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VALEUR PHILOSOPHIQUE ET PORTÉE GÉNÉRALE DE PORT-ROYAL DE SAINTE-BEUVE

Publié le 02/05/2011

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   « Vous me souhaitez, écrivait un jour Sainte-Beuve à un correspondant quelque peu maladroit, vous me souhaitez d'en venir à comprendre le christianisme. Qui vous a dit que je ne le comprenais pas ? Ce ne serait pas du moins faute d'étude. Avez-vous jeté les yeux seulement sur mes six volumes de Port-Royal, où le christianisme est continuellement étudié, remué de fond en comble, et où certes toute justice lui est rendue ? « — Si cela est vrai, il y a donc toute une philosophie religieuse enveloppée dans le Port-Royal. Quelle est cet te philosophie ? C'est ce que nous allons examiner.  Tout d'abord, sur la question fondamentale du christianisme : Que faut-il penser de Jésus-Christ ? il est assez difficile d'obtenir de Sainte-Beuve une réponse tant soit peu nette. Il a l'air d'éluder la question. Il n'a même pas de formule aussi décisive que Rousseau dans son Émile : « Si la vie et la mort de Socrate sont d'un sage, la vie et la mort de Jésus sont d'un Dieu. s Sainte-Beuve, sans formuler d'ailleurs d'objections bien précises sur ce point, ne parait pas croire à la divinité de Jésus-Christ ; mais, encore une fois, il n'articule pas ses raisons, s'il en a, et jamais il ne se hasarde à la négation pure et simple.

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« excès sans nom souillèrent la lumière dans le court intervalle des calamités sombres ; l'humanité ne s'en relevajamais.Au coeur de ces excès, et pour Ifs combattre, que pouvait la fleur divine, exquise, de Platon ? Le Christianisme vint; il apporta une idée du Saint plus profonde, plus contrite, sans plus rien de la fleur d'or, avec les seules racinessalutaires, avec le breuvage amer et les épines sanglantes.

Pour se préserver, pour expier et se guérir, une portionde l'humanité s'arma, durant des siècles, du froc et du cilice, sans oser un seul instant s'en dépouiller.

On s'enfuitdans les cavernes, on se courba dans le confessionnal.

La maladie, la souffrance, devinrent l'état naturel duChrétien et le prix de l'humaine rançon.

C'est à l'extrémité de cette longue série de siècles, où s'accumulèrenttoutes les rouilles et toutes les barbaries, c'est comme chargé encore de leur poids et de leur chaîne, que Pascalnous arrive, le dernier vraiment des grands Saints, et déjà grand philosophe.Est-ce donc là, en effet, la dernière forme de sainteté pour le monde ? Cet enchantement des émotions religieuses,ce mystère d'élévation que l'homme porte en lui, et qu'il n'a jamais plus hautement atteint qu'au sein et à l'aide duChristianisme ; cet état supérieur et intime de la nature humaine ne saurait-il retrouver désormais sa première fleur,et reparaître dans sa perfection acquise, délivré des appareils compliqués que le droit sens désavoue ? Ne saurait-on retenir seulement le côté durable, éternel, celui qui tient aux instincts les plus tendres et les plus généreux ducoeur, sans se forger des douleurs gratuites, et sans exagérer l'épreuve par elle-même si rude ? En tout, ne saurait-on avoir le Socrate sans les démoneries, comme dit Montaigne ? Ce qui est trop évident, c'est que jusqu'ici lesmodernes philosophes (à commencer par Montaigne), qui ont essayé de relever l'homme et de le faire marcher parses seules forces, ont bien imparfaitement réussi.

Voyez Rousseau tout le premier avec ses fiertés gauches, sesretours fastueux à l'héroïsme et ses sordides souillures Un moraliste amer, voulant exprimer cet empêchement, cerabaissement selon lui, de la vertu moderne, s'est échappé à dire : « L'humanité antique n'avait pas encore été pliéedans la pénitence et dans le deuil ; depuis elle s'est relevée ; mais, en se relevant, elle a gardé le pli et la roideurdans le pli.

» Le mot est dur, et je l'ai adouci encore ; mais il donne à penser.

