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Dom Juan de Molière: Une construction hybride

Publié le 22/02/2012

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Une pièce mal faite. Longtemps Dom Juan fut une pièce mal aimée et mal comprise. Le principal reproche qui lui était adressé visait la structure, jugée informe. L'appréciation d'un critique du début du XXe siècle, Emile Faguet, résumait l'opinion courante sur cette oeuvre estimée marginale dans la carrière de Molière. Dom Juan, selon Faguet, était « une pièce mal faite, incohérente, disparate ». Dans la perspective de la tradition classique, cette condamnation se justifiait parfaitement. Or, la réaction même qu'elle suscitait montrait à quel point la sensibilité française, en dépit de la révolution romantique, était restée imprégnée du principe d'unité. De ce point de vue, le Dom Juan est une oeuvre aussi aberrante que n'importe quelle comédie de Shakespeare. Il est vain d'y chercher une structure homogène, centrée sur une intrigue unique et clairement motivée. Emile Fabre, qui fait l'éloge de la pièce mais ne l'a pas plus comprise que M. Faguet, expliquait justement la si longue indifférence dont elle a été victime par son éparpillement déconcertant. Au lieu de former un tout, son action offre une ligne brisée, au lieu de s'enchaîner selon une progression dramatique inéluctable, les scènes sont fragmentées. A première vue, Dom Juan pourrait, en effet, passer pour une pièce à sketches, tellement chaque scène semble conçue de façon autonome, sans lien avec celle qui la précède et celle qui la suit. Et pourtant, il n'en est rien. Dom Juan est une oeuvre d'une cohérence formelle absolue. Simplement elle n'obéit pas au principe d'unité qui a définitivement modelé nos esprits habitués à penser en ligne droite, jamais en courbe ou en cercle. Dom Juan est une oeuvre où chaque scène est pensée en fonction de l'ensemble avec laquelle elle entretient des rapports non concentriques mais polysémiques, pluriels.
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« situation, à avoir le dernier mot.

Et pourtant, ce conquérant, qui se compare à Alexandre, est toujours tenu enéchec.

Ce séducteur sans cesse à l'affût d'une nouvelle proie est constamment en train de fuir.Ainsi sa prétention à l'inconstance n'est souvent que le masque de son impuissance.

;Le naufrage est un épisodequasi symbolique de cette disproportion grotesque entre l'immensité des désirs proclamés et les piteux résultatsauxquels ils aboutissent.

Dom Juan ayant perdu la femme qu'il convoitait est obligé de se rabattre sur deux pauvrespaysannes qu'il n'a pas de mal à éblouir.

Mais, au moment où il se croit sur le point de triompher, il est contraint àune fuite précipitée et doit se déguiser en valet pour échapper à ses poursuivants.La construction de l'intrigue consiste donc à prendre à rebours la loi du genre, elle présente un héros, qui, au lieud'avancer, recule.

C'est la principale fonction du mythe qui s'en trouve pervertie : le conflit entre la libertéindividuelle et la morale religieuse et sociale fait place à une opposition dérisoire entre le langage et la réalité, entreune ambition chimérique et l'inéluctable cours des choses.Dom Juan sera amené, d'ailleurs, à le constater, lorsqu'au dernier acte, il explique sa conversion à l'hypocrisie par lanécessité de «s'accommoder aux vices de son siècle».

L'important n'est pas le mot vices, mais l'obligation de s'yaccommoder.

Ce pragmatisme soudain signifie de toute façon une sérieuse entorse à la volonté de liberté.

D'ailleurs,cette ultime parade ne produira pas les fruits escomptés.

Après un bref et facile succès auprès de son père, DomJuan se heurtera à Dom Carlos avant de périr en donnant la main à la Statue. Parallélismes et inversions Les parallélismes, déjà déterminants dans la construction de Tartuffe deviennent ici l'axe central de la composition.Ainsi, la scène avec Done Elvire au quatrième acte ne prend son sens que par rapport à sa première apparition aupremier acte.

