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FLEURS DU FEU. Trophées de José-Maria de Heredia

Publié le 02/07/2011

Extrait du document

On lit le sonnet suivant dans les Trophées de José-Maria de Heredia (1893) :

Bien des siècles depuis les siècles du chaos, La flamme par torrents jaillit de ce cratère, Et le panache igné du volcan solitaire Flamba plus haut encor que les Chimborazos. Nul bruit n'éveille plus la cime sans échos. Où la cendre pleuvait l'oiseau se désaltère; Le sol est immobile, et le sang de la Terre, La lave, en se figeant, lui laissa le repos. Pourtant, suprême effort de l'antique incendie, A l'orle de la gueule à jamais refroidie, Eclatant à travers les rocs pulvérisés, Gomme un coup de tonnerre au milieu du silence, Dans le poudroiement d'or du pollen qu'elle lance, S'épanouit la fleur des cactus embrasés.

 

On trouve ce même sonnet dans le recueil intitulé Le Parnasse contemporain (1866). Il s'y présente sous une forme un peu différente :

Bien des siècles depuis les siècles du chaos, La flamme par torrents coula de ce cratère. Et ce pic ébranlé d'un éternel tonnerre A flamboyé plus haut que les Chimborazos. Tout s'est éteint. La nuit n'a plus rien qui l'éclairé. Aucun grondement sourd n'éveille les échos. Le sol est immobile, et le sang de la Terre, La lave, en se figeant, lui laisse le repos. Pourtant, dernier effort de l'antique incendie, On voit, dans cette lave à peine refroidie, Eclatant au milieu des rocs pulvérisés, Au milieu du feuillage, aigu comme une lance, Sur la tige de fer qui d'un seul jet s'élance, S'épanouir la fleur des cactus embrasés.

Apprécier la version définitive, celle de 1893. En signaler les beautés. Chercher les raisons qui ont amené le poète à opérer les divers changements qu'on y constate si on la compare avec le sonnet de 1866.

Deux parties dans la matière, et, sans contredit, d'inégale importance :  1° Apprécier la version définitive, celle de 1893 ; en signaler les beautés ;  2° Chercher les raisons des changements introduits dans la version de1866.  La deuxième partie est évidemment subordonnée à la première. Quand vous aurez montré, par le texte définitif, que José-Maria de Heredia « a ciselé, avec un labeur érudit et une conscience minutieuse, ce sonnet d'un métal éclatant, où l'exactitude du détail, où la précision de l'expression est relevée par le pittoresque de la couleur et la sonorité du rythme «, vous vous servirez de la comparaison entre les deux textes pour faire voir un exemple de ce labeur, de cette conscience, de ce souci de l'exactitude, de cet amour passionné de la précision, de ce sens du pittoresque et de la sonorité. La version de 1866 avait ses beautés originales; elle n'a pas satisfait le poète quand il a relu, à quelques années de distance, ces vers pourtant si remarqués à leur apparition; pourquoi ? C'est à vous de répondre. Vous aurez ainsi obéi à la grande loi de l'unité dans l'explication française; vous considérerez la seconde partie comme une démonstration des jugements exprimés dans la première.

« Regardez alors de très près les mots et les expressions, les images, Tordre des termes ; si serrée que soit votreanalyse, elle laissera échapper une foule de détails auxquels l'artiste a cependant donné ses soins habiles ; maisvous n'avez pas la prétention de tout dire, et vous saurez faire remarquer qu'un poème de ce genre résiste àl'analyse la plus fouillée, la plus exigeante.

Or, il faut vous hâter...

Il en serait de même pour ce qui a trait à l'étudede la versification, du nombre, des accents rythmiques, de la mélodie ou harmonie interne, de la rime, desenjambements, etc.

Insistez principalement sur les rapports de la versification avec le style et avec la pensée.Votre conclusion mettra plus tard en lumière la probité artistique de ce poète : cette démonstration, nous l'avonsdit, doit donner de l'unité à votre travail; établissez donc avec soin les rapports des rythmes et des sons avec lesujet, avec l'impression générale, et vous verrez là encore un effort constant vers le réalisme artistique, vers lavérité.Vous devrez enfin tenir compte que vous êtes en présence d'un poème à forme fixe ; mais il vaudrait mieux ne parlerde la structure du sonnet que dans la deuxième partie, et à propos des modifications apportées à la disposition desrimes du deuxième quatrain, par la version définitive. Explication proposée : I Le paysage est grandiose, étrange : c'est, dans l'Amérique tropicale, un âpre sommet des Cordillères, isolé,silencieux, morne.

