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François Mainard: Un Nouveau Riche

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

Pierre qui, durant sa jeunesse, Fut un renommé savetier, Est superbe de sa richesse Et honteux de son vieux métier. Ce fortuné marchand de bottes Possède un parc, près de chez moi, Dont les fontaines et les grottes Sont dignes des maisons du roi. Je suis confus lorsque je pense Qu'il y fait creuser un canal Dont la magnifique dépense Etonnerait le cardinal. Son luxe n'est pas imitable ; Il dépeuple l'air et les eaux, Pour faire que sa bonne table Soit le pays des bons morceaux. Il ronfle sur ses sachets d'ambre ; Tout son grand hôtel est paré, Et n'a bassin ni pot de chambre Qui ne soit de vermeil doré. Suis-je pas une grosse bête De travailler soir et matin A faire de ma pauvre tête Une boutique de latin ? Mon père a causé ma ruine, Pour avoir mis entre mes mains La rhétorique et la doctrine Des vieux Grecs et des vieux Romains. Muses, n'en déplaise aux grands hommes Que vous montrez à l'univers : Il vaut mieux, au siècle où nous sommes, Faire des bottes que des vers.

« La rhétorique et la doctrine Des vieux Grecs et des vieux Romains. Muses, n'en déplaise aux grands hommes Que vous montrez à l'univers : Il vaut mieux, au siècle où nous sommes, Faire des bottes que des vers. Pierre est un cordonnier devenu riche.

La première strophe oppose le passé (« fut »), temps durant lequel Pierre a amassé sa fortune, au présent (« est »), moment où il se trouve presque au sommet de l'échelle sociale.

La richesse le rend fier et orgueilleux (« superbe »), mais la cause de son enrichissement mériterait, selon lui, d'être tue.

Le métier de savetier est en effet peu glorieux pour une personne de son rang.

Il aimerait falsifier les faits et fairedisparaître son passé de « marchand de bottes ».

Ses biens rivalisent aujourd'hui avec ceux de l'homme le plus riche et le plus important : il a aménagé sa demeure, et en particulier son jardin, de la même manière que le roi (on ytrouve des « fontaines » et des « grottes », selon le goût du siècle). La seconde strophe introduit le regard du poète, voisin du savetier.

Ce marchand, dit-il, « Possède un parc, près de chez moi ».

C'est à travers ce regard à la fois moqueur et envieux que nous apprendrons à connaître le personnage de Pierre. Les travaux de terrassement et de canalisation réalisés par notre parvenu constituent une « magnifique dépense ». Ils supposent une somme d'argent colossale.

Les termes « confus » (vers 9) et « étonneraient » (vers 12) ont un sens particulièrement fort.

La somme d'argent dont il est question dépasse l'imagination de l'auteur, qui en vient àse perdre dans ses calculs.

Elle serait même capable de tourner La tête au cardinal de Richelieu, pourtant habituéaux dépenses somptuaires du roi.

Il s'agit ici d'exagérations qui visent à nous faire concevoir l'ampleur de la fortunede Pierre, mais surtout qui accentuent L'effet comique du texte. Pierre décime la faune des cieux, des bois, des lacs et des rivières pour reconstituer chez lui, sous son toit, unnouvel univers : celui de la gastronomie.

Les termes « dépeuple » (vers 14) et « pays » (vers 16) nous montrent que la nature pillée réapparaît sur la table de Pierre sous la forme de mets délicieux.

Le parvenu, après avoir rivaliséavec Le roi, engage un bras de fer avec Dieu puisqu'il détourne la création à son profit. La quatrième strophe prouvait que le luxe consiste avant tout en l'abondance.

La strophe suivante ajoute la qualitéà la quantité.

L'intérieur de l'hôtel particulier de Pierre est travaillé avec divers matériaux précieux.

On a choisi lescouleurs avec soin afin de souligner la haute dignité du maître des lieux « vermeil » (vers 20).

Mais les origines roturières de Pierre sont encore sensibles.

On ne peut apparemment pas rompre si aisément avec son passé.

Ainsi,les termes « ronfle » et « pot de chambre » contrastent fortement avec ceux qui décrivent le luxe environnant.

Les ronflements tendent à rapprocher L'homme d'un animal endormi et le pot en question amène avec lui l'idée d'excréments, qui s'oppose de manière radicale à celle d'objets précieux (l'or, présent dans l'adjectif « doré » au vers 20). Ces allusions au côté bestial de Pierre sont sans doute la marque de la jalousie qui tourmente le poète.

Celui-cidéplore ses choix de vie.

Il se rend compte qu'il s'est peut-être trompé de voie : « Suis-je pas une grosse bête ? » se demande-t-il, après avoir décrit Pierre comme un animal vautré dans un luxe non mérité.

La carrière des lettresest en effet moins lucrative que la carrière commerciale : l'expression « boutique de latin » (vers 24) renvoie à l'expression « marchand de bottes » (vers 5).

Mais Mainard sous-entend que la première est tout de même plus noble que la seconde.

Pour s'en assurer, il n'est que de comparer une paire de bottes à un texte de Virgile.

On peutdonc se demander si les regrets du poète sont bien sincères.

François n'échangerait pas son métier contre celui dePierre, par contre il échangerait volontiers sa maigre bourse contre sa fortune.

Son père lui a fait faire seshumanités et le jeune homme a été influencé par l'enseignement des penseurs de l'Antiquité (« la doctrine », vers 27).

Or, la sagesse antique ne vaut rien dans un siècle mercantile : ce ne sont plus les « Muses » qui règnent sur le monde aux côtés de Jupiter, c'est l'argent.. »

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