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RABELAIS François : sa vie et son oeuvre

Publié le 29/11/2018

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rabelais
Profil de l'œuvre romanesque
 
On peut supposer que des préoccupations si nettement et si constamment manifestées ne seront pas absentes du roman de Rabelais. Même si ce serait le défigurer que de n’y voir qu’une œuvre à thèse, on ne saurait nier que fauteur ne l’inscrive dans son temps et n’y pose les questions qui préoccupent son époque.
 
Les deux premiers livres furent publiés presque coup sur coup : le Pantagruel en 1532, le Gargantua en 1534 ou 1535. Un long silence les sépare de la suite : le Tiers Livre en 1546, et le Quart Livre en 1548-1552. Cet intervalle, comme V.-L. Saulnier l’a souligné, est tout juste celui qui sépare l’Affaire des placards (octobre 1534) du massacre des Vaudois (1545). Avant l’Affaire
des placards, l’évangélisme connaît sa plus belle heure : l’esprit de renouveau habite les forces vives du pays. Après elle, vient le temps de la répression, de la lutte contre la propagande évangélique, du combat contre les novateurs. Le roman de Rabelais reflète ce passage de l’allégresse et de l’enthousiasme à la nécessaire prudence. Ces considérations autorisent à examiner distinctement les deux premiers livres et les suivants. Du reste, les lecteurs du temps furent sensibles au changement de ton qui marquait le Tiers Livre, si l’on en croit le premier Prologue du Quart Livre (1548), où Rabelais rapporte leurs propos : « Plus dictes que le vin du Tiers Livre ha esté à vostre goust et qu’il est bon. Vray est qu’il y en avoit peu et ne vous plaist ce que l’on dict communément : Un peu, et du bon ».

RABELAIS François (vers 1483-1553). «L’œuvre de Rabelais est probablement la plus difficile de la littérature française. Mallarmé est aisé à côté », a écrit Michel Butor. De fait, sans parler des difficultés, pourtant nombreuses, d’ordre historique (on a pu, par exemple, récemment, contester la date traditionnellement admise de la parution du Gargantua), l’œuvre de Rabelais ne se laisse pas résumer en quelques formules et semble se jouer de toutes les interprétations. A qui quête une pensée secrète, il est facile de citer le passage du Prologue du Gargantua qui invite le lecteur à « rompre l’os et sucer la substanti-ficque moelle » avec la promesse qu’ainsi lui seront révélés « de tresaultz sacremens et mystères horrific-ques »; à qui pense que l’œuvre de Rabelais n’est que divertissement et contes à rire, la suite immédiate apportera sa caution : « Croiez vous en vostre foy qu’oncques Homere, escrivent l’Iliade et Odyssee, pensast es allégories lesquelles de luy ont beluté Plutarche, Heraclides Pontic, Eustatie et Phornute? » On comprend bien que l’œuvre de Rabelais ait suscité mille interprétations, souvent inconciliables : le héraut de la culture populaire se heurte à l’humaniste; le rationaliste militant affronte l’évangélique; le réaliste livre combat au poète de l’invention verbale... Rabelais semble avoir pris à cœur d’exciter ces curiosités par une œuvre où se côtoient des développements d’une obscurité apparemment impénétrable (ainsi l’énigme qui forme le chapitre II du Gargantua) et d’autres d’une limpidité telle que le sens paraît devoir résider au-delà des mots (ainsi Thélème, à la fin du Gargantua, ou le Pantagruélion, à la fin du Tiers Livre).
 
