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INFLUENCE DU « PORT-ROYAL » DE SAINTE-BEUVE

Publié le 02/05/2011

Extrait du document

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Une oeuvre si riche de signification et de pensée ne pouvait manquer d'exercer une réelle, une profonde influence. De fait, le Port-Royal de Sainte-Beuve est une très grande date dans l'histoire des idées et des lettres en France au dix-neuvième siècle, et il a aussi une grande importance dans l'histoire de l'auteur lui-même. Tout d'abord, le livre a-t-il eu un très grand succès ? A en croire Sainte-Beuve, on pourrait en être persuadé. « Ce premier volume de Port-Royal, nous dit-il dans un de ses Appendices, fut généralement bien accueilli lors de la première publication en 1840. « Et dans la Préface de son second volume, il nous parle de « l'indulgence extrême avec laquelle on a bien voulu accueillir le premier «. Je crois que, de la meilleure foi du monde, il se faisait quelque illusion à cet égard. Si ce premier volume avait été aussi bien accueilli qu'il veut bien le dire, on ne s'expliquerait pas, — sauf le cas, assez improbable, d'un très fort tirage, — qu'il eût laissé s'écouler vingt ans avant d'en donner une seconde édition. Le succès de vente paraît donc avoir été fort modeste. Si le livre, ce que l'on peut parfaitement admettre, a été fort apprécié, il l'a été d'une élite assez restreinte.

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« même signé Honoré de Balzac, n'a pas dû beaucoup nuire au succès et à la diffusion de l'ouvrage.

Sainte-Beuve adû seulement regretter plus d'une fois que les articles de Vinet, au lieu de paraître dans une modeste revue suisse,n'eussent point paru dans une grande revue française.Nous n'allons point passer en revue tous les articles que les autres volumes et les éditions successives du Port-Royal ont successivement provoqués.

Au fur et à mesure que les volumes se succèdent, il semble que le succèss'affirme : l'ouvrage est complet en 1859 ; les trois premiers volumes sont épuisés l'année suivante, et l'on procèdeà une seconde édition, qui ne met, cette fois, que sept ans à s'écouler, puisque la troisième et définitive éditionparaît en 1867.

Le livre en est actuellement à la septième édition.Parmi les jugements dont le Port-Royal a été l'objet, il nous faut au moins en rappeler deux ou trois, soit pourl'intérêt de fond qu'ils présentent, soit pour la personnalité de ceux qui les ont portés.J'emprunte le premier à une très jolie lettre qu'écrivait à Sainte-Beuve une de ses nobles amies, Mme d'Arbouville, le17 octobre 1847, probablement à l'occasion du troisième volume, qu'elle venait de recevoir :Ah ! plus vous avancez dans Port-Royal, et plus vous sentez qu'il y a bon nombre de personnes que vous blesserez.Voilà qui me désole.

Il faut que l'esprit fasse un miracle et tienne lieu aux yeux de ces personnes de tout ce qui leurmanquera du reste.

Mais je ne veux pas plaisanter sur ce sujet.

Votre talent, votre esprit supérieur sont hors dediscussion.

Toutefois, il y a des points de votre sujet où votre main sera téméraire, parce qu'elle est inhabile enpareille matière.

Mettez devant un piano un homme qui ne sait pas la musique, il y a cent à, parier qu'il ne toucherapas l'instrument avec un doigt, mais avec toute la main : cela fera plus de bruit sans être un son.

Il y a unedifficulté première qui, je le sens bien, pèse sur vous : c'est d'écrire l'histoire de Port-Royal sans avoir la foi.

Vousêtes trop homme de goût pour vouloir n'avoir choisi ce sujet que pour y proclamer votre incrédulité, et vous sentezles épines d'une semblable situation.

Elle m'effraie pour vous, même pénétrée comme je le suis de votre grand talentet de tout ce qu'il y a de remarquable dans ce que je connais et dans ce que je prévois.

Croyez-moi, laissez l'auteurdans l'ombre, puisqu'il ne saurait parler la langue de son sujet.

Racontez, réunissez les faits, exposez les querelles,débrouillez tous ces fils avec votre haute intelligence, mais ne concluez pas par un : « Voilà ce que je pense.

» Sivous disiez à un vieux général de l'Empire : « Votre Empereur est une chimère ! » que dirait la vieille moustache ?Les chrétiens (un grand nombre de chrétiens) croient bien plus en leur Dieu que le soldat à son chef.

Ils vous dirontqu'ils le voient plus clairement que le soldat ne voit son général.

Un autre grand nombre de chrétiens ne croit guère,mais trouve mauvais qu'on le dise, et conserve le respect en n'ayant plus la foi.

