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HUMANISME & LITTERATURE

Publié le 14/12/2018

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humanisme

HUMANISME. Peu de termes prêtent autant à équivoque que celui d’humanisme. Il est bon de rappeler que la Renaissance ne l’a pas connu et que, fruit d’une longue maturation de la pensée historique, il s'est inévitablement chargé de significations complexes et parfois ambiguës. Oublions sa première apparition, en 1765, au sens d’« amour général de l’humanité », acception qui s’est perdue. C’est dans les années 1830-1840 que le terme commence, dans les études allemandes, à s'imposer pour désigner, comme l’indique W.K. Ferguson, « le mouvement intellectuel associé au réveil des langues et de la littérature anciennes » qui marque l’âge de la Renaissance. En 1859, par son livre intitulé le Réveil de l'Antiquité classique ou le premier siècle de Phumanisme, l’historien allemand Georg Voigt liait définitivement l’humanisme et la Renaissance. Mais le mot était trop chargé de valeurs connexes pour ne pas se prêter à des emplois très divers et sans attache historique déterminée : avec Renan, il désigne « le culte de tout ce qui est de l'homme, la vie entière sanctifiée et élevée à une valeur morale»; dans les années 1875, où il se répand en France, il s’applique aussi bien à la culture des belles-lettres, des « humanités », qu’à la théorie philosophique qui fait dépendre de l’humanité elle-même ses développements historiques. Depuis lors, on a pu entendre parler de l’humanisme médiéval, de l’humanisme de Dante, de celui de Diderot ou de Malraux, et, dans l’immédiat après-guerre, on se plaisait à définir l’existentialisme (Sartre) ou le marxisme comme des humanismes. De nos jours, au contraire, une certaine critique croit avoir décelé le péché irrémissible quand elle a, à l’encontre d'une interprétation, d'une pensée, d’une philosophie, prononcé le mot d’humanisme. A leur tour, il est des historiens de la Renaissance qui, lassés de ce terme à toutes mains, renoncent à l'employer s’il ne s’applique pas à ce qui caractérise ceux qui méritaient le nom technique d'humanistes.

 

Il est certain que, notamment en terre italienne, humaniste (umanista) désigne souvent le professeur de rhétorique. En un sens plus large, le terme d’humaniste convient à l’homme qui s'adonne avec ferveur à l’étude directe des textes antiques. Plus généralement encore, l’humaniste se distingue du théologien; c’est ainsi que Montaigne écrit : « Il se voit plus souvent cette faute que les Théologiens escrivent trop humainement, que cette autre que les Humanistes escrivent trop peu theologale-ment » (Essais, I, 56). Ces lignes indiquent l’origine historique du terme d’humaniste. L’enseignement médiéval était dispensé par les quatre facultés de théologie, de décret (droit canonique), de médecine et des arts. La faculté des arts dispensait un enseignement préparatoire à celui des facultés supérieures, suivant le curriculum bien connu du trivium (grammaire, rhétorique, logique) et du quadrivium (arithmétique, géométrie, astronomie, musique). Ces disciplines, qui disposaient l’élève à aborder les études sacrées (divinae lectiones, diviniores litte-rae) étaient désignées par le terme générique de lettres humaines (humaniores litterae, humaniora studia). Familièrement, l’artiste pouvait donc être appelé humaniste. Le mot d’humanisme en est issu, sans doute par une interprétation lâche et même erronée du mot huma-nior, interprétation dont la responsabilité paraît incomber notamment à Hegel. En effet, dans sa Philosophie de P histoire, celui-ci analysait le « retour de l’esprit à lui-même » comme caractéristique de l’âge de la Renaissance, où l’étude de l’Antiquité, les studia humaniora, avait contribué à cette nouvelle naissance : « Le mot humaniora, précisait-il, est très expressif, car, dans ces œuvres de l’Antiquité, honneur est fait à l'humain et au développement de l’humanité »; il ajoutait : « Les hommes se tournèrent vers les ouvrages des Anciens, comme studia humaniora, où l’homme est reconnu dans ce qui le concerne lui-même et dans ce qu'il effectue. Les hommes, parce qu’ils sont hommes, trouvaient intéressant d’étudier des hommes en tant qu’hommes ».