La vie même de l’homme que fut Rabelais nous est mal connue. Quand il publie le Pantagruel, il a quelque cinquante ans; or il reste fort peu de traces de ce demi-siècle pendant lequel il s’est formé. Né près de Chinon, il est fils d’un avocat. De sa jeunesse, on ignore tout. Il semble que, vers 1511, il soit entré dans l’ordre de Saint-François, à La Baumette, près d’Angers. Avant 1521, il est prêtre régulier, frère mineur de l’Observance à Fontenay-le-Comte. C’est là qu’il fréquente le cénacle humaniste d’André Tiraqueau, célèbre jurisconsulte (une lettre de Guillaume Budé fait allusion, sans qu’on puisse préciser davantage, aux études juridiques de Rabelais). A Fontenay-le-Comte, il se lie aussi avec un autre prêtre, Pierre Lamy; ensemble, ils étudient le grec, au point d’inquiéter leurs supérieurs, qui voyaient dans cet intérêt un chemin de l’hérésie. Tandis que Lamy s’enfuit, Rabelais se fait recevoir, en 1524 ou 1525, au couvent bénédictin de Saint-Pierre de Maillezais, dont Geoffroy d’Es-tissac, son protecteur, était abbé. Puis, renonçant à l’état monastique, il s’inscrit, en automne 1530, sur les registres de la faculté de médecine de Montpellier, et, deux mois et demi après, il est reçu bachelier. On le trouve, au printemps de 1532, à Lyon, et, en novembre, médecin de l’hôtel-Dieu du Pont-du-Rhône.
 
Si incomplets, et parfois incertains, que soient ces renseignements, ils permettent cependant de mesurer l’ampleur et la diversité de la culture de Rabelais. Prêtre, il a fait de solides études théologiques, et la tradition scolastique lui est bien connue. On peut penser aussi qu’il a goûté saint Bonaventure, le maître de la spiritualité franciscaine. Mais Budé nous apprend qu’il a, de plus, étudié le droit, et ce savoir laissera de très nombreuses traces dans son œuvre. Des langues classiques, le même Budé atteste que Rabelais a une sérieuse connaissance. La médecine vient compléter cette formation. Dans ces divers domaines, Rabelais se révèle séduit par le renouvellement qu’y introduit l’esprit humaniste, et
 
dans une lettre de 1532 il salue Érasme comme son maître et son père, ajoutant même : « Je vous ai nommé père, je dirais même mère, si votre indulgence m’y autorisait ».
 
Rabelais, érudit
 
Les œuvres savantes de Rabelais reflètent cet esprit. Si on a perdu sa traduction du premier livre d’Hérodote, s’il en est de même, malheureusement, de sa traduction de Lucien, en revanche on a conservé les trois ouvrages qu’il publie, coup sur coup, en 1532, et qui le révèlent bien comme acquis au nouvel esprit humaniste. Médecin, il édite les Lettres médicales du médecin Jean Manardi, et il donne une traduction latine des Aphorismes d’Hippocrate, en se flattant d’avoir revu le texte sur un manuscrit grec d’excellente qualité. Juriste, il publie le Testament de Cuspidius — sans d’ailleurs se douter que ce n’est qu’un faux —, en portant au droit romain et aux réalités de la vie antique l’intérêt qui caractérise l’humanisme. La dédicace des Lettres de Manardi, qui salue la Renaissance, montre combien Rabelais adhère à l’esprit nouveau : « Dans la si vive lumière qui est celle de notre siècle, quand nous voyons toutes les disciplines retrouver leur bon état ancien par quelque singulière faveur des dieux, il se trouve un peu partout des êtres auxquels il arrive d’être si affectés que, au sortir de ces ténèbres épaisses et plus que cimmériennes de l’époque gothique, ils ne veulent pas, ou ne peuvent pas, tourner les yeux vers l’astre éclatant du soleil ».
 
Plus tard, quand Rabelais aura commencé à être connu par son roman, ces préoccupations humanistes ne l’abandonneront pas. On le voit, de février à avril 1534, parcourir Rome, à la suite de Jean du Bellay, qu’il accompagne en Italie. A son retour, il met sous presse la Topographie de l'ancienne Rome de Marliani, en la faisant précéder d’une épître à son maître, où il indique les bienfaits qu’il attend d’un voyage à Rome : rencontrer les savants célèbres et s’entretenir avec eux; observer un certain nombre de plantes, d’animaux et de drogues inconnus en France; composer une topographie de l’ancienne Rome (s’il publie Marliani, c’est que cet auteur a réalisé la dernière partie de son projet). Ce sont bien là des intérêts humanistes.
 
