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INTERPRÉTATIONS DIVERSES DE L'OEUVRE DE RABELAIS

Publié le 23/06/2011

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Le succès des livres de Rabelais ne s'est jamais démenti : on en compte une centaine d'éditions pour le rie siècle, vingt pour le XVIIe, vingt-six pour le xviiie, soixante au XIXe et déjà plus d'une douzaine pour le vingtième ; sans parler des traductions en anglais, en anglo-américain, en allemand, en italien, en tchèque, etc. Aucun livre français du temps de la Renaissance n'a été plus souvent réimprimé. Mais ce n'est pas toujours pour les mêmes raisons qu'il a été goûté. L'intérêt des lecteurs ne s'est pas toujours attaché aux mêmes objets et ces objets n'ont pas toujours été compris de la même manière. Par exemple, les contemporains de Rabelais (à l'exception des théologiens offensés par ses railleries et choqués de ses obscénités) ont aimé en lui le conteur fécond en récits récréatifs, ou en propos diserts et caustiques. Pour eux, Rabelais est, comme le dira le Dictionnaire des Épithètes de Laporte, un «gaudisseur, un gausseur, un gabeur, un raillard«.

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« horrificques tant en ce qui concerne notre religion que aussi l'état politique et vie économique ».

Que si le lecteurs'étonne de cette déclaration, qu'il se rappelle le monde de pensées que des commentateurs ont découvertes dansHomère ou encore les rapports qu'un moine à établis entre la mythologie des Métamorphoses d'Ovide et les mystèresde l'Evangile.

Pourquoi ne découvrirait-on pas de tels et si graves mystères dans ces joyeuses et nouvelleschroniques ? « Combien que les dictant, ajoute Rabelais, n'y pensasse, non plus que vous, qui, par aventure,beuviez, comme moi ! » Déclaration très catégorique : ceux qui croiraient que l'écrivain a mis dans ses récits joyeuxun corps de doctrine hermétique se tromperaient aussi lourdement que le moine qui a prétend u découvrir dans lesMétamorphoses toute la doctrine de l'Evangile.Emile Faguet avait insisté sur le contre-sens que commettent en alléguant la phrase sur la substantifique moelleceux qui conçoivent l'oeuvre de Rabelais comme un livre contenant un enseignement secret ; et cette sorted'interprétation était abandonnée lorsqu'elle fut reprise par M.

Abel Lefranc dans la préface de l'édition critique duPantagruel.

Pour lui, il y a dans ce livre une arrière-pensée que Rabelais, par prudence, a dû dissimuler et qui percepourtant dans tels épisodes, comme la résurrection d'Epistémon.

Cette intention secrète qui a suscité et animé lelivre est aisée à formuler, c'est la révolte du libre penseur contre l'Evangile et le christianisme dont il s'est émancipé.Il a entrepris de confirmer dans leur rationalisme des savants qui sont libres penseurs comme Bonaventure desPériers et Etienne Dolet.

Il cherche même à faire de nouveveaux adeptes à la libre pensée, à « atteindre tous ceuxqui, à travers le monde, rêvaient d'une émancipation religieuse totale ».La thèse mérite d'être examinée, en raison de l'autorité de M.

Abel Lefranc, l'érudit le mieux renseigné sur Rabelaiset son temps.

Elle se heurte d'abord au témoignage d'un contemporain, Calvin, qui range l'auteur du Pantagruelparmi les esprits qui ont « goûté l'Evangile » ; et au témoignage de Rabelais lui-même, qui, en 1532, écrivait àErasme au sujet de Scaliger : « c'est un excellent médecin, malheureusement, il est athée déclaré ».

Ce regretserait singulier, chez un rationaliste militant.En outre, Rabelais est toujours resté « d'Eglise ».

Il s'avoue de grands prélats qui l'admettent dans leur compagnie.Il accepte un canonicat à Saint-Maur-des-Fossés, une cure à Meudon, un autre à Saint-Christophe-de-Jambet ;tous états qui impliquent une profession de la foi catholique.

Est-il vraisemblable qu'elle n'ait été que prudence etsimulation ? et que tant d'hypocrisie fût entré dans l'âme de l'ennemi des Papelards et des Cafards ?Où seraient ces maximes et préceptes d'irréligion dans le Pantagruel ? A quels indices les reconnaîtra-t-on et lesdistinguera-t-on des facéties pures et sans portée ? La machine de guerre, dit-on, est le persiflage ; l'incrédulité sereconnaît à certaines parodies de textes de l'Ecriture sainte.

— Criterium spécieux.

