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Émile Zola, L'Oeuvre, 1886, Éd. Garnier-Flammarion, page 377 (commentaire)

Publié le 21/02/2011

Extrait du document

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Le peintre Claude Lantier, en compagnie de son ami, le romancier Sandoz, revient sur les lieux où il a « travaillé, joui et souffert «.

A mesure qu'il avançait le long de la berge, il se révoltait de douleur. C'était à peine s'il reconnaissait le pays. On avait construit un pont pour relier Bonnières à Bennecourt : un pont, grand Dieu ! à la place de ce vieux bac craquant sur sa chaîne, et dont la note noire, coupant le courant, était si intéressante ! En outre, le barrage établi en aval, à Port-Villez, ayant remonté le niveau de la rivière, la plupart des îles se trouvaient submergées, les petits bras s'élargissaient. Plus de jolis coins, plus de ruelles mouvantes, où se perdre, un désastre à étrangler tous les ingénieurs de la marine ! — Tiens ! ce bouquet de saules qui émergent encore, à gauche, c'était le Barreux, l'île où nous allions causer dans l'herbe, tu te souviens ?... Ah ! les misérables ! Sandoz, qui ne pouvait voir couper un arbre sans montrer le poing au bûcheron, pâlissait de la même colère, exaspéré qu'on se fût permis d'abimer la nature. Puis, Claude, lorsqu'il s'approcha de son ancienne demeure, devint muet, les dents serrées. On avait vendu la maison à des bourgeois, il y avait maintenant une grille, à laquelle il colla son visage. Les rosiers étaient morts, les abricotiers étaient morts, le jardin très propre, avec ses petites allées, ses carrés de fleurs et de légumes entourés de buis, se reflétait dans une grosse boule de verre étamé, posée sur un pied, au beau milieu ; et la maison, badigeonnée à neuf, peinturlurée aux angles et aux encadrements en fausses pierres de taille, avait un endimanchement gauche de rustre parvenu, qui enragea le peintre. Non, non, il ne restait là rien de lui, rien de Christine, rien de leur grand amour de jeunesse ! Il voulut voir encore, il monta derrière l'habitation, chercha le petit bois de chênes, ce trou de verdure où ils avaient laissé le vivant frisson de leur première étreinte ; mais le petit bois était mort, mort avec le reste, abattu, vendu, brûlé. Alors, il eut un geste de malédiction...

Émile Zola, L'Oeuvre, 1886, Éd. Garnier-Flammarion, page 377.

Vous ferez de ce passage de roman un commentaire composé qui mette en valeur la richesse et la variété de l'expression au service d'une manière de voir particulière. Ces indications ne sont pas contraignantes. Seulement vous éviterez le commentaire ligne à ligne ainsi qu'une division artificielle entre le fond et la forme.

 

Le héros de ce roman, le peintre Claude Lantier (le fils de la Gervaise de L'Assommoir) a sans doute été imaginé d'après Cézanne, ami de Zola. Ce dernier se met d'ailleurs en scène sous la figure du romancier Sandoz. Au milieu de déboires sans nombre, Claude Lantier se débat dans les difficultés du passage de la conception d'une œuvre d'art à sa réalisation. Ici, c'est le récit d'une de ses déconvenues.

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« souci conventionnel de la régularité, de la netteté (cf.

« le jardin très propre ...

ses allées ...

ses carrés de fleurs etde légumes entourés de buis »).

La place de la boule de verre est significative d'un manque d'originalité total (« aubeau milieu »).

Le mauvais goût est perceptible dans des termes comme « badigeonnée ...

peinturlurée ...

unendimanchement gauche de rustre parvenu »).

Tout est laid, faux (« aux encadrements en fausses pierres de taille»), et mesquin (cf.

l'existence de la grille, les « petites allées », les simples carrés de plantations qui remplacent lesarbres ou les arbustes du passé).

Le comble du mauvais goût réside peut-être dans cette « grosse boule de verreétamé », superflue et prétentieuse. III.

L'homme touché au plus profond. 1.

La colère.Elle est liée à la douleur ressentie (« il se révoltait de douleur »).

Plus apparente, elle en est la manifestation.

Lesexclamations indignées ponctuent le texte (« un pont, grand Dieu ! à la place de ce vieux bac ...

! Un désastre ...

!les misérables ! », etc.), et on remarque des mots très forts (« étrangler ...

les misérables ...

pâlissait de la mêmecolère, exaspéré ...

qui enragea ...

»).

Sandoz est animé de la même passion accusatrice que Lantier. 2.

La conscience d'un désastre personnel.C'est l'homme qui est atteint, en même temps que le peintre (cf.

l'indignation doublement justifiée devant la maison; c'était la sienne, et on en a fait quelque chose de laid : « qui enragea le peintre »).

On voit la profondeur de ladéconvenue dans l'expression « muet, les dents serrées », ou dans l'insistance des répétitions (« non, non ...

riende lui, rien de Christine, rien de leur grand amour de jeunesse ...

mort, mort avec le reste »).

Le peintre s'acharnedans ce constat d'une réalité qui le blesse, comme s'il voulait se persuader lui-même de la mort de son passé (« ilvoulut voir encore, il monta ...

chercha »).

Les derniers mots sont ceux d'un homme désespéré qui se répète sonmalheur (« mort, mort avec le reste, abattu, vendu, brûlé »).

Et la malédiction finale est à la fois l'expression de sacolère et de sa douleur, l'une et l'autre très profondes. CONCLUSION La mort de la nature est liée ici à la mort de l'art, puisque celui-ci n'a plus sa place dans ce paysage ravagé parl'action de l'homme et sa bêtise.

En outre, la disparition de toute une période de la vie de Lantier fait que celui-ciperd une partie de ce qui le rattache à l'existence.

Ces différentes morts peuvent paraître le présage de la siennepropre, qui se révélera pour lui la seule issue possible, après tous ses échecs.. »

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