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Georges NAVEL, Travaux.

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

(L 'auteur travaille comme saisonnier dans le Midi de la France.)    Pourquoi vient-on à la récolte? Ça paie peu aux cerises. Fidélité à la saison. C'est un rendez-vous avec d'anciens bonheurs : une odeur de foin, la lumière de mai, des songeries. Je connaissais un vieux boulanger qui depuis vingt-cinq ans, toutes les années, lâchait le pétrin pour arriver là en fin avril. On revient changé, le cuir s'endurcit, on ne s'émeut plus, on communique moins avec la saison. Puis on est à nouveau touché de fraîcheur, atteint par la grâce. Une année, j'étais revenu pour une odeur de genêt ou pour avoir vu dans un chemin un paysan sous un grand parapluie bleu, un matin de petite pluie de mai.    On ne sait pas pourquoi on revient. Manger des cerises, se crever moins que sur un chantier? Ça aussi. On vient compter ses années, là, pour que l'année compte, pour avoir vécu un printemps de plus, s'être senti sur terre au retour de mai. C'est une fête que le saisonnier se donne. Il recueille le printemps un bon mois.    On ne le sent nulle part si bien que perché sur un cerisier, pieds nus sur les branches et dos nu au vent, une épaule à l'ombre et l'autre au soleil, du vrai de Provence. Les grimpées donnent au cueilleur une souplesse de gymnaste. A terre, en cueillant les branches basses, il sent l'herbe sous ses pieds nus. L'hiver, dans de gros souliers, on a promené un cadavre, un homme blanc qui marche sans plaisir. Aux cerises, on redevient nègre, gitano, les reins heureux en marchant. Pas seulement les reins, chaque fibre, les muscles se jouent soie par soie. Il y avait longtemps qu'on ne respirait plus ou qu'on respirait neutre comme en dormant. De nouveau, on respire comme avec un nez de chien. On ne respire pas, on boit l'air par petits coups et grandes gorgées avec les narines. Les moments sont nombreux où l'on se sent vivant, réveillé au monde.    Georges NAVEL, Travaux.    Vous ferez de ce texte un commentaire composé. Vous pourriez étudier, par exemple, les procédés par lesquels l'auteur traduit son désir de revenir participer aux travaux des champs et de communier avec le monde naturel.    organisation du devoir    Le libellé indique deux directions, le désir de revenir participer aux travaux des champs et la communion avec le monde naturel. On peut effectivement regrouper des expressions, des phrases, des passages selon ces deux idées. D'un côté, ce qui est relativement technique, les considérations un peu prosaïques comme «manger des cerises, se crever moins au travail«, de l'autre, toutes les comparaisons du dernier paragraphe. Cette répartition a l'inconvénient de séparer des éléments assez voisins. Le travail et l'amour de la nature se mêlent intimement. Donc, tout en conservant ces idées, il semble préférable de trouver une organisation plus nette.     

« temps, la prééminence de la communication avec la nature. Développement • Première partie : la richesse des sensations — La multiplicité des sensations.

Tous les sens sont en éveil : l'ouïe, le toucher, la vue, l'odorat, le goût sontsollicités.

On relève cependant une différence de traitement : les odeurs sont déterminées par l'indéfini «une», signepeut-être de leur délicatesse, tandis que l'auteur parle de «la lumière de mai».

Parfois, c'est une impression vague,difficile à cerner comme «n'est touché de fraîcheur», l'emploi de «par la fraîcheur» aurait accusé la précision. De façon tout aussi significative l'homme se trouve «une épaule à l'ombre, une autre au soleil».

Sensationcontrastée, d'autant que la scène se passe dans le Midi et que le soleil est celui «de Provence». — L'harmonie des sensations.

Si l'auteur décrit dans le dernier paragraphe l'opposition ombre/lumière, il ne faut pasen déduire que cette nature est violente.

En effet, l'odeur de foin, de genêt est délicate; la pluie est qualifiée parl'adjectif «petite» qui lui confère comme un caractère bienveillant. Cette harmonie extérieure se retrouve dans l'homme, dans ce qu'il éprouve : l'air devient un élément liquide puisquel'on passe de la respiration au fait de boire «par petits coups et grandes gorgées».