 

Les pionniers : l'humanisme stylistique

 

Quoi qu’il en soit, une telle interprétation, qui jette le discrédit sur le Moyen Age, temps d’exil de l’esprit loin de lui-même, a été préparée par ceux-là même qu'on appelait les humanistes. C’est un lieu commun chez eux, dès 1470, de caractériser l'époque dont ils voulaient se distinguer comme barbare, ignorante et obscure : mouvement particulièrement net en France, où, sur tous les tons, on oppose la lumière retrouvée aux ténèbres qui l’étouffaient, ce « siècle si plein de lumière » au « brouillard épais et presque cimmérien de l'époque gothique » (Rabelais). Chacun connaît le fameux passage de la lettre que Gargantua adresse à Pantagruel : « Le temps estoit encores tenebreux et sentent l'infelicité et calamité des Gothz, qui avoient mis à destruction toute bonne littérature ».

 

Le propos des premiers humanistes français est de restaurer l'éloquence ou art de bien dire et de bien écrire. Guillaume Fichet (né en 1433) écrit à son ami Robert Gaguin, en 1471 : «J’éprouve un très grand contentement en voyant les Muses et toutes les parties de l’éloquence que l’âge précédent avait ignorées fleurir enfin dans cette ville [Paris]. Quand, au temps de mes jeunes années, je quittai le pays de Baux et me rendis à Paris pour me mettre à l'étude d’Aristote, je m'étonnai de voir qu’à Paris un orateur ou un poète était chose plus rare qu’un phénix. Personne n’étudiait nuit et jour Cicéron, comme beaucoup font aujourd’hui; personne ne savait faire un vers correct, ni scander les vers d’autrui; l’école parisienne avait désappris la latinité, et tous ses docteurs ou presque en étaient descendus à un langage barbare. Mais à présent nous voyons enfin des jours meilleurs, car, pour parler le langage des poètes, les dieux et les déesses font renaître chez nous la science du bien-dire ».

 

De fait, le premier humanisme français est essentiellement stylistique; restaurer le goût de la belle latinité, apprendre à bien dire et à bien écrire, tel est son projet. Pour y parvenir, Fichet installe à la Sorbonne, dont il est bibliothécaire, le premier atelier typographique français. De ses presses sortent, en 1470, les Lettres de l'humaniste italien Gasparino de Barzizza, recueil de modèles épistolaires, puis une Orthographe du même auteur. Fichet, pour sa part, rédige une Rhétorique, dont la préface exprime fort bien le dessein : « Nos contemporains excellent dans la dialectique et dans la philosophie, mais ils méprisent les orateurs [...]. Contents de la connaissance toute nue des choses, ils ne prennent aucun soin de l’art de bien dire ». Un peu plus tard, en 1473, Gaguin poursuit la réalisation de ce programme de restauration de l’éloquence en publiant une Ars versificatoria, qui expose les règles de la versification.

 

Ce mouvement enregistre assez vite ses premiers succès. De nombreux élèves viennent, le soir, entendre Fichet commenter les auteurs antiques. Guillaume Tardif, auteur d’un Rhetoricae artis ac oratoriae facultatis compendium, ou abrégé de l’art rhétorique, est autorisé, en 1484, par la Sorbonne à « lire » la rhétorique dans les écoles. Et surtout, en 1489, l’Université de Paris permet officiellement l’explication des poètes à raison d’une heure par jour, dans l’après-midi. Ces succès encouragent des humanistes italiens à venir enseigner à Paris : en 1483 arrive de Vérone Paolo Emili, qui, auteur, avec Gaguin, de la première histoire des rois de France écrite — avec élégance — en latin, sera le fondateur de l’historiographie humaniste en France; en 1484, Paris accueille Girolamo Balbi, de Venise; en 1488, c’est le tour de Cornelio Vitelli et de Fausto Andrelini. Mais, dès 1476,

 

un érudit de Bologne, Filippo Beroaldo, commentait l’œuvre de Lucain à Paris et, dans sa leçon d'ouverture, exposait le programme humaniste : « Paris est l’illustre patrie de tous les arts [...]. J'ai donc pensé faire œuvre méritoire si j’enseignais ici les humanités et la poésie, si je montrais comment elles s’accordent et s'apparentent avec la philosophie [...]. Amis des lettres, je vous exhorte à suivre les traces des Anciens, à respecter religieusement les poètes ». Autour de ces érudits se forment des cercles humanistes où se retrouve tout un public cultivé, chaque jour plus nombreux. Un jeune Italien, Jérôme Aléandre. qui, en 1511, commente Ausone, raconte sa première leçon dans une lettre qui permet de mesurer l’intensité de cet enthousiasme : « Il y avait une telle foule que le portique et les deux cours du collège ne pouvaient la contenir. Et quel public distingué! Receveurs généraux, conseillers, avocats du roi, recteurs, théologiens, jurisconsultes, principaux de collèges, régents : le nombre en est estimé à plus de deux mille ».

 

Cette présence italienne ne doit pas faire oublier les liens puissants qui unissent l’humanisme français de la fin du xve siècle au monde flamand. Dans la Société d'amis des lettres qui se forme à Paris, on rencontre les Comtois Guillaume et Guy de Rochefort, Martin et Gilles de Delft, Charles Fernand, de Bruges, et son frère Jean, le poète Pierre Bury, lui aussi de Bruges. Même si certains d'entre eux, comme aussi Fichet et Gaguin, ont séjourné en Italie, ils continuent, à l’imitation de leurs précurseurs français — Jean de Montreuil, par exemple —, à considérer Pétrarque d’abord comme le parfait modèle de l’humaniste chrétien, l’auteur du De remediis, celui qui a su mettre son érudition classique au service de la vérité chrétienne. Eux-mêmes aiment à traiter des sujets religieux : Gaguin écrit, en 1488, un poème latin sur l'immaculée Conception, que Charles Fernand enrichit, l’année suivante, d’un commentaire. Ils ne cherchent pas à réformer le cycle des études universitaires et continuent à tenir la théologie pour la reine des sciences. Comme l’écrit justement A. Renaudet, ils n’éprouvent pas « ce besoin de donner libre jeu à toutes les activités et toutes les puissances humaines, de satisfaire harmonieusement tous les désirs de l’esprit et des sens, qui tourmentait, au xve siècle, tant d'âmes italiennes ».

 

C’est donc presque à leur insu que, en définissant de nouveaux modèles culturels, ils vont provoquer de profonds changements. En critiquant le style de leurs contemporains, ils contestent en même temps des manières de penser. On le remarque en lisant ce passage d’une lettre de Gaguin à Arnold de Bosch : « Tous nos contemporains ont conservé le style et la manière d’écrire qu'ont introduits, depuis deux cent cinquante ans, ceux qu’on appelle les auteurs de questions. Supprimez de leurs ouvrages les mots “puisque”, “après que”, “comme”, “par conséquent”, “en outre”, “mais au contraire”, “réponse”, “solution”, et autres semblables : leurs livres énormes deviendront extrêmement courts ».

 

De telles critiques encourageaient à élaborer de nouvelles méthodes de penser. Un travail, encore hésitant, de restauration philosophique s’accomplit. Si le grec renaît, avec Georges Hermonyme, de Sparte, qui vient l’enseigner à Paris en 1476, avec le Français François Tissard, qui, en 1507, publie le premier manuel des études grecques, les humanistes français, encore incapables, dans l’ensemble, de lire par eux-mêmes Platon ou Aristote, tâchent de remplacer les vieilles traductions par celles qui ont désormais cours en Italie. Vers 1470, les presses de la Sorbonne impriment, dans la traduction de Leonardo Bruni, les lettres (apocryphes) de Platon. Vers 1474 paraît la Rhétorique d’Aristote, dans la traduction de Georges de Trébizonde. Cet intérêt, qui va s’affirmant, reste toutefois vigilant. Consulté, en 1496, par Erasme, Robert Gaguin précise : « La lecture des philosophes est périlleuse, sauf pour un esprit sage et bien dirigé, d’autant plus qu'ils persuadent et charment par leur éloquence»; s'il reconnaît et recommande «ceux dont l’enseignement s’accorde avec la doctrine chrétienne », notamment Platon et « quelques stoïciens », il note pourtant qu'il est rare qu'on ne rencontre pas chez les philosophes « quelque faste et le goût de la vaine gloire et de la renommée ».

 

L'humanisme philologique et ses développements

 

Ces débuts indiquent néanmoins les directions dans lesquelles l'humanisme français est en train de s’engager. L'humanisme stylistique s’élargit en un humanisme philologique, qui ne se préoccupe plus seulement de l’art de bien dire mais cherche à promouvoir une connaissance complète de l’Antiquité, langues, littératures et civilisations. [Voir Aristote (influence), Gréco-latine (littérature)].

 

De ce poin: de vue, l’œuvre de Guillaume Budé (1468-1540) est exemplaire [voir Budé]. Fils de magistrat, il étudie d'abord le droit, puis décide soudain, à vingt-trois ans. de se consacrer à l'étude des belles-lettres. Ses Annotations aux vingt-quatre premiers livres des Pandectes (1508) fondent sa réputation de philologue : Budé non seulement est soucieux de restituer le texte original et de le débarrasser des gloses abusives des commentateurs, mais encore il veut, introduisant la méthode historique dans l'interprétation du droit, établir les faits de langue et de civilisation qui permettent de mieux comprendre en lui-même le droit romain. Il poursuit cet effort dans le De asse (1515), étude des monnaies antiques et, par là, de la civilisation matérielle de l'Anti-quité. En 1529, ses Commentaires sur la langue grecque, recueil de quelque sept mille articles ou remarques, le désignent comme le premier grand helléniste français.

 

Ces définitions, trop brèves, des principales œuvres de Budé ne doivent pas laisser penser qu’il est un pur érudit. En 1516, Érasme peut lui écrire qu’il ne craint pas de produire son témoignage « parmi ceux des auteurs éprouvés et consacrés par le temps »: dès 1497, Lefèvre d’Étaples lui dédie une traduction d’Aristote comme à un exceptionnel connaisseur du grec et du latin. Mais c’est surtout comme un spécialiste de l’étude grammaticale et linguistique des textes qu’il faut le considérer. U s’est attaché de tout son être à la philologie, dont il ne cesse pas de souligner la valeur formatrice. Comme il l’indique dans son dialogue De la philologie (1530), après l’avoir fait, en 1527, dans le De studio litterarum recte et commode instituendo, la philologie n'est pas seulement « l'amour des belles-lettres et le goût de l’étude ». mais aussi, selon la formule d'E. Garin. « redécouverte de la sagesse antique, considérée comme l’instrument idéal pour notre éducation »; en effet, les humaniores litterae — on pourrait rendre ces mots par la belle expression de Rabelais, les « lettres d'humanité » — donnent accès à toutes les autres disciplines en une science complète, en un savoir encyclopédique — au sens vrai de ce terme, qui signifie. Budé le souligne, « érudition circulaire » (orbicularis eruditio). Allant plus loin encore, il s’efforce, dans un ouvrage au titre significatif, le De transita hellenismi ad christianismum (1535), de montrer que l’hellénisme et le christianisme, loin de s’opposer, sont entre eux dans une sorte de continuité, que l’humanisme est au service de la foi chrétienne.

 

Cet élargissement du regard, qui conduit à réformer les « disciplines », puise dans la philologie l’essentiel de son élan et de son dynamisme, même si tous ceux qui

 

l’illustrent n’ont pas la sûreté philologique de Budé. L'ampleur de leurs curiosités ouvre à l'enquête et à la recherche de larges horizons, et révèle la vigueur novatrice de l’esprit humaniste.