On n’omettra pas ici les pronostications et almanachs dont Rabelais est l’auteur. Médecin, il publie des calendriers d’astrologie médicale, tel l’almanach de 1541; la Grande et Vraye Pronostication nouvelle pour l'an 1544 est encore un véritable almanach, et, au xvie siècle, Rabelais sera sérieusement tenu pour un des patrons des pronostiqueurs. Mais cette littérature est de trop large diffusion pour que Rabelais ne profite pas des facilités qu’elle présente : il les utilise pour lutter contre la déviation que constitue l’astrologie divinatrice et pour propager l’évangélisme. De ce point de vue, le texte le plus attachant est la Pantagruéline Prognostication pour Tan 1533, qui, du reste — comme le titre le montre —, utilise le récent succès du Pantagruel. Reprenant le plan classique des pronostications, Rabelais prend à rebours les renseignements qu’elles ont coutume de fournir; ainsi le « gouverneur et seigneur de ceste année » n’est pas, comme d’aucuns le font croire, telle ou telle planète, mais « Dieu le créateur, lequel par sa divine parolle tout regist et modéré ». Tout le premier chapitre, notamment, condense un grand nombre de thèmes chers à l’évangélisme. De même, l’almanach pour 1533, dans le fragment conservé, fait des textes scripturaires un usage qui décèle l’évangélisme de son auteur.
Cet imprévu maintient le lecteur dans un état de perpétuelle incertitude, comme le fait aussi la structure du système des personnages. A la façon des romans de chevalerie, Rabelais organise ce système selon une série d’oppositions simples : c’est, par exemple, celle du géant Pantagruel et du géant Loupgarou, ou celle du bon roi et du mauvais roi. Mais Panurge échappe curieusement à ce schéma : si, d'une certaine manière, il est le double du héros — l’épisode des trophées (chap. xxvn) le montre bien —, s’il peut être son substitut — ainsi lors de l’épisode de Thaumaste (chap. xvm à xx), où le savoir du disciple atteste celui du maître —, il est aussi l’homme aux mille ruses, volontiers compagnon d’individus douteux, et avec qui Alcofrybas lui-même refuse de s’associer (chap. xvn) : c’est pourtant à lui que Pantagruel donne son amitié; et cette affection toute spéciale — que rehaussent d’ailleurs la verve et l’agilité d’esprit de Panurge — entretient, dans le livre, une sorte de séduction du mal : excellent représentant de cette « science sans conscience » où Gargantua, au chapitre -vm, ne voit que « ruine de l’âme », Panurge, dès le chapitre ix, devient celui qui arrête l'attention de Pantagruel et à qui ce dernier propose de faire « un nouveau pair d’amitié telle que feut entre Enee et Achates ». Il est bien de ces gens dont Gargantua vient de dire, au chapitre précédent : « Je voy les brigans, les bourreaulx, les avan-turiers, les palefreniers de maintenant, plus doctes que les docteurs et prescheurs de mon temps », phrase qui n’est pas seulement une reconnaissance de la diffusion de la nouvelle culture puisqu’à la fin de la lettre il distingue science et sapience et, à l’adresse de son fils, précise : « Fuis les compaignies des gens esquelz tu ne veulx point resembler». Quand on pense à l’importance de l’idée de ressemblance dans cette lettre, on est porté à donner à ce conseil quelque poids.


rabelais

« Profil de l'œuvre romanesque des placards, l'évangélisme connaît sa plus belle heure : On peut supposer que des préoccupations si nettement et si constamment manifestées ne seront pas absentes du roman de Rabelais.

Même si ce serait Je défigurer que de n'y voir qu'une œuvr e à thèse, on ne saurait nier que l'auteur ne l'inscrive dans son temps et n'y pose les questions qui préoccupent son époque.

Les deux premiers livres furent publiés presque coup sur coup : le Pantagruel en 1532, le Gargantua en 1534 ou 1535.

Un long silence les sépare de la suite : le Tiers Liv re en 1546, et le Quart Livre en 1548-1552.

Cet intervalle, comme V.-L.

Saulnier l'a souligné, est tout juste celui qui sépare l'Affaire des placards (octobre 1534) du massacre des Vaudois (1545).

Avan t l'Affaire J'esprit de renouveau habite les forces vives du pays.

Après elle, vient le temps de la répression, de la lutte contre la propagande évangélique, du combat contre les novateurs.

