Devoir de Philosophie

Dialogue des morts entre Corneille et son neveu Fontenelle: La scène se passe en 1757, à l'arrivée de Fontenelle aux enfers.

Publié le 10/02/2012

Extrait du document

corneille

CoRNEILLE. - Mon cher Neveu, vous m'avez fait attendre au delà des

délais coutumiers; et si la patience - sur laquelle vous dissertâtes jadis

si joliment - n'était une vertu d'outre-tombe, je me serais certainement

laissé aller à de graves manquements en la matière. Je ne pensais pas,

certes, vous devancer de si longtemps dans l'éternité, vous que j'avais vu

si frêle et si chétif au berceau....

corneille

« auxquels on vous reconnaît aussitôt.

Vous êtes resté dans l'Au-delà le rude jouteur qui mettait aux prises Rodrigue et don Gormas, Néarque et Po- lyeucte...

.

C.

-Soit; ce mot n'est point pour me déplaire.

Et puis(\Ue vous avez fait allusion au Cid, ne vous rappelez-vous pas un vers q;ue je plaçai sur les lèvres d'un personnage assez inutile dans la pièce, maxs qui mériterait plus d'égards, ne serait-ce que pour cet alexandrin ...

F.

- ...

Vous voulez parler, bien sûr, de l'Infante; mais comme on sup­ prime maintenant ce rôle, je ne vois guère à quel vers vous me renvoyez.

C.

- C'est un de ceux dont je suis le plus fier, et auquel vous n'avez pas songé quand vous composiez votre sage petit traité, trop sage à mon gré, sur le Bonheur.

Dans le bonheur d'autrui je cherche mon bonheur.

F.

- Je vous vois venir.

Après tant d'autres, vous allez me reprocher mon égoïsme, le soin que j'ai pris de ma santé, la prudence avec laquelle j'ai évité tout ce qui pouvait troubler mes digestions, ma boutade : «!>our êtrè heureux, il faut avoir l'estomac bon et le cœur mauvais » ; mon endur­ cissement dans le célibat ...

que sais-je encore? C.

- Je suis bien aise que vous me préveniez, et que cette confession ait jailli spontanément de votre âme.

Oui, je pensais un peu à tout cela, car j'y découvre une explication qui vous a jusqu'alors échappé.

Sans nul doute, si vous n'avez pas trouvé le bonheur sur terre, c'est parce que vous ne vous y êtes à peu près occupé que de vous-même.

F.

- Croyez-vous sincèrement à votre poétique affirmation? Cette petite Infante me paraît un peu bien chimérique.

Multiplier les bienfaits, n'est-ce point accroître le nombre des ingrats? En toute loyau.,té, avez-vous pratiqué ce que vous enseigniez là, et vous en êtes-vous bien trouvé? C.

- Je crois l'avoir réalisé dans la mesure de mes moyens et n'ai eu, je vous l'assure, qu'à m'en féliciter.

Du jour où je fondai un foyer, j'en éprouvai la parfaite justesse.

Vivre pour une compagne aimée et r-espectée, pour des enfants très chers; travailler, se sacrifier pour autrui; oser vivre dangereusement et non point enveloppé dans du coton, c'est là, je vous l'affirme derechef, le commencement d'un solide bonheur.· F.

~ Eh quoi? Ce n'en est que le commencement? C.

- Oui, mon cher Neveu.

Il y a mieux encore.

Vivre pour ce prochain immédiat qu'est notre famille, cela semble tout naturel, encore qu'il ·en coûte parfois; mais il est une joie plus haute.

C'est de se sacrifier totale­ ment : corps, biens, cœur, à un grand Idéal.

F.

- Je retrouve là l'auteur de Polyeucte.

Ces sortes de renoncements, accompagnés de formules ronflantes, sont au théâtre, .ie l'avoue, du plus bel effet ...

encore n'y vont-ils point sans quelque ridicule.

Connaissez-vous les jolis vers qu'écrivit sur votre pièce M.

de Voltaire? C.

- Je n'ai cure de M.

de Voltaire, ni de ses vers, ni du Commen­ taire qu'il a fait des miens.

J'ai seulement oui-dire que c'est un mauvais garnement et que nombre de ses admirateurs, qui l'ont devancé dans ces parages, se repentent amèrement de l'avoir lu ou écouté.

Cela me suffit.

F.

- Il a.

pourtant bien de l'esprit, mon cher Oncle, et il a composé de belles tragédies qui n'eussent point déJ!aré l'illustre collection des vôtres.

Souffrez donc que je vous récite ces légers octosyllabes, écho fidèle de l'Opinion, reine du monde, vous ·le savez, et puissance qu'il est toujours téméraire de braver : De Polyeucte la belle âme Aurait faiblement attendri Et les vers chrétiens qu'il déclame Seraient tombés dans le décri, N'eût été l'amour de sa femme Pour ce païen, son favori, Qui méritait bien mieux sa flamme Que son bon dévot de mari.

C.

- Voilà, en effet, d'impertinents petits vers.

Mais, grâce à Dieu, l'in­ solence et l'ironie ne tinrent .iamais lieu d'arguments, et une négation ne saurait prévaloir contre les faits.

F.

- Et quels faits prétendez-vous alléguer là contre? Pour moi, je n'en découvre guère que dans la fable.

La vie ne m'en a fourni aucun exemple.

". »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles