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FLAUBERT, L'Éducation sentimentale (commentaire)

Publié le 09/03/2011

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flaubert

Tous les jours, Regimbart s'asseyait au coin du feu, dans son fauteuil, s'emparait du « National « (1), ne le quittait plus, et exprimait sa pensée par des exclamations ou de simples haussements d'épaules. De temps à autre, il s'essuyait le front avec son mouchoir de poche roulé en boudin, et qu'il portait sur sa poitrine, entre deux boutons de sa redingote verte. Il avait un pantalon à plis, des souliers-bottes, une cravate longue; et son chapeau à bords retroussés le faisait reconnaître, de loin, dans les foules.

À huit heures du matin, il descendait des hauteurs de Montmartre, pour prendre le vin blanc dans la rue Notre-Dame-des-Victoires. Son déjeuner, que suivaient plusieurs parties de billard, le conduisait jusqu'à trois heures. Il se dirigeait alors vers le passage des Panoramas, pour prendre l'absinthe. Après la séance chez Arnoux (2), il entrait à l'Estaminet bordelais, pour prendre le vermouth; puis, au lieu de rejoindre sa femme, souvent U préférait dîner seul, dans un petit café de la place Gaillon, où il voulait qu'on lui servît « des plats de ménage, des choses naturelles « ! Enfin, il se transportait dans un autre billard, et y restait jusqu'à minuit, jusqu'à une heure du matin, jusqu'au moment où, le gaz éteint et les volets fermés, le maître de l'établissement, exténué, le suppliait de sortir. Et ce n'était pas l'amour des boissons qui attirait dans ces endroits le citoyen Regimbart, mais l'habitude ancienne d'y causer politique; avec l'âge, sa verve était tombée, il n'avait plus qu'une morosité silencieuse. On aurait dit, à voir le sérieux de son visage, qu'il roulait le monde dans sa tête. Rien n'en sortait; et personne, même de ses amis, ne lui connaissait d'occupations, bien qu'il se donnât pour tenir un cabinet d'affaires. FLAUBERT, L'Éducation sentimentale (commentaire)

(2) Marchand de tableaux. Frédéric Moreau, le héros du livre, amoureux de sa. femme, fréquente régulièrement sa galerie d'art : c'est là qu'il rencontre Regimbart. (1) Journal républicain d'Armand Carrel, fondé en 1830, et qui joua un grand rôle dans les événements qui préparèrent la révolution de 1848. Vous ferez de cette page un commentaire composé. Vous pourrez, par exemple, étudier la composition, le réalisme, l'humour de ce portrait.

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« • En étudiant chaque exemple se rapportant aux éléments cités, on remarquera une moquerie latente. • La mécanisation du personnage est tellement systématique que, parfois, Flaubert montre le bout de l'oreille;malgré son affirmation célèbre : qu'un écrivain ne doit pas être présent dans son œuvre et qu'« il faut écrirefroidement » - il va, car il a le verbe cru, même grossier, jusqu'à écrire : « Il ne faut pas faire de son œuvre le potde chambre de ses humeurs » ! • Cependant ici un certain humour - « à froid » d'ailleurs -, se manifeste dans la systématisation du style qui accusele ridicule de l'excès de précision recherchée par Regimbart. • Cette précision abusive apparaît en effet partout : dans les mouvements, les réactions, l'exactitude, le choix deslieux, la répétition des manières et des comportements (passages à citer et étudier de près). • Ce qui frappe c'est l'aspect identique et sempiternel des goûts; l'absence de toute velléité de changement, de lamoindre fantaisie. • On est devant une sorte de force inlassable, indifférente, obstinée. • Le personnage, qui est montré à travers une multiplicité d'actions quotidiennes, n'est en réalité qu'inaction. • Tout ce qu'il fait est vide. • Il est visible qu'il ne travaille pas de la journée; • Le dernier § précise de plus ce que nous devinions : l'absence de toute réflexion réelle, de toute pensée solide,malgré «le sérieux de son visage ». • Il fonctionne alors comme un pantin, est présenté comme une sorte de grotesque. II.

La peinture de la médiocrité vaniteuse. • Donc à travers cette force presque fatale de durée que représentent chaque journée de Regimbart et l'additionindéfinie de journées identiques, c'est un fantoche qui fait défiler sous nos yeux ses actes creux. • Mais on sent, derrière cette façade, une sorte de suffisance. • Une telle absence d'imprévu, un tel retour des faits, des rencontres, des lieux - recherché consciemment -devraient provoquer comme dans certains passages de Mme Bovary une impression d'accablante monotonie.• Or ce rythme inéluctable (étude à ce propos de la structure des paragraphes, puis de chacune de leurs phrases),cette description d'un horizon immédiat et borné ne procure pas l'ennui. • C'est que Regimbart ne nourrit pas de rêves d'évasion comme Emma.

S'il est un « raté » social, il n'en croit rien, oun'en veut rien faire croire. • Il se juge un grand homme et son entourage, devant lequel il joue ce rôle depuis des années, le croit aussi et leconforte en cette vie. • Par les procédés du burlesque, Flaubert présente la caricature d'un des traits de la société bourgeoise de sontemps qu'il hait le plus (voir Bouvard et Pécuchet) : la médiocrité, assorti d'un autre non moins détestable : lasuffisance. • Surtout il s'agit d'une médiocrité vaniteuse et satisfaite (cf.

M.

Homais dans Mme Bovary), c'est haïssable. • S'il ne fait rien, c'est que Regimbart attend la réalisation de ses réclamations politiques : démocratie; patriotismerépublicain.

Bienheureuse attente ! • À force d'«exclamations » ou de «simples haussements d'épaules » il façonne pour ceux qui le regardent vivre unpersonnage de penseur politique : « s'emparait du « National », ne le quittait plus, et exprimait sa pensée par...

» :justement par rien ! ou presque... • Même attitude, théâtrale en réalité, même rôle joué : - chez Arnoux (« séance »), - « seul » au dîner -, dans lechoix même des aliments « naturels » qu'il exige et qui correspondent à son éthique républicaine -, devant lespatrons de café, auxquels il en impose par cette régularité obstinée qui crée l'apparence du sérieux, d'un idéalpoursuivi. • Comme l'acteur raté Dolobelle (Fromont Jeune et Risler Aîné de Daudet), il a obtenu une certaine qualité desurprise, puis d'impact sur ses « spectateurs », qui va jusqu'à l'admiration et même la vénération dans sonentourage immédiat :. »

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