Le plus petit nombre est composéde ceux qui ne sentent rien assez pour se blesser de rien, mais aussi ceux-là n'admirent pas chaudement parce qu'ilsne sauraient rien blâmer vivement.

Je vous en prie, soyez bien sobre de vous-même, au milieu de toutes cesdifficultés.

Et puisque vous parlez de Rossini sans savoir la musique, ne niez pas l'extase causée par l'harmonies...Je cueille d'autre part dans l'Introduction de la grande édition des Pensées de Pascal par Ernest Havet, la bellepage, trop peu connue, que voici.

Elle date de 1854 :Le travail le plus étendu et le plus approfondi à la fois qui ait été fait sur Pascal est celui de M.

Sainte-Beuve.

Cen'est plus une courte étude, un chapitre d'histoire littéraire, ou le large développement d'un seul point de vue ; c'estPascal étudié à loisir dans sa vie et dans sa pensée, avec cette longue patience qui en tout genre fait lesmonuments.

Toutes les qualités d'un esprit merveilleusement doué pour la critique concourent dans ce livre : unefinesse incroyable, qui n'est que l'extrême justesse et l'extrême sagacité, et à laquelle aucun repli n'échappe ; et enmême temps une vue d'en haut et à vol d'oiseau, pour ainsi dire, qui embrasse très bien l'ensemble, saisit tout desuite ce qui est dominant, et subordonne les détails ; une richesse de littérature et de connaissances qui fécondetout, fournissant partout des développements, des rapprochements, des contrastes ; l'esprit le plus philosophique,sans aucune prétention de philosophie, dégagé de tout préjugé, et ne s'en rapportant de rien qu'à lui-même,s'arrêtant aux choses et non aux mots, parfaitement dépouillé, et que sais-je ? peut-être trop dépouillé de toutautre intérêt que celui de la critique ; et par-dessus tout cela, une facilité de sentir et d'imaginer, un colorisd'expression, une grâce de mouvements, reste précieux du poète dans le critique, qui rend l'exposition vivante etattrayante au dernier point, C'est un ouvrage qui captive tout esprit curieux et amateur des lettres, et le retient parmille attaches.

Tout y est dit, à ce qu'il semble, et je n'aurais pas essayé de faire de nouvelles réflexions sur lesPensées, si les conditions d'un travail placé en tête d'une édition n'étaient tout autres que celles du grand tableauqui est tracé dans Port-Royal.

Souvent d'ailleurs, je n'ai fait que répéter ce queM.

Sainte-Beuve avait dit ; je l'ai redit sous forme de résumé et d'analyse, plus sèchement, plus didactiquement,comme un répétiteur qui reprend la leçon du maître.

J'ai cité quelquefois le texte même, mais j'aurais voulu toutciter.

Dans le dernier chapitre surtout, il n'y a pas un mot qui ne laisse des traces.« M.

Havet m'a traité avec tant d'indulgence en une page de son Introduction, que j'ai quelque embarras à venir lelouer à mon tour s, écrivait Sainte-Beuve dans un article des Lundis sur cette édition des Pensées.

Soyons trèsassurés que cette page lui fit, ce qui est d'ailleurs fort naturel, le plus grand plaisir.Enfin, il nous faut mentionner les trois articles que Renan a consacrés dans les Débats au Port-Royal.

Des relationstrès amicales s'étaient établies, entre les deux écrivains, depuis 1852, depuis le moment où Renan, en envoyant sonAverroès à Sainte-Beuve, lui écrivait une lettre monumentale pour lui demander, et même pour lui suggérer unarticle.

En 186o, Sainte-Beuve ayant communiqué à Renan, en manuscrit ou en épreuves, la conclusion, si «renanienne » de ton, de son Port-Royal, Renan remercie avec transport l'auteur de ces « admirables » pages, « lestrois plus belles qu'il ait lues depuis longtemps », et il se fait réserver par Silvestre de Sacy l'article, ou plutôt lesarticles à écrire sur le livre au Journal des Débats.

Il « parlera de l'ouvrage con aurore, non précisément, dit-il, pourcette austère maison où n'étaient pas mes maîtres, mais pour le livre, que je tiens pour l'un des livres decaractéristique historique les plus parfaits de notre temps ».

Les deux articles parurent les 28 et 3o août 186o : ilssont recueillis dans les Nouvelles études d'histoire religieuse : ils sont assez médiocres.

Sainte-Beuve, qui lessouhaitait vivement, en fut pourtant ravi : « Port-Royal, écrivait-il à son critique, est un canton de plus, désormais,dans ce vaste domaine qui est vôtre et où vous promenez le coup d'oeil tranquille et suprême de vos méditationscomparées.

Je vous ai procuré le thème et le prétexte.

Voilà mon honneur.

Je l'apprécie, et, depuis que vous avezainsi parlé. »

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