 

Curieux et profond, Jacques Lefèvre d’Étaples (vers 1450-1536) domine cette période [voir Lefèvre D’Étaples]. Malgré son âge, il n'appartient pas proprement aux premiers temps de l'humanisme et attend 1492 pour publier son premier livre. Il est, en outre, peu préoccupé par l'art de bien dire et écrit un latin sans grande élégance. Maître ès arts de l’Université de Paris, il séjourne en Italie et, en 1486, se trouve à Pavie et à Padoue, où il étudie l’aristotélisme sous des maîtres italiens. Après une Introduction à la Métaphysique d'Aristote, écrite en 1490, et où, en de brefs commentaires, il s’efforce d’expliquer Aristote par Aristote lui-même, il édite le philosophe, de 1494 à 1515. dans des traductions latines d’humanistes italiens. Un deuxième voyage en Italie, en 1491-1492, le conduit à Florence, où il rencontre Marsile Ficin et Pic de La Mirandole : attiré par la renaissance néoplatonicienne, il publie les Livres hermétiques (1494) dans la traduction de Ficin et, en 1499, la Théologie du pseudo-Denys. L'œuvre de Raymond Lulle. qu'il édite en 1499, lui est particulièrement chère. Après un troisième séjour en Italie, il parcourt l’Allemagne en 1509 et en rapporte une moisson de textes mystiques. Éditant Ruysbroeck (1512), il le défend contre Gerson, qui lui avait reproché son ignorance du latin. Spirituel et mystique, Lefèvre est en quête d’une méthode de lecture — d'un « nouveau genre d’exégèse », comme dit un contemporain —, qu’il définit et met en œuvre dans une série de publications relatives à la Bible. En 1509 paraît le Quincuplex Psalterium, qui, comme son nom l’indique, juxtapose cinq versions du Psautier et accompagne chaque psaume d’un résumé, d'une exposition continue, de notes (essentiellement grammaticales et philologiques) et de sortes de méditations très représentatives de ce nouveau genre d’exégèse. Humaniste, Lefèvre est à la recherche de la lettre du texte et n'épargne aucun moyen pour l'établir (même si les résultats peuvent être jugés inférieurs aux intentions); mais, écrivain spirituel, il lui demande un plus haut sens, dont il précise qu'il s’agit d’un « sens littéral sans doute, mais qui coïncide avec l'esprit, sens qui se révèle aux voyants, aux illuminés, et qui se cache aux aveugles, à ceux qui se contentent de la lettre, qui comprennent les choses divines selon la chair». Cette recherche, Lefèvre la poursuit en éditant, en 1512, les Épîtres de saint Paul. Qui plus est, il veut que la Bible soit pour tous un livre de vie, et il entreprend de la mettre en français : après la traduction des Évangiles (1523), il publie, en 1530, celle de la Bible tout entière.

 

Figure de premier plan, Lefèvre ne doit pas faire oublier quelques autres humanistes de grande valeur. Ainsi son disciple Charles de Bovelles (1479-1567), qui partage son goût des mathématiques — et spécialement de l’arithmétique spéculative, voie royale vers l'intelligence des substances spirituelles — et son intérêt pour la pensée de Nicolas de Cues et pour le néoplatonisme florentin. Son De sapiente (1511), qui définit le sage comme l’accomplissement de l’homme, a pu être considéré comme l’expression puissante et profonde d’un humanisme héroïque, proche de celui de notre temps. Outre son œuvre philosophique, Bovelles a encore écrit des poésies en français et divers travaux relatifs à la langue : la Différence des langues vulgaires et la variété de la langue française (1533) marque, pour les langues vulgaires, un intérêt très neuf; il réunit, en 1531, quelque six cent cinquante proverbes usités en France [voir Bovelles].

 

Très différent de Bovelles, qui fut un homme discret, secret même, son contemporain le Lyonnais Symphorien

humanisme

« ------- -- -----· -- · ·- ce qui le concerne lui-même et dans ce qu'il effectue.

Les hommes, parce qu'ils sont hommes, trouvaient inté­ ressant d'étudier des hommes en tant qu'hommes ».

