l'écume inconnue et les cieux ! » Hilde : Non ! Parce que pour Baudelaire, fuir ce n'est pas aller vers des climats exotiques, c'est déjà fait.

La seule issue est la mort.

Non pas pour l'anéantissement, pour le « Lethé », mais « enfer ou ciel, qu'importe », pour « trouver du nouveau ».

Ce qui correspond plus ou mois à «La Lettre du Suicide » que Baudelaire adresse à Narcisse Ancelle le 30 juin 1845 : « Je me tue parce que je me crois immortel » .

C'est le spleen baudelairien, « le Mal du Siècle » dont parlait Musset.

Pour Baudelaire, c'est cet état spécifique qui définit la condition humaine, et sonabsurdité.

Dans Le Mythe de Sisyphe , Albert Camus défini l'absurde comme : « la confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde ».

Un silence déraisonnable que les voyageurs épongeront « au fond du gouffre », « au fond de l'Inconnu ».

Dans Le Mythe de Sisyphe , le héro se suicide, agacé de répéter en vain le même travail sans espoir.

Nos voyageurs dans « Le Voyage » ne font ils pas la même chose, en demandant à leurcapitaine qu'ils apostrophent comme la mort, de « lever l'ancre » ? Le fait que ce soit leur souhait, et non une proposition de la mort, fait allusion à un suicide ; et sa collectivité, est d'autant plus impactant, qu'elle estreprésentative d'un plus grand nombre d'individu, donc de la Condition Humaine même.

Tout le monde est concerné. Goetz : Induction intéressante, d'autant plus que vous me savez inconditionnel de l'œuvre de Camus.

J'aurais été un de ses premiers partisans de votre théorie, si je n'avais lu les Notes nouvelles sur Edgar Poe rédigée par Baudelaire lui-même.

Regardez donc le livre.

Voici le passage.

Je lis.

« La poésie pour peu qu'on veuille descendre en soi- même, interroger son âme, rappeler ses souvenirs d'enthousiasme, n'a pas d'autres but qu'elle-même ; et ne peuten avoir d'autre.

» Ce qui en quelque sorte, rappelle la phrase de Edgar Allan Poe dans The Poetic Principle publié en 1850, traduite par Charles Baudelaire comme : « La poésie n'a aucun rapport, ni avec le devoir, ni avec lavérité ».

Voyez-vous ? Je ne pense pas qu'il puisse s'agir ici de fausse modestie car tout écrivain, selon Sartre,dispose d'un égo surdimensionné.

Non, je pense que les poèmes reflètent le beau mais ne reflètent pas la vérité.

Et. »

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