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Évadné - René CHAR, Seuls demeurent (commentaire)

Publié le 20/02/2011

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L'été et notre vie étions d'un seul tenant La campagne mangeait la couleur de ta jupe odorante Avidité et contrainte s'étaient réconciliées Le château de Maubec s'enfonçait dans l'argile Bientôt s'effondrerait le roulis de sa lyre. La violence des plantes nous faisait vaciller Un corbeau rameur sombre déviant de l'escadre Sur le muet silex de midi écartelé Accompagnait notre entente aux mouvements tendres La faucille partout devait se reposer Notre rareté commençait un règne (Le vent insomnieux qui nous ride la paupière En tournant chaque nuit la page consentie Veut que chaque part de toi que je retienne Soit étendue à un pays d'âge affamé et de larmier géant) C'était au début d'adorables années La terre nous aimait un peu je me souviens.

René CHAR, Seuls demeurent, 1945

(1) Personnage féminin de la mythologie grecque qui évoque la femme idéale. (2) Site de Provence. (3) Ce mot qui désigne un élément architectural et la zone temporale de la tête du cheval est ici employé aussi pour sa consonance avec le mot larme.

Vous ferez de ce texte un commentaire composé de façon à mettre en lumière sa richesse poétique. Vous pourrez, par exemple, montrer comment la puissance suggestive des mots et des images traduit à la fois l'éblouissement amoureux et la splendeur native du monde. Vous vous abstiendrez seulement de présenter un commentaire linéaire et de dissocier artificiellement le fond et la forme.

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« • Noter par ailleurs l'emploi, presque continu de l'imparfait; peu de présents, sauf vers la fin du texte.• Toute cette merveille s'est passée dans un autrefois assez vague,• sauf deux précisions de temps :1 — la saison : « été », celle de l'accomplissement,2 — l'heure : « midi », celle où la chaleur accablant le travailleur — transcrit par image de « la faucille » — cedernier « se repose (...) », opposition avec leur amour « rare » que rien n'arrête.• Cette notion de permanence, d'amour continu se voit à travers d'autres images :— « le vent insomnieux » : atteint d'insomnie, i.e.

sans sommeil sans repos,— « la paupière » «ridé[e] par cette veille d'amour perpétuellement prolongée puisque— « chaque nuit » est marquée de leur parfait accord « consenti[...] » : où les deux amoureux ressentent ensemble(étymologie) leur passion, — dont l'histoire se tisse et se lit « en tournant (...) la page », image identique à celle du Roman de la Rose doncallégorie élégiaque chantée à la femme aimée et à ce passé lointain dont se parcourt l'histoire.— La parenthèse constate ces faits et les actualise par un présent subitement répété au milieu de ce poème toutau passé : « ride — veut — retienne — soit étendu »— deux subjonctifs et le verbe « veut » qui précisent et insistent.• C'est encore une image qui traduit la qualité de leur amour : il est tendre, mais aussi aérien, comme les «mouvements» de l'oiseau qui « accompagnait [leur] entente.

»• C'est le vol au déplacement mol des ailes, comparé à celui d'un « rameur » notion aussi de fluidité presqueimpondérable, qui traduit les « mouvements » d'amour, avec une pudeur éthérée.

(Cf.

Élévation, Ch.

Baudelaire.)• Ce laconisme fragmentaire ne correspond-il pas au « ...

bon nageur qui se pâme dans l'onde,[...] sillonn[ant] gaîment l'immensité profonde Avec une indicible et mâle volupté.

» ? (Élévation)• Amour si parfait qu'il provoque provisoirement un effacement progressif de tout ce qui l'entoure parallèlement àson propre essor :« Le château s'enfonçait...

»« Bientôt s'effondrerait...

»• Tout semble (cf.

conditionnel) disparaître, sombrer dans l'ivresse éblouie où ils « vacill[ent] », entêtés, emportés,ne tenant plus debout dans : II.

La splendeur native du monde. • Car c'est l'âge d'or qu'ils retrouvaient,• une sorte de bonheur originel, celui de l'humanité d'autrefois.• Où Rhéa-gê, la déesse Terre-mère était en accord parfait avec l'homme.• Toutes les images traduisent cette osmose, cet échange mutuel.

R.

Char l'évoque dans toute son oeuvre, tel letexte Aux portes d'Aerea où il chante « l'heureux temps », celui de l'homme que n'entravaient pas la « marcheforcée », « l'abeille de fer » de la modernité. • Ainsi Evadné peut-elle être aussi le symbole de cette humanité native qui prenait ses racines dans « la terre [qui]nous aimait un peu ».• L'alexandrin qui ouvre le poème est significatif :« L'été et notre vie étions d'un seul tenant », image forte, physique en quelque sorte ; on parle d'une planche, d'unmeuble d'un seul tenant ; ce que scelle l'accord à la Pe pers.

du plur.• Rien ne séparait l'été, simple manifestation temporelle, de la « vie » : vie = tout d'abord simplement existence,mais aussi « notre vie », vie du couple, marque d'amour.• Tout éclate de vie en effet.

L'« été », saison la plus drue, la plus ardente (position de choix en tête de vers, têtedu poème ; assonance chaude : é -)...• ...

tout de suite complété par image explicite : l'ardeur du soleil était telle qu'elle « mangeait la couleur » desvêtements de la femme.

Expression familière courante : le soleil fait passer les couleurs.• Mais l'image transpose le fait sur « la campagne » au milieu de laquelle se trouve Evadné et peut donc prendre lesens de « se confondre avec », ce qui corroborerait le terme : « un seul tenant »...• ...

tandis que l'adjectif « odorante » qui traduit la splendeur des senteurs des garrigues méditerranéennes estaccordé à la « jupe » de la jeune femme.• Ainsi se marquent l'unité première, l'authenticité originelle où rien n'est séparé et où l'amour prend ses sources.• Intensité de vie du monde et amour sont en effet confondus, en une même fusion.• Car est-ce l'amour qui est traduit dans le vers de 14 pieds :« Avidité et contrainte s'étaient réconciliées » ?• Oui, si l'on y voit la gêne première entre deux amants (« contrainte ») puis l'intensité du désir (« avidité) sefondant l'une en l'autre (« réconciliées ») dans l'accomplissement de l'amour.• Mais elles peuvent aussi s'appliquer au monde, à sa splendeur qui se déchaîne à travers les plantes sauvages,brusquement sans retenue.

Cf.

ce parc des Névons à L'Isle-sur-Sorgue où René Char avait passé son enfance, parcà l'abandon où la flore se laissait aller en tous sens (voir in La Parole en Archipel).• Ce déchaînement de vie de la nature, lorsque l'homme n'y sévit pas, éclate de vers en vers et donne au poèmeune couleur chaude, une intensité lumineuse et mystérieuse à la fois.• Mystérieux est ce « château de Maubec », seule précision de lieu (il est en Provence), car il « s'enfonçait dansl'argile.

» S'y cachait-il derrière un pli de terrain ? Était-il ruine en train de s'effondrer peu à peu ? Se confondait-il. »

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