Les pionniers : l'humanisme stylistique Quoi qu' i 1 en soit, un.e telle interprétation, qui jette le discrédit sur le Moyen Age, temps d'exil de l'esprit loin de lui-même, a été préparée par ceux-là même qu'on appelait les humanistes.

C'est un lieu commun chez eux.

dès 1470, de caractériser l'époque dont ils voulaient se distinguer comme barbare, ignorante et obscure : mouve­ ment particulièrement net en France, où, sur tous les tons, on oppose la lumière retrouvée aux ténèbres qui l'étouffaient, ce« siècle si plein de lumière >> au « brouil­ lard épais et presque cimmérien de l'époque gothique>> (Rabelais), Chacun connaît le fameux passage de la lettre que Gargantua adresse à Pantagruel : « Le temps estoit encores tenebreux et sentent l'infelicité et calamité des Gothz, qui avoient mis à destruction toute bonne lit­ terature >>.

Le propos des premiers humanistes français est de restaurer l'éloquence ou art de bien dire et de bien écrire.

Guillaume Fichet (né en 1433) écrit à son ami Roben Gaguin, en 1471 : ''J'éprouve un très grand contente­ ment en voyant les Muses et toutes les parties de l'élo­ quence que l'âge précédent avait ignorées fleurir enfin dans cette ville [Paris].

Quand, au temps de mes jeunes années, je quittai le pays de Baux et me rendis à Paris pour me mettre à l'étude d'Aristote, je m'étonnai de voir qu'à Paris un orateur ou un poète était chose plus rare qu'un phénix.

Personne n'étudiait nuit et jour Cicéron, comme beaucoup font aujourd'hui; personne ne savait faire un vers correct, ni scander les vers d'autrui; l'école parisienne avait désappris la latinité, et tous ses docteurs ou presque en étaient descendus à un langage barbare.

Mais à présent nous voyons enfin des jours meilleurs, car, pour parler le langage des poètes, les dieux et les déesses font renaître chez nous la science du bien-dire ».

De fait, le premier humanisme français est essentielle­ ment stylistique; restaurer le goût de la belle latinité, apprendre à bien dire et à bien écrire, tel est son projet.

Pour y parvenir, Fichet installe à la Sorbonne, dont il est bibliothécaire, le premier atelier typographique français.

De ses presses sortent, en 14 70, les Lettres de l'huma­ niste italien Gasparino de Barzizza, recueil de modèles épistolaires.

puis une Orthographe du même auteur.

Fichet, pour sa part, rédige une Rhétorique, dont la pré­ face exprime fort bien le dessein : « Nos contemporains excellent dans la dialectique et dans la philosophie, mais ils méprisent les orateurs [ ...

1.

Contents de la connais­ sance toute nue des choses, ils ne prennent aucun soin de l'art de bien dire>>.

Un peu plus tard, en 1473, Gaguin poursuit la réalisation de ce programme de restauration de l'éloquence en publiant une Ars versificatoria, qui expose les règles de la versification.

Ce mouvement enregistre assez vite ses premiers succès.

De nombreux élèves viennent, le soir, entendre Fichet commenter les auteurs antiques.

Guillaume Tar­ dif, auteur d'un Rhetoricae artis ac oratoriae facultatis compe ndium, ou abrégé de l'art rhétorique, est autorisé, en 1484, par la Sorbonne à« lire>> la rhétorique dans les écoles.

Et surtout, en 1489.

l'Université de Paris permet officiellement l'explication des poètes à raison d'une heure par jour, dans l'après-midi.

Ces succès encoura­ gent des humanistes italiens à venir enseigner à Paris : en 1483 arrive de Vérone Paolo Emili, qui, auteur, avec Gaguin, de la première histoire des rois de France écrite -avec élégance- en latin, sera le fondateur de l'histo­ riographie humaniste en France; en 1484, Paris accueille Girolamo Balbi, de Venise; en 1488, c'est le tour de Cornelio Vitelli et de Fausto Andrelini.

Mais, dès 1476, un érudit de Bologne.