On comprend qu'une seulesensation suffise à créer un désir, un appel puisqu'elle les contient toutes.

Une odeur, un parapluie bleu et c'esttout le printemps qui appelle l'auteur à «la fête» des sensations.

L'auteur emploie d'ailleurs ce mot «fête» pourdésigner l'euphorie qui le gagne tout entier à la fin.

On assiste d'abord à une fusion des éléments lorsque l'homme setrouve «dos nu au vent».

Puis, Georges Navel décompose les organes : «les reins heureux en marchant».

Puis, ilrectifie sa pensée : «Pas seulement les reins, chaque fibre, les muscles se jouent soie par soie.

» Il exprime que lamoindre parcelle se trouve enivrée de cette joie immense.

Le mot «soie» suggère l'idée d'une étoffe de prix.

Et defait tout vit, tout s'éveille ou se «réveille».

La communication avec le printemps est totale. • Deuxième partie : la réconciliation avec le temps — Le goût du présent.

Il est manifeste au travers de ce que nous venons de voir.

Les sensations s'inscrivent eneffet dans l'instant.

Mais il faut remarquer que celui-ci n'a rien de fugitif : lorsque l'auteur écrit par exemple : «On nele sent nulle part si bien que perché sur un cerisier», il semble énoncer une loi générale.

Cette impression provientpeut-être de l'emploi du présent à valeur éternelle, mais surtout de l'indéfini «on».

Alors qu'il s'agit d'une expériencepersonnelle, la troisième personne et particulièrement cet indéfini sont présents tout au long du texte. — L'usure.

Il ne faudrait cependant pas croire que l'ancrage dans le présent aille délibérément de soi.

L'auteurindique, en effet, discrètement, que la spontanéité, la réceptivité sont menacées : «On revient changé, le cuirs'endurcit, on communique moins avec la saison.

» Mais le texte n'insiste pas sur cette usure; immédiatement après,le «miracle» se produit.

«Puis on est à nouveau touché de fraîcheur, atteint par la grâce.

» On notera commentl'auteur passe facilement du concret à l'abstrait. — Le retour.

Ce thème est aussi important que celui du présent.

On remarque par exemple que le texte commencepar «vient-on», mais que le deuxième paragraphe s'ouvre par «on revient».

L'anecdote du vieux boulanger témoigned'une «fidélité» de «vingt-cinq ans». L'étrangeté de cette situation réside dans cet étroit mariage du passé et du présent.

Les «anciens bonheurs» sonttoujours aussi vifs.

On peut interpréter cette alliance de deux façons.

En disant que l'homme se calque sur le tempscyclique des saisons.

Mais ce serait négliger la phrase : «On vient compter ses années, là, pour que l'année compte,pour avoir vécu un printemps de plus, s'être senti sur terre au retour de mai.

» L'auteur veut dire que le temps, levieillissement, loin d'être une déperdition, sont ressentis comme un enrichissement.

L'expression «s'être senti surterre» au lieu d'être sur terre insiste sur la jouissance qu'apporte cette année de plus.

On remarquera aussi larépétition du verbe compter avec des sens différents : le premier signifie dénombrer, le second être important.

Ceprocédé insiste sur le lien entre les années et la satisfaction que l'on en tire.

Dans ces conditions, le temps est totalement accepté et reconnu.

Dans l'instant et dans son déroulement.

Voilà uneraison supplémentaire de revenir sur ces lieux. • Troisième partie : la prééminence de la communication avec la nature Elle s'exprime largement dans le dernier paragraphe sous forme d'opposition.

L'auteur établit en effet nettement unedualité entre l'homme de la nature et l'homme de la ville.

Tout contraste : «les pieds nus» et «les gros souliers quiemprisonnent», celui qui est «heureux en marchant» et celui qui marche sans plaisir, «une respiration neutre » etune « respiration de chien », « le cadavre » et la vie.

Il faut remarquer que cet homme de la civilisation, de la citéest le même que celui du premier paragraphe qui ne sait plus s'émouvoir ni communiquer avec la nature. Les termes, le grimpeur, le vent et la respiration confèrent au cueilleur une allure aérienne, libre qui contraste avecla démarche mesurée et étroite de l'autre homme.

Celui-ci devient un étranger comme le prouve la phrase «on. »

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