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Influence de la littérature germanique sur la littérature française (Histoire de la littérature)

Publié le 14/11/2018

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histoire

ALLEMAGNE. — Influence de la littérature germanique sur la littérature française. L’Allemagne fut toujours pour la France une voisine lointaine, un étrange étranger, comme si un invisible limes culturel protégeait encore les frontières de la Romania. De nombreux contacts, politiques, économiques ou littéraires, des alliances princières, des voyages et des informations multipliées n’ont guère triomphé des préventions esthétiques, des peurs ancestrales, des obstacles linguistiques : trop de distance entre l’unité précoce des Français et le morcellement de la Germania en une poussière d’Etats; entre un ordre qui centralise et codifie les lettres et une foisonnante dispersion. Aussi l’histoire des rapports littéraires entre les deux peuples offre-t-elle des versants dissymétriques : si la France exerce sur l’outre-Rhin une constante séduction, l’Allemagne reste longtemps à peu près inconnue et sans influence notable. Pour les Français, à une brève période de fascination, de « teutoma-nie » (1815-1870) succèdent des années ambiguës où les engouements se mêlent aux répulsions et à la méfiance.

 

Préhistoire et initiations

 

Les langues et les littératures françaises et germaniques sont issues de la même confluence d’éléments « barbares » et de la romanité christianisée, pendant les siècles obscurs du haut Moyen Age; la romanité l’emporte à l’ouest des Vosges, tandis qu’à l’est les Germains conservent leur idiome. Mais les deux cultures coexistent au sein de l’Empire carolingien, partagent la même foi et, grâce au latin, communiquent; la suzeraineté suprême de la papauté et le tissu serré d’établissements monastiques qui transcende les frontières politiques renforcent leur sentiment de parenté. Ces relations étroites favorisent des échanges littéraires fort inégaux : si la chanson de geste française, âpre et abrupte au début du xiie siècle, est sans doute la fille lointaine de formes lyriques germaniques, si la jeune rudesse des envahisseurs francs, bur-gondes ou wisigoths entre pour beaucoup dans l’esprit « gaulois » du Moyen Age, les influences inverses sont plus claires et moins hypothétiques, qu’il s’agisse de l’épopée, de la poésie courtoise ou religieuse. Le parallélisme médiéval entre les deux littératures est tout entier dû à l’impulsion française.

 

La Réforme luthérienne, la contre-Réforme, qui en relève le défi, coupent la France de l’aire germanique : la Renaissance, si perméable aux modes venues d’Italie ou d’Espagne, ignore l’Allemagne, où s’épanouit bientôt un art baroque, tandis que le classicisme triomphe chez nous. Des philosophes et des savants comme Leibniz, Wolff, Pufendorf (l’auteur du Droit de la nature et des gens, 1704) peuvent se faire entendre, et même se faire écouter des doctes; l’opinion générale, jusqu’au XVIIIe siècle, accorde aux Allemands l’érudition, la science et une bonhomie naïve, mais refuse tout génie littéraire et tout don poétique à leur prétendue lourdeur, semblable aux brumeuses forêts teutonnes, desservie par une langue qui semble rocailleuse et sans charme. Comme l’écrit le père Bouhours dans ses Entretiens d’Ariste et d’Eugène (1671), un Allemand ne saurait atteindre au «bel esprit ».

 

Le siècle des Lumières, relativiste, cosmopolite, plus soucieux de diversité, ne s’ouvre que prudemment à un monde si étrange : fondée en 1720, à Amsterdam, par des protestants français de Berlin, la Bibliothèque germanique (qui deviendra le Journal littéraire d’Allemagne, de Suisse et du Nord, puis la Nouvelle Bibliothèque germanique) rencontre un succès modeste. Il faut attendre les deux lettres sur la littérature allemande que Grimm — le plus parisien des Allemands — publie en 1750-1751 dans le Mercure de France pour que les informations se multiplient dans les journaux (plus spécialement le Journal étranger, fondé en 1754, le Journal encyclopédique, VAnnée littéraire de Fréron). Plusieurs grammaires allemandes paraissent. Le Choix de poésies allemandes (1766) de Michel Huber, Bavarois établi à Paris, qui révèle la Mort d’Abel de Gessner, ouvre la voie à de nombreuses traductions (Histoire de l'art chez les Anciens de Winckelmann, Fables de Lessing, Théâtre allemand, puis Nouveau Théâtre allemand de Zachariae, Wieland, Mendelssohn...). C’est le bénéfice secondaire de la francisation extrême des Allemands qu’un foisonnement d’intermédiaires et de traducteurs; et cette « offensive » rencontre la faveur des cœurs sensibles, mais aussi celle des âmes religieuses et enthousiastes qu’excède la sécheresse du rationalisme.