Le roman de Rabelais reflète ce passage de J'allégresse et de J'enthousiasme à la nécessair e pru­ dence.

Ces considérations autorisent à examiner distinc­ tement les deux premiers livres et les suivants.

Du reste, les lecteurs du temps furent sensibles au changement de ton qui marquait le Tiers Livre, si l'on en cro it le p re m ier Prologue du Quart Livre (1548), où Rabelais rapporte leurs propos : « Plus dictes que le vin du Tiers Livre ha esté à vostre goust et qu'il est bon.

Vray est qu'il y en a voit peu et ne vous plaist ce que l'on di ct commune­ ment : Un peu, et du bon ».

VIE 1483 Date probable de la naissance, à La Devinière, non loin de Chinon.

de François Rabelais.

1510 Rabelai> est novice au couvent franciscain de La Baumctte.

près ou d'Angers.

1511 1520 Moine chez les franciscains, à Fontenay-le-Comte.

Avec frère Pierre Lamy, il est accueilli dans le cercle érudit du légiste humaniste André Tiraqueau.

1522 Amaury Bouchard.

ami de Tiraqueau, publie.

en riposte à un livre de celui -ci, une apologie du sexe féminin il y mentionne la traduction.

par Rabelais.

du premier livre d'Hérodote.

1524 Rabelais passe dans l'ordre des Bénédictins, à Maillezais.

Au ser­ vice de l'évêque Geoffroy d'Estissac, il l'accompagne à travers le Poitou; il réside sans doute au prieuré de Ligugé.

1526- Rabelai> semble mener des études universitaires.

1528 1528- 1530 1530 1531 II séjourne à Paris, où il étudie pe ut- ê tre la médecine.

Il prend l' hab tt de prêtre séculier.

D'une liaison avec une veuve pari­ sienne naîtront deux enfants, François et Junie.

17 sep!.

: Rabelais est immatriculé sur les registres de la faculté de médecine de Montpellier.

1 cr déc.

: il est reçu bachelier.

(Son patron est Jean Schyron).

Il fait ses > en expliquant les Aphorismes d'Hippocrate et l'Art de Galien.

1532 Il est à Lyon.

1 cr nov.

: il est nommé médecin de l'hôtel-Dieu du Pont-du-Rhône.

30 nov .

: il écrit à Érasme.

1534 Il accompagne en Italie le cardinal Jean du Bellay (janv.-mai).

De févr.

à avr., il séjourne à Rome.

De retour à Lyon.

il reprend ses fonctions à l'hôtel-Dieu.

1535- Deuxième séjour à Rome, en qualité de méd , ecin de Jean du Bellay.

1536 Il y régularise sa situation à l'égard de 1' Eglise.

1536 Naissance probable de son fils Théodule (qui mourra à l'âge de deux ans).

Rabelais est reçu au monastère de Saint-Maur-des-Fossés.

Il devient chanoine du chapitre quand l'abbaye est sécularisée.

1537 Après avoir, en févr .• participé au banquet offert à Dolet.

il va à Montpellier achever ses études de médecine et passe la licence et le doctorat (mai).

Oct.

1537 -avr.

1538 : après un court séjour à Lyon, où il pratique une célèbre dissection humaine, il revient à Montpellier faire cours sur Hippocrate.

ŒUVRE 1524 Rabelais adresse à son ami le poète Jean Bouchet une épître, sa première œuvre imprimée.

1532 [1 édite les Ep is tola e medicinales de Manardi (S.

Gryphe, 3 juin); les Hippocratis et Ga/eni libri aliquot (S.

Gryphe, 15 juill.); le Tesramentwn Cuspidii (S.

Gryphe, 4 sept..).

Il publie le Pantagruel, chez Claude Nourry, lors des foires de novembre.

1533 Il publie la Panragruéline Prognoscicarion et un Almanach pour l'an 1533.

1534 Il édite la Topographia antiquae Romae de Marliani (août).

On place traditi onnellement à l'automne 1534 la publication du Gargantua.

1535 Il publie un Almanach pour l'an 1535.

1535 est la date à laquelle il convi ent.

selon le critique M.

A.

Screech, de fixer la publica­ tion du Gargantua.. »

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