Filippo Beroaldo, commentait l'œuvre de Lucain à Paris et, dans sa leçon d'ouverture, exposait le programme humaniste : «Paris est l'illustre patrie de tous les arts [ ...

].

J'ai donc pensé faire œuvre méritoire si j'enseignais ici les humanités et la poésie, si je montrais comment elles s'accordent et s'apparentent avec la philosophie r ..

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] .

Amis des lettres, je vous exhorte à suivre les traces des Anciens, à respecter religieuse­ ment les poètes ».

Autour de ces érudits se forment des cercles humanistes où se retrouve tout un public cultivé.

chaque jour plus nombreux.

Un jeune Italien, Jérôme Aléandre, qui, en 15 Il, commente Ausone, raconte sa première leçon dans une lettre qui permet de mesurer l'intensité de cet enthousiasme : «Tl y avait une telle foule que le portique et les deux cours du collège ne pouvaient la contenir.

Et quel public distingué! Rece­ veurs généraux, conseillers, avocats du roi, recteurs, théologiens, jurisconsultes, principaux de collèges, régents : le nombre en est estimé à plus de deux mille>> .

Cette présence italienne ne doit pas faire oublier les liens puissants qui unissent 1' humanisme français de la fin du xv• siècle au monde flamand.

Dans la Société d'amis des lettres qui se forme à Paris, on rencontre les Comtois Guillaume et Guy de Rochefort, Martin et Gilles de Delft, Charles Fernand, de Bruges, et son frère Jean, le poète Pierre Bury, lui aussi de Bruges.

Même si certains d'entre eux, comme aussi Fichet et Gaguin, ont séjourné en Italie, ils continuent, à l'imitation de leurs précurseurs français -Jean de Montreuil, par exemple -.

à considérer Pétrarque d'abord comme le parfait modèle de l'humaniste chrétien, l'auteur du De remediis, celui qui a su mettre son érudition classique au service de la vérité chrétienne.

Eux-mêmes aiment à traiter des sujets religieux : Gaguin écrit, en 1488, un poème latin sur l'Immaculée Conception, que Charles Fernand enri­ chit, l'année suivante.

d'un commentaire.

Ils ne cherchent pas à réformer Je cycle des études universitai­ res et continuent à tenir la théologie pour la reine des sciences.

Comme l'écrit justement A.

Renaudet, ils n ·éprouvent pas « ce besoin de donner libre jeu à toutes les activités et toutes les puissances humaines, de satis­ faire harmonieusement tous les désirs de l'esprit et des sens, qui tourmentait, au xv• siècle, tant d'âmes italiennes».

C'est donc presque à leur insu que, en définissant de nouveaux modèles culturels, ils vont provoquer de profonds changements.

En critiquant le style de leurs contemporains, ils contestent en même temps des maniè­ res de penser.

On le remarque en lisant ce passage d'une lettre de Gaguin à Arnold de Bosch : «Tous nos contem­ porains ont conservé le style et la manière d'écrire qu'ont introduits, depuis deux cent cinquante ans, ceux qu'on appelle les auteurs de questions.

Supprimez de leurs ouvrages les mots "puisque", "après que", "comme", ''par conséquent", "en outre", "mais au contraire", "réponse", "solution", et autres semblables : leurs livres énormes deviendront extrêmement courts >>.

De telles critiques encourageaient à élaborer de nou­ velles méthodes de penser.

Un travail, encore hésitant, de restauration philosophique s'accomplit.

Si le grec renaît, avec Georges Hermonyme, de Sparte, qui vient l'ensei­ gner à Paris en 1476, avec le Français François Tissard, qui, en 1507, publie le premier manuel des études grec­ ques, les humanistes français, encore incapables, dans l'ensemble, de lire par eux-mêmes Platon ou Aristote, tâchent de remplacer les vieilles traductions par celles qui ont désormais cours en Italie.

Vers 1470, les presses de la Sorbonne impriment, dans la traduction de Leonardo Bruni, les lettres (apocryphes) de Platon.

Vers 1474 paraît la Rhétorique d'Aristote, dans la traduction de Georges de Trébizonde, Cet intérêt, qui va s'affir-. »

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