 

Ce sont deux poètes suisses qui obtiennent les premiers succès : Haller, dont les poésies sont traduites dès 1750, et connaîtront maintes rééditions, révèle les paysages de la haute montagne et l’existence pure des Helvètes; Gessner, à partir de 1759, avec la traduction de sa Mort d’Abel, puis des Poèmes champêtres et des Pastorales, séduit par sa mièvrerie idyllique et sentimentale; son influence sur l’émergence et les tonalités de la poésie descriptive est considérable, comme en témoignent les Idylles morales de Léonard, les Idylles de Ber-quin et même le Paul et Virginie de Bernardin de Saint-

 

Pierre. L’image qu’il donne d’une Germanie naïve, paisible et toute rustique, remplace celle d’une contrée inculte, grossière et brutale. Le Sturm und Drang, mouvement de réaction contre le classicisme et la culture française qui se développe à partir de 1769, reste mal connu en France, et les premières pièces de Goethe [voir Goethe (influence de — en France)] ou de Schiller ont peu d’écho. L’immense renommée de Werther (1774; traduction française en 1776) compense ces ignorances : Goethe, dans ce petit livre, avive la peinture de l’amour-passion diluée par Rousseau au fil des digressions de la Nouvelle Héloïse; son héros, rêveur asservi aux influx de la nature où il baigne et à l’implacable logique d’un sentiment qui le dévore en l’absence de toute volonté, frappe les contemporains français comme une illustration de cette mortelle mélancolie qu’on goûte dans les Nuits de Young ou dans les chants d’Ossian. Les traductions, les critiques et, surtout, les imitations se multiplient : on « werthérise », non seulement dans ses vêtements et dans ses poses, mais dans des histoires d’amour et de mort qui impliquent un jeune homme, une héroïne, un couple, promis à la souffrance, au suicide, parfois même à l’adultère. La postérité mêlée de Werther compte, malgré tout, quelques œuvres remarquables : René, de Chateaubriand; Delphine, de Mme de Staël; Valérie, de Mme de Krüdener; Adolphe, de Benjamin Constant... On réprouve, sans doute, cet enthousiasme spasmodique et désenchanté qui deviendra le « mal du siècle » : à la suite de Goethe, on le module et l’on s’y complaît.

 

La Révolution et l’Empire, affrontés aux forces allemandes qui se réveillent et se rassemblent, se coupent presque entièrement de l’extraordinaire floraison romantique : l’impérialisme français, appuyé sur l’hégémonie d’une langue dont Rivarol vient d’expliquer l’universalité dans un discours célèbre, s’accompagne d’un repli culturel sur la tradition antique et classique. Les « idéologues » [voir Idéologues], ouverts aux littératures étrangères, ne reçoivent que l’Allemagne des Lumières, déjà bien lointaine, celle de Lessing ou de Wieland. Quelques émigrés se sont intéressés au pays qui les accueillait : ainsi ceux qui publient à Hambourg, de 1797 à 1802, le Spectateur du Nord et qui présentent la Mes-siade de Klopstock, épopée religieuse et mystique, comme le type de l’inspiration germanique. Le plus connu d’entre eux, Charles de Villers, après avoir donné la Philosophie de Kant (1801), V Essai sur l'esprit et l’influence de la Réformation de Luther (1804), publie, en 1806, son Erotique comparée, où il confronte le superficiel libertinage des Français à l’idéalisme chaste de l’amour allemand. Cette prédication marginale tombe dans la même indifférence que les attaques acerbes de Guillaume Schlegel contre la dramaturgie classique ou la préface de Constant pour sa traduction de Wallenstein de Schiller : la gloire impériale, le nationalisme littéraire de la toute nouvelle Université semblent protéger de toute influence hétérogène une France murée dans ses certitudes.

histoire

« « barbares » et de la romanité christianisée, pendant les siècles obscurs du haut Moyen Age; la romanité l'em­ porte à l'ouest des Vosges, tandis qu'à l'est les Germains conservent leur idiome.