La franche pureté première, la simplebeauté de l'être moral se peut-elle jamais reconquérir ? A cet âge avancé du monde, l'élite des coeurs voués auculte de l'Infini n'aura-t-elle pas toujours sa dure maladie incurable et son tourment ? En attendant la formeinconnue (s'il en est une) de cette Sainteté nouvelle, qui perpétuerait le fonds de l'ancienne en le débarrassant detout l'alliage, qui consacrerait les pures délices de l'âme saris les inconvénients et les erreurs, et qui sauraitsatisfaire aux tendresses des Pascals, en imposant respect au bon sens malin des Voltaires eux-mêmes ; enattendant cette forme idéale et non encore aperçue, tenons-nous d ce que nous savons ; étudions sansimpatience, admirons, même au prix de quelques sacrifices de notre goût, ces derniers grands exemples des hommesqui ont été les derniers Saints [c'est Sainte-Beuve ici qui souligne ] ; admirons-les, quand mime nous sentirions avecdouleur que leur religion, leur foi ne saurait plus être la nôtre : ils nous offrent de sublimes sujets à méditation.

Lagrandeur morale de Port-Royal réside en eux. Cette fort belle page, et qu'il fallait citer tout entière, est capitale pour l'intelligence de l'oeuvre, de la pensée, etmême de l'âme de Sainte-Beuve.

Elle figurait, telle qu'on vient de la lire, dans la première édition du Port-Royal, etl'on aimerait à savoir si elle faisait partie du cours primitif, et si elle a été débitée tout entière, et sans variantes,devant les auditeurs de Lausanne.

Ce qui, en tout cas, ne devait pas figurer dans le cours de Lausanne, c'est lanote qu'on peut lire dès la première édition du Port-Royal.

A l'endroit où Sainte-Beuve cite ce « moraliste amer » quin'est évidemment que lui-même (la pensée est manifestement tirée de ses Cahiers, ainsi que toutes celles qu'il glissede la même manière), et où il déclare qu'il en a atténué la rudesse, il ajoute en note :« Il y a dans l'original : elle a gardé le pli, et du noir dans le pli (sondes in ruga), car c'est l'hypocrisie surtout quis'est logée avant dans l'homme durant ces siècles couverts.

Un grand prédicateur jésuite du dix-huitième siècle, lePère de Neuville, voulant dénoncer cette misère d'hypocrisie que recèle le coeur de chacun, même des meilleurs, adit : « Il n'est pas d'homme qui n'aimât mieux être parfaitement ignoré qu'être parfaitement connu.

» Depuis, eneffet, que le coeur humain a été convaincu, selon le Prophète et selon l'Apôtre, d'être désespérément malin, ilsemble qu'il le soit de plus en plus devenu.

Cette parole si chrétienne du Père de Neuville est la plus contraire qui sepuisse imaginer au sentiment antique, quand les généreux luttaient à coeur ouvert pour la gloire (ce qu'un poète devertu appelle, aperto vivere voto), et quand l'huile brillante de la palestre était le seul vêtement de la nudité.Et en 1860, quand il imprime la seconde édition de son Port-Royal, à la note ainsi conçue, Sainte-Beuve ajoute ceci:C'est en songeant à ces derniers effets du Christianisme, à ces effets rentrés qui se sont comme fixés dansl'organisation et ont affecté tout l'homme qu'un autre moraliste d'une très moderne école, et cousin du précédent[cet autre moraliste, il va sans dire que c'est encore Sainte-Beuve lui-même ], a pu dire : « Le Christianisme,comme son aîné le Bouddhisme, a été un grand bien relatif, un remède à une décadence, né de cette décadencemême ; mais il en faisait partie.

Le mal principal passé, qui nous guérira désormais du remède, —des suites duremède ?Nous avons là, en raccourci, mais en formules de plus en plus détachées et audacieuses, toute la pensée de Sainte-Beuve à l'égard du christianisme.

Et cette pensée, dans ses considérants, est fort discutable.

Tout d'abord, notonsune fois de plus la tendance invétérée de Sainte-Beuve à confondre christianisme et jansénisme.

Les jansénistessont des chrétiens, personne ne le conteste, — des chrétiens exaspérés, mais des chrétiens : — ils ne sont pas lesseuls chrétiens.

Et pourquoi seraient-ils « les derniers Saints » ? Il y a eu, au XVIIe siècle, d'autres saints, aussi, etpeut-être plus authentiques que Saint-Cyran et M.

de Saci, quand ce ne serait que saint François de Sales et saintVincent de Paul, lesquels n'ont rien de janséniste ; et il y en a eu depuis : orthodoxie même mise à part, est-cequ'un curé d'Ars ou un cardinal Mercier ne soutiennent pas la comparaison avec un Singlin, un Arnauld ou unLemaître ? Le jansénisme n'est pas tout le christianisme.

Sur certaines questions essentielles, il s'oppose trèsnettement au catholicisme, dont il se prétend pourtant l'expression la plus pure et si Sainte-Beuve, dans la lettreque nous citions tout à l'heure, peut reprocher à son correspondant de « confondre absolument le christianisme. »

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