De même la scène avec Dom Louis au dernier acte est absolument symétrique de la premièrerencontre entre Dom Juan et son père.

Dans son repentir hypocrite, Dom Juan répond point par point aux reprochesqui lui avaient été adressés par son père à quelques scènes de distance.Enfin, les deux scènes avec Dom Carlos se répondent pareillement.

L'hypocrisie de Dom Juan lui a aliéné l'estime etla sympathie que lui avait valu son courage auprès du frère de Done Elvire.Il est inutile d'insister sur la symétrie des deux soupers.La Statue lance un défi à Dom Juan, mais il ne faut pas oublier que l'impie a le premier provoqué le Ciel.Ces quatre séries parallèles sont reliées selon une combinatoire qui règle les alternances, les similitudes et lesoppositions.Les trois protagonistes humains font tous pression sur Dom Juan pour l'amener à changer de vie, tandis que laStatue se contente de répondre à la moquerie du libertin.

Le calme laconique du Commandeur tranche sur l'émotionmanifestée par les autres personnages.Mais Dom Juan doit faire face aux initiatives de son père, de Done Elvire et de Dom Carlos, tandis qu'il prendl'initiative face à la Statue.

Il est passif dans les trois premiers cas, et il se tirera d'affaire; il est actif dans ladernière situation qui lui sera fatale.L'attitude de Dom Juan envers Dom Carlos au cinquième acte constitue le parfait démenti de la conception del'honneur qu'il défendait en mettant en fuite les brigands.

Dom Juan prouve qu'il n'a gardé de ses origines qu'unebravoure purement physique, mais que moralement il est indigne de sa naissance.On peut voir une ironie supplémentaire dans le fait que Dom Carlos veut l'obliger à renouer avec Done Elvire aumoment où celle-ci a résolu la question en se retirant au couvent de son plein gré.Dom Louis, Dom Carlos et Done Elvire se réfèrent tous trois à un idéal que Dom Juan tourne en dérision.

Mais lesdeux hommes restent prisonniers des conventions et d'un compromis qui, comme le montre fort bien le libertin,aboutit au triomphe de l'hypocrisie.

Seule Done Elvire dépasse le cadre étroit des convenances, ce qu'elle souligneelle-même par son allusion à l'heure tardive et au caractère incongru de sa visite : «Ne soyez pas surpris, DomJuan...

» Elle ose venir chez le scélérat qui l'a séduite, trompée, humiliée, elle ose transgresser les bienséancesmondaines et humaines.

Done Elvire et Dom Juan se rejoignent dans le mépris des préjugés, mais la bassesse deDom Juan s'oppose à la noblesse de Done Elvire, quand il ralliera le camp des hypocrites pour mieux enfreindre unemorale qui fait obstacle à ses désirs.La succession apparemment incongrue d'un tableau villageois après la tension du premier acte dissimulait, en fait, uncontrepoint subtil entre la trahison d'Elvire par Dom Juan et la trahison de Pierrot par Charlotte.

Le parallélisme sedoublait d'un chiasme qui tout en intervertissant les rôles montrait que les relations amoureuses obéissaient à deslois indépendantes des circonstances, des moeurs et des milieux sociaux. La forme et le contenu La construction dramatique de Dom Juan semble donc fondée sur le principe de symétrie, mais loin de répondre auculte des proportions cher à l'esthétique classique, cette symétrie n'est exhibée que pour être perpétuellementsubvertie et invertie.Les parallélismes sont un cadre commode pour toutes les variations et toutes les transgressions possibles.

Lalinéaritéde l'intrigue interdit les chassés-croisés permanents qui sont permis par la disposition en miroir de scènes qui tirentleur sens moins de leur succession que d'une forme ouverte en rupture avec les contraintes habituelles de latemporalité, de la chronologie.

Certes, Molière n'est pas Faulkner, mais la vérité psychologique lui apparaissait déjàincompatible avec le déroulement traditionnel d'une histoire rectiligne.. »

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