Mais les deux cultures coexistent au sein de l'E mpire carolingien, partagent la même foi et, grâce au latin, communiquent; la suzeraineté suprême de la papauté et le tissu serré d'établissements monasti­ ques qui transcende les frontières politiques renforcent leur sentiment de parenté .

Ces relations étr oites favori­ sent des échanges littéraires fort inégaux : si la chanson de geste française, âpre et abrupte au début du xue siècle, est sans doute la fille lointaine de formes lyriques germa­ niques, si la jeune rudesse des envahisseurs francs, bur­ gondes ou wisigoths entre pour beaucoup dans l'esprit « gaulois » du Moyen Age, les influences inverses sont plus claires et moins hypothétiques, qu'il s'agisse de l'épopée, de la poés ie courtoise ou religieuse .

Le parallé­ lisme médiéval entre les deux littératures est tout entier dû à l'impulsion française.

La Réforme luthérienne, la contre-Réforme, qui en relève le défi, coupent la France de 1' aire germanique : la Renaissance, si perméable aux modes venues d'Italie ou d'Espagne, ignore l'Allemagne, où s'épanouit bientôt un art baroque, tandis que le classicisme triomphe chez nous.

Des philosophes et des savants comme Leibniz, Wolff, Pufendorf (l'auteur du Droit de la nature et des gens, 1704) peuvent se faire entendre, et même se faire écouter des doctes; l'opinion générale, jusqu'au xvme siècle, accorde aux Allemands l'érudition, la science et une bonhomie naïve, mais refuse tout génie littéraire et tout don poétique à leur prétendue lourdeu r, semblable aux brumeuses forêts teutonnes, desservie par une langue qui semble rocailleuse et sans charme.

Comme l'écrit le père Bouhours dans ses Entretiens d'Ariste et d'Eugène (1671), un Allemand ne saurait atteindre au «bel esprit ».

Le siècle des Lumières, relativiste, cosmopolite, plus soucieux de diversité, ne s'ouvre que prudemment à un monde si étrange : fondée en 1720, à Amsterdam, par des protestants français de Berlin, la Bibliothèque ger­ manique (qui deviendra le Journal littéraire d'Allema­ gne, de Suisse et du Nord, puis la Nouvelle Bibliothèque germanique) rencontre un succès modeste.

Il faut atten­ dre les deux lettres sur la littérature allemande que Grimm -le plus parisien des Allemands -publie en 1750-1751 dans le Mercure de France pour que les infor­ mations se multiplient dans les journaux (plus spéciale­ ment le Journal étranger, fondé en 1754, le Journal encyclopédique, l'Année littéraire de Fréron) .

Plusieurs grammaires allemandes paraissent.

Le Choix de poésies allemandes ( 1766) de Michel Hu ber, Bavarois établi à Paris, qui révèle la Mort d'Abel de Gessner, ouvre la voie à de nombreuses traductions (Histoire de l'art chez les Anciens de Winckelmann, Fables de Lessing, Théâtre allemand, puis Nouveau Théâtre allemand de Zachariae, Wieland, Mendelssohn ...

).

C'est le bénéfice secondaire de la francisation extrême des Allemands qu'un foison­ nement d'intermédiaires et de traducteurs; et cette «offensive» rencontre la faveur des cœurs sensibles, mais aussi celle des âmes religieuses et enthousiastes qu'excède la sécheresse du rationalisme.

Ce sont deux poètes suisses qui obtiennent les pre­ miers succès : Haller, dont les poésies sont traduites dès 1750, et connaîtront maintes rééditions, révèle les paysages de la haute montagne et l'existence pure des Helvètes; Gessner, à partir de 1759, avec la traduction de sa Mort d'Abel, puis des Poèmes champêtres et des Pastorales, séduit par sa mièvrerie idyllique et sentimen­ tale; son influence sur l'émergence et les tonalités de la poésie descriptive est considérable, comme en témoi­ gnent les Idylles morales de Léonard, les Idylles de Ber­ quin et même le Paul et Virginie de Bernardin de Saint- Pierre.