Telle plaisanterie sur le textesacré peut nous choquer, qui ne scandalisait pas les contemporains de Rabelais.

On n'est pas embarrassé pourtrouver chez des religieux, des moines, en particulier des Franciscains, des calembours et des facéties sur l'Ecrituresainte.

En fait, on ne voit pas que les théologiens de Sorbonne aient fait un grief à l'auteur du Pantagruel d'avoirmultiplié dans son livre ce genre du plaisanteries.

Une des plus déplacées certainement est un mot que le conteurprête à l'un des « bien-yvres » festinant sous la saulaie : « J'ay la parole de Dieu en bouche, dit ce compagnon,sitio, j'ai soif.

» C'est une des dernières paroles du Christ mourant sur la croix et la profanation peut paraîtreénorme.

Or, ce Sitio a été ajouté par Rabelais au texte primitif de son Gargantua, dans cette édition de 1542, qu'il aprécisément expurgée de tout ce qu'il jugeait de nature à lui attirer la censure des théologiens.

De telles facétiesn'étaient certainement pas tenues comme tendant à ridiculiser les croyances ou la piété chrétiennes.

Elles ne sontpas nécessairement un indice de rationalisme.

Rien n'autorise donc à croire que le livre de Rabelais est un ouvragehermétique, dont la clef devrait être cherchée dans une doctrine philosophique secrètement professée par l'auteur.Conclurons-nous donc qu'il n'y a nulle idée sérieuse dans les livres de Rabelais ? Non, il s'y trouve de la «substantifique moelle » ; ce sont des idées morales, politiques et religieuses.

Mais elles ne sont ni coordonnées enun système tenu secret, ni ingénieusement dissimulées.

Elles affleurent, au contraire, ouvertement sous la forme depréceptes, de réflexions, de conseils, parfois de fictions.

Rabelais était un humaniste qui avait fait le tour de lapensée antique, un légiste qui connaissait l'histoire du droit et les méthodes de la jurisprudence, un médecin quiavait aidé au progrès de la médecine, un érudit d'un savoir encyclopédique : il était difficile qu'écrivant un livre depasse-temps, il n'y déposât point quelques-unes des idées, des observations, des réflexions qui étaient l'alimentquotidien de la vie de son esprit.Ces idées, reflétées par échappées dans le Pantagruel et le Gargantua, sont, les unes, celles de l'élite intellectuelledu temps, celles des humanistes français et étrangers, des Erasme et des Budé ; les autres, plus personnelles,procèdent du tempérament et de l'expérience propre de Rabelais.La vie intellectuelle du temps est dominée par l'ensemble des faits que l'on regroupe sous les titres de Renaissanceet de Réforme.La Renaissance, c'est principalement le culte des lettres gréco-latines, étudiées avec plus de méthode et de ferveurque précédemment.

De ce retour à une meilleure connaissance des Anciens on attendait un grand progrès de lacivilisation.

Lorsque François Ier, en 1530, créa le collège des lecteurs royaux chargés d'enseigner le grec, l'hébreu,le latin, ce fut une heure d'enthousiasme pour les lettrés.

Enfin les lettres anciennes allaient être étudiées pourelles-mêmes ! C'était un triomphe de l'humanisme sur les routines médiévales et sur le magistère de la Faculté dethéologie, au contrôle de laquelle échappait la nouvelle institution.

En grec, en latin, en italien, en français oncélébra l'événement.

Rabelais fut un des plus ardents à le prôner.

«Maintenant, s'écrie-t-il, toutes disciplines sontrestituées, toutes langues sont restaurées : grecque, sans laquelle c'est honte qu'une personne se die sçavante,hébraïque, chaldaïque, latine...

» C'est dans la lettre de Gargantua à Pantagruel étudiant à Paris que se lit cethymne à la Renaissance.

Il s'y rencontre aussi tout un programme d'instruction et d'éducation : le conteur a pourquelques instants cédé sa plume à l'humaniste.

Ailleurs, c'est le juriste, très averti des progrès de la jurisprudence,qui s'élève contre la manière défectueuse dont « les glossateurs » du moyen âge, les Accurse et les Bartholeavaient interprété les beaux textes juridiques des Anciens, les Pandectes de Justinien, par exemple.

Ignorant legrec, le bon latin, la philosophie morale, l'histoire ancienne, comment auraient-ils pu comprendre ces textes ? Laconnaissance des humanités, disaient Guillaume Budé, Alciat et Tiraqueau, était la condition essentielle de larénovation des études juridiques.

Cette idée, Rabelais l'avait adoptée et, chose singulière, ses invectives contre les. »

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