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Expliquez et discutez cette déclaration de Paul Claudel : « L'art, imitation de la vie ? Mais aucun art n'a jamais fait cela! La tragédie classique en est aussi éloignée que possible. Le drame de Hugo également. »

Publié le 17/02/2011

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L'auteur du Soulier de satin a déconcerté par sa conception dramatique qui semble faire fi de toutes les traditions. L'action s'étend à tout l'univers : « La scène de ce drame est le monde. « La conquête de la terre par le catholicisme étant l'un des thèmes de la pièce, celle-ci nous conduit d'Espagne au Maroc, en Amérique, en Italie, en Bohême, ou parfois même dans les espaces célestes, sans que la géographie fasse obstacle aux fantaisies de l'imagination. Le poète ne prend pas moins de libertés avec le temps et avec l'histoire. Dans le cadre de « journées « de convention, que séparent parfois dix années, le temps s'écoule selon les besoins de l'action : « Vous savez qu'au théâtre nous manipulons le temps comme un accordéon; à notre plaisir, les heures durent et les jours sont escamotés «, dit l'Annoncier au début de la deuxième partie.

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« l'atteindre, appelle réflexion.Indépendamment des arts comme la musique, dont le but ne saurait être l'imitation de la vie, et des tendancesesthétiques qui rejettent délibérément tout souci de vérité au nom de la seule exigence du beau, même l'art le plusréaliste se distingue de la vie tant parce qu'il implique un choix dans la réalité (« L'art est la vérité choisie », ditVigny) que parce que l'artiste interprète la réalité en fonction des conventions esthétiques ou de son tempérament. 2.

La tragédie classique en est aussi éloignée que possible.A.

Les théories même reconnaissent l'écart qui sépare la vie et l'art.

Les conventions auxquelles doit se plier l'auteurtragique — et que V.

Hugo dénoncera au nom de la vraisemblance — resserrent l'action dans le cadre étroit desunités de lieu et de temps.

Il n'est pas douteux que l'action réelle ne pourrait se dérouler dans les mêmes conditions.Le langage poétique, tant par le recours au récit ou au monologue que par l'usage de l'alexandrin, ne peut seprévaloir d'aucun rapport avec la vie.

La déclaration de l'acteur, le costume à la française sous lequel les hérosgrecs ou romains échangent leurs répliques, ne témoignent pas davantage d'un grand souci d'imiter la vie.En ce qui concerne l'action et les sentiments, malgré certaines affirmations comme celles de Boileau (Art poétique,III, 1 sq), le souci de vérité se trouve tenu dans des limites plus étroites par les exigences de la vraisemblance etdes bienséances.

L'abbé d'Aubignac (Pratique du théâtre, 1657) écrit : « C'est une maxime générale que le vrai n'estpas le sujet du théâtre, parce qu'il y a bien des choses véritables qui n'y doivent pas être vues, et beaucoup qui n'ypeuvent être représentées : c'est pourquoi la poésie et les autres arts qui ne sont fondés qu'en imitation, nesuivent pas la vérité, mais l'opinion et le sentiment ordinaire des hommes.

» Boileau exprime la même idée : Le vraipeut quelquefois n'être pas vraisemblable et conseille de « reculer des yeux » ce qu'on ne doit point voir.A en croire Molière ou le Gélaste de la préface de Psyché, si la comédie se soucie de la réalité, la tragédie prendavec elle de grandes libertés.

Gélaste affirme en effet : « La tragédie ne nous représente que des aventuresextraordinaires et qui vraisemblablement ne nous arriveront jamais » et Dorante déclare dans La Critique de l'Écoledes femmes : « Lorsque vous peignez des héros, vous faites ce que vous voulez.

Ce sont des portraits à plaisir oùl'on ne cherche point la ressemblance.

» On dira qu'il est vrai qu'il convient de distinguer le cas de la tragédiecornélienne et celui de la tragédie racinienne.B.

La tragédie cornélienne.

— Bien loin de nous donner une image de la vie ordinaire, Corneille, qui veut susciternotre admiration, pose en fait que « les grands sujets qui remuent fortement les passions...

doivent toujours allerau-delà du vraisemblable ».

Qu'il emprunte ses sujets à la légende ou à l'histoire ne modifie pas complètement lasignification de ce choix.

