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Dom Juan de Molière: L'apologie du libertinage

Publié le 22/02/2012

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Depuis sa création, Dom Juan a fait l'objet des interprétations les plus contradictoires. Lors de la première représentation du 15 février 1665 qui fut jouée avec grand succès au Palais-Royal, La Grange jouait le rôle de Dom Juan, Molière celui de Sganarelle, Armande Béjart celui de Charlotte et la Du Parc celui d'Elvire. Les dévots ne se laissèrent pas abuser par le dénouement édifiant de la fable et accusèrent Molière d'avoir voulu faire l'apologie du libertinage. Le Prince de Conti, dans son Traité de la Comédie, publié en 1666, accuse Dom Juan d'être « une école d'athéisme », tout en reconnaissant que «ce Dom Juan est un athée qui a beaucoup d'esprit. ». Les partisans de la cabale concentrèrent leurs critiques sur Molière-Sganarelle qui, sous couvert de défendre la religion, la tournait en ridicule. Le Prince de Conti, modèle probable de Dom Juan, était à la fois juge et partie et avait tout intérêt à discréditer une oeuvre qui, sous la peinture du libertinage, s'en prenait surtout à l'hypocrisie.
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« un adepte de ces principes.

Son amoralisme le conduit à un nihilisme qui, par définition, élimine tous les scrupules,aussi bien moraux que religieux.Au-delà des circonstances, cette mutation entraîne cependant une dualité qui amène à s'interroger sur lesconditions, les limites et même le principe de l'identité personnelle.

Le masque d'hypocrisie que revendiquehautement Dom Juan auprès de Sganarelle, compte une manifestation de liberté, n'en constitue pas moins runeconcession essentielle à cet ordre moral qu'il prétend combattre.

En participant à la mystification générale, DomJuan participe à une oppression dont il est la première victime par la diminution, sinon la perte d'identité que celasuppose.Quand un libertin feint de se dédire et se rallie au conformisme ambiant, il contribue à renforcer un illusionnismeprogrammé; cet abandon fait toujours le jeu de la domination politique et sociale fondée sur l'apparence et lemimétisme.Si Molière, à travers Dom Juan, avait voulu plaider pour le droit à la liberté de pensée et à la liberté de moeurs, iln'aurait abouti qu'à démontrer que l'une et l'autre n'avaient d'autre recours, pour s'exercer, que celui de sedissimuler sous leurs contraires.

C'est pourquoi, en fin de compte, l'hypocrisie et le libertinage se confondent et sontexposés à une même réprobation.Enfin, il faut rappeler qu'en dépit de son aversion pour les dévots, Louis XIV se méfiait plus encore des libertins qu'iln'hésitait pas à châtier férocement.

On enfermait les libertins avec les fous dans les Hôpitaux Généraux.

Le 30 marsde l'année même de Dom Juan, un jeune seigneur libertin, du nom de Vardes, fut arrêté et enfermé dans le cachotd'une citadelle.Molière ne serait pas resté le comédien favori du Roi, si louis XIV avait supposé un seul instant que l'auteurpartageait les convictions de son personnage.Mais la signification d'un grand texte déborde toujours les intentions de son auteur.Combien de dissidents, sous des régimes totalitaires d'hier et d'aujourd'hui, ont fait l'expérience du double jeu auqueldoit se plier Dom Juan? Combien y ont perdu leur âme? Un héros païen Bien que le conflit d'idées entre les partisans du principe d'autorité et les défenseurs de la libre critique constituel'arrière-plan indéniable des aventures de Dom Juan, la conception du personnage aussi bien que la poétique mêmede l'oeuvre viennent d'ailleurs et ne sont pas réductibles à des critères proprement historiques.Bien que par sa révolte contre la morale chrétienne, la position de Dom Juan s'apparente au libertinage, elle relève,en fait, de déterminations plus lointaines.

En s'emparant de la légende espagnole, Molière l'a détournée de sa finalitéimmédiate, il l'a en même temps ramenée en arrière, vers un passé archaïque dont la mentalité resurgit dans unhéros qui se définit avant tout par sa liberté souveraine, par son mépris des conventions et des usages et par sonesprit ludique.Ces traits le rapprochent, non du Lucifer de la mythologie chrétienne, mais du Jupiter désinvolte et galant de lamythologie païenne que Molière représentera plus tard avec humour dans Amphitryon.Paul Bénichou dans ses Morales du Grand Siècle, a fort bien perçu cette dimension du combat qui oppose Dom Juanaux moeurs de son temps.

Le «grand seigneur méchant homme » incarne la conscience minoritaire d'une castearistocratique condamnée par l'histoire : « Cette amoralité souveraine », écrit Bénichou, « exempte de tout sentiment de culpabilité, emprunte sans douteses caractères à une conception du héros bien antérieure au christianisme.

Les éléments merveilleux de l'histoire deDon Juan, l'invitation à dîner du mort, la statue animée, le châtiment surnaturel du héros, trahissent une formationlégendaire archaïque, dont la signification dépasse certainement la moralité apparente du drame.

En conséquence onpeut considérer, si l'on veut, la légende de Don Juan comme le point de rencontre de la vieille conception du hérossouverain, qui double et éclipse les maris et sème au gré de ses désirs le germe vital, avec la morale chrétienne, quinon seulement condamne toute prétention à la surhumanité, mais se lie à des institutions où la jalousie des hommeset l'honneur des femmes se trouvent ligués contre les entreprises du séducteur.

Cette interprétation de Dom Juancomme une figuration chrétienne d'un héros païen, devenu maudit, a l'avantage de rendre compte à la fois de cequi, en lui, demeure visiblement étranger au christianisme, et de ce qui, dans le drame, assure au christianisme uneécrasante victoire.

» Et Bénichou conclut : « Tout le problème de Dom Juan revient donc à rendre compte del'aggravation moderne du conflit entre l'aspiration noble à la surhumanité et la loi chrétienne.

»(Bénichou, 17, pp.

170-171) On trouve un point de vue analogue dans l'étude d'Otto Rank sur Dom Juan et le double.

Rank écrit, en effet : «...

Don Juan ne périt pas du fait des excès de sa vie voluptueuse ni parce qu'il a outrepassé les bornes de lamorale.

C'est d'avoir surestimé sa propre valeur, d'individu libre sans égards pour les convenances, que périt DonJuan, bref, victime héroïque, qui s'est crue supérieure, non seulement à toutes les lois humaines, mais aussi à toutesles institutions divines.

» (Rank, 38, p.

136) De ce combat inégal le héros était appelé à sortir vaincu.

Cet échec, bien qu'il soit inscrit dans la légende, constitue. »

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