L'antique volcan, qui a déchiré et convulsé le sol, est éteint depuis de longs siècles: c'est la floredésertique, celle des régions sèches dans les climats torrides, entre le feu souterrain et le feu du ciel.

La mort atout endormi.

Cependant, la nature n'est pas définitivement vaincue.

La vie persiste dans ces plantes épineuses,ces arbrisseaux sans feuillage qui s'accrochent désespérément aux roches stériles, et, juste au bord du gouffre, lafleur des cactus s'épanouit triomphalement dans une auréole glorieuse.

L'idée essentielle est donc celle du contrasteentre le vaste décor, désolé, lugubre, et la fleur qui étale son orgueilleuse beauté.

A côté de la mort, la vie ; aumilieu du silence, la bruyante éruption du pollen ; parmi les tristes couleurs du cadre, le flamboiement des teintessuperbes qui sont une fête pour les yeux.

II Idée essentielle, avons-nous dit, et non : « sentiment ».

On ne peut découvrir dans ces vers d'autre émotion quecelle du beau.

Tout d'abord, pourquoi le poète a-t-il choisi ce paysage? Ce n'est certes pas pour y faire entrer lessouvenirs de son enfance, passée dans la plus grande des Antilles ; ce n'est pas davantage pour exciter en nousune mélancolie profonde en face de cet univers où tout croule éternellement, où tout s'endort du dernier sommeil, nipour éveiller en nous une espérance devant la protestation intrépide de la fleur contre l'impitoyable destruction.Combien nos sentiments personnels sont chétifs, insignifiants auprès des splendeurs de la vie universelle et desaspects de la nature, non moins magnifique quand elle édifie que lorsqu'elle ruine ! Ce n'est pas seulement par fiertéque l'homme refuse de se mêler lui- même à ce paysage; c'est parce que l'impersonnalité est la condition de lavérité et de la force.

Aucune inquiétude devant le désert, aucune sympathie devant la fleur.

Soyons exclusivementartistes ; que notre poésie soit uniquement descriptive et plastique ; ne nous proposons ni d'attendrir ni d'exalterl'âme du lecteur, élevons-la dans ces régions sereines où elle jouira, sans que rien affaiblisse sa joie noble et grave,de la beauté que révèlent les choses.

Art impersonnel, on le voit, mais non impassible.

Que la couleur, quel'impression soient justes, le poète a accompli sa tâche ; mais, pour en venir à bout, il faut une longue patience,mise au service d'un amour du beau, ardent et passionné. III La forme même du sonnet impose au poète cette sobriété qui ne laisse aucune place à l'expression des sentimentspersonnels.

Pour qu'il vaille un long poème, il est indispensable qu'un sonnet soit sans défaut.

Pas d'émotion quitrouble la vue et fasse trembler la main.Voyons d'abord comment le poème est composé.

L'artiste veut nous conduire vers le trait final, qui sera le plus enrelief, le plus accusé, le plus fortement éclairé après le flamboiement de ce qui précède.

C'est une loi du sonnet quele dernier vers doit laisser dans notre esprit un long souvenir ; c'est aussi pour l'auteur des Trophées, une loi de sonart, ramassé, où tout est organisé vigoureusement, où rien n'est laissé à l'inspiration.Il commence par décrire le paysage dans les deux quatrains : ce qu'il fut autrefois, — ce qu'il est aujourd'hui.

Tempsd'arrêt : l'impression de silence et de mort est complète Dès le premier tercet, notre attention est excitée :Pourtant...

La particularité caractéristique est annoncée, les deux tercets l'accusent de plus en plus : le premier lasitue, le second la montre, jusqu'à ce que le vers 14 la mette au premier plan, sous nos yeux qui restent éblouis.Ce sont les procédés constants de J.-M.

de Heredia.

Dans ces cadres nets, bien tracés, l'artiste ne saurait s'égarer; ils sont dessinés avec une sûreté, une décision qui nous frappent ; grâce à cette distribution, les choses restentfidèlement gravées dans notre mémoire. IV. »

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