Les circonstances qui opposent les Horaces et les Curiaces, la situation où se trouve placéRodrigue, l'horrible projet de Médée témoignent d'un même besoin d'extraordinaire.

Le déroulement de l'intrigue,multipliant les péripéties, s'éloigne d'autant de la vie réelle.

Quant aux sentiments de ses personnages, ce sont ceuxd'êtres exceptionnels par la force de leur volonté.

Le héros serait volontiers un « matamore ».

L'héroïsme deRodrigue ou d'Horace, la sainteté de Polyeucte cèdent parfois la place à des sentiments presque monstrueux chezMédée ou Cléopâtre.

Si La Bruyère a pu prétendre que Corneille peint les hommes comme ils devraient être, il seraitpeut-être plus juste de dire qu'il aime à créer des caractères d'une fermeté exceptionnelle, voire inhumaine.C.

La tragédie racinienne est-elle exempte de situations extraordinaires? Comment retrouver l'image de notreexistence dans une situation où les dieux exigent le sacrifice d'une jeune princesse pour permettre à la flotted'entreprendre l'expédition contre Troie? Comment admettre l'intervention de Neptune suscitant, à la prière deThésée, un monstre marin pour faire périr Hippolyte? Que penser d'ailleurs de ces personnages si éloignés de nous,héros légendaires qui peuvent, comme Phèdre, invoquer une ascendance divine, et qui sans doute éveilleraientmoins de résonance poétique s'ils appartenaient à l'humanité que nous côtoyons dans la vie quotidienne? 3.

Le drame de Hugo également.A.

En s'affranchissant des unités classiques, Hugo prétendait atteindre à plus de vraisemblance.

En fait si lechangement de lieu permet de varier le décor d'Hernani, ce décor reste purement théâtral et l'action, transportantles personnages d'Espagne à Aix-la-Chapelle, n'exige pas moins que celle de Cinna que les conspirateurs seretrouvent avec leur ennemi.

L'abandon de l'unité de temps permet une intrigue plus riche en rebondissements; maisl'action y gagne-t-elle plus de vérité? Le sujet, les situations, la conduite de l'intrigue ne permettent pas del'affirmer.

Le sujet d'Hernani, s'il rappelle Cinna par la conspiration contre don Carlos, repose sur la rivalité assezimprévue d'un oncle, d'un bandit et d'un roi pour dona Sol, il se déroule en multipliant les situations inattendues (donCarlos dans un placard) et les coups de théâtre (tout le 3e acte), se dénoue par un procédé («la contrainte par cor») qui aurait sa place dans le mélodrame, mais non dans la vie.

Le sujet de Ruy Blas : un laquais amoureux d'unereine, devenu premier ministre, tenu à la merci d'un grand seigneur, fait appel plus qu'Hernani au mélange des genres(cf.

au 5e acte, l'entrée de don César par la cheminée); mais on ne voit pas que l'imitation de la vie y gagne en quoique ce soit.

Quant au langage poétique, s'il contribue à la beauté de ces drames, il n'est pas moins conventionnelque celui de la tragédie, et le monologue de don Carlos devant le tombeau de Charlemagne n'a rien à envier auxtirades classiques.B.

Dans les caractères comme dans l'action, V.

Hugo recherche ce qui peut être extraordinaire, plus que ce qui estvraisemblable.

Sa conception de la vérité, faite d'un mélange de sublime et de grotesque, prétend se fonder sur lepostulat chrétien de la dualité de la nature humaine, mais conduirait à faire de Quasimodo le type même du réel.

Lasituation d'Hernani, « bandit » et grand seigneur, ses sentiments partagés entre le besoin de vengeance et unhonneur castillan assez conventionnel, sa conduite déconcertante qui le fait renoncer à la vengeance chaque foisqu'il semble l'atteindre, et se donner la mort au comble du bonheur, son langage d'un lyrisme exalté mais dépourvude naturel, tout nous interdit de reconnaître en lui l'image de la vie.

Le vieux Gomez est aussi une création biensingulière : « Un Bartholo phraseur, dans lequel apparaît à la fin un bourreau », dit Zola.Les personnages de Ruy Blas ne sont pas moins conventionnels, qu'il s'agisse de don Salluste, grand seigneur. »

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