L'image qu'il donne d'une Germanie naïve, paisible et toute rustique, remplace celle d'une contrée inculte, grossière et brutale.

Le Sturm und Drang, mou­ vement de réaction contre le classicisme et la culture française qui se développe à parti r de 1769, reste mal connu en France, et les premières pièces de Goethe [voir GOETHE (influence de- en France)] ou de Schille r ont peu d'écho.

L'immense renommée de Werther (1774; traduction française en 1776) compense ces ignorances : Goethe, dans ce petit livre, avive la peinture de l'amour­ passion diluée par Rousseau au fil des digressions de la Nouvelle Héloïse; son héros, rêveur asservi aux influx de la nature où il baigne et à l'implacable logique d'un sentiment qui le dévore en l'absence de toute volonté, frappe les contemporains français comme une illustra­ tion de cette mortelle mélancolie qu'on goûte dans les Nuits de Young ou dans les chants d'Ossian .

Les traduc­ tions, les critiques et, surtout, les imitations se multi­ plient : on « w erthérise >>, non seulement dans ses vête­ ments et dans ses poses, mais dans des histoires d'amour et de mort qui impliquent un jeune homme, une héroïne, un couple, promis à la souffrance, au suicide, parfois même à l'adultère .

La postérité mêlée de Werther compte, malgré tout, quelques œuvres remarquables : René, de Chateaubriand; Delphine, de Mme de Staël; Valérie, de Mme de Krüdener; Adolphe, de Benjamin Constant.

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On réprouve, sans doute, ce t enthousiasme spasmodique et désenchanté qui devien dra le « mal du siècle » : à la suite de Goethe, on le module et l'on s'y complaît.

La Révolut ion et l'Empire, affrontés aux forces alle­ mandes qui se réveillent et se rassemblent, se coupent presque entièrement de l'extraordinaire floraison roman­ tique : l'impérialisme fr ançais, appuyé sur 1 'hégémonie d'une langue dont Rivarol vient d'expliquer l'universa­ lité dans un discours célèbre, s'accompagne d'un repli culturel sur la tradition antique et classique .

Les > [voir IDÉOLOGUES], ouverts aux littératures étrangères, ne reçoivent que l'Allemagn e des Lumières, déjà bien lointaine, celle de Lessing ou de Wieland .

Q uelques émigrés se sont intéressés au pays qui les accueillait : ainsi ceux qui publient à Hambourg, de 1797 à 1802, le Spectateur du Nord et qui présentent la Mes­ siade de Klopstock, épopée religieuse et mystique, comme le type de l'inspiration germanique.

Le plus connu d'entre eux, Charles de Villers, après avoir donné la Philosophie de Kant (1801), l'Essai sur l'esprit et l'influence de la Réformation de Luther (I 804 ), publie, en 1806, son Érotique comparée, où il con fronte le superficiel libertinage des Fran çais à 1' idéalisme chaste de l'amour allemand.

Cette prédication marginale tombe dans la même indifférence que les attaques acerbes de Guillaume Schlegel contre la dramaturgie classique ou la préface de Constant pour sa traduction de Wallenstein de Schiller : la gloire impériale , le nationalisme littéraire de la toute nouvelle Université semblent protéger de toute influence hétérogène une France murée dans ses certitudes .

L'âge d'or (1814-1870) Les défaites de 1813-1815 ébranlent l'orgueil gaili­ can; l'Allemagne gallomane de Frédéric II a fait place à une nation guerrière, dressée contre l'envahisseur, fière de sa propre culture.

C'est l'époque où Mme de Staël, Genevoise exilée de Paris par Napoléon, reine d'un salon cosmopolite, publie un livre qui marquera trois généra­ tions, un voyage littéraire qui est aussi une bible enthou­ siaste, De l'Allemagne, que Napoléon envoie au pilon en 1813 et qui reparaît en France au printemps de 1814, au moment même où les Alliés entrent à Paris.

Mme de Staël a appris l'allemand, parcouru des centres intellectuels. »

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