Devoir de Philosophie

J.-K. Huysmans écrit : « À quoi bon bouger, quand on peut voyager si magnifiquement dans une chaise ? » Qu'en pensez-vous ?

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

huysmans

On n'oubliera pas d'envisager tous les sens possibles du mot « voyage «, utilisé, dans la citation, au sens figuré d'évasion du réel par l'imaginaire. La dissertation revient, en fin de compte, à s'interroger sur les pouvoirs de la lecture (et, en élargissant à notre époque, des « images « qui peuvent nous faire voyager sans qu'on bouge de notre fauteuil).

 

I. Pourquoi faire de « vrais « voyages ?

- voyager pour découvrir : rencontrer pour connaître ou pour détruire ?

- voyager est le moteur du progrès des sociétés ;

- voyager, c'est fuir.

II. « Voyager dans une chaise « :

- le tourisme dans un fauteuil : récits de voyages, guides ;

- magie du téléphone (et de quelques autres inventions) ;

- le monde entier dans « une étrange lucarne « : images réelles, images virtuelles.

 

huysmans

« pourra préférer un fauteuil, voire un canapé, un lit, pourquoi pas ?), il ne peut que respecter les civilisations dont illit l'énumération des merveilles : on peut trouver tout cela aujourd'hui en collections de poche : récits de Colomb, deBougainville ou de La Pérouse ; carnets de voyage de Montaigne, journal de Marco Polo, etc.

C'est non seulement lemonde extérieur qui vient à notre rencontre, mais le passé : « tout un monde lointain, perdu, presque défunt ».

Maison peut préférer les voyages d'aujourd'hui et les récits de Moitessier ou de Florence Arthaud, ou choisir le tourismemoderne, en se procurant un guide (il en est d'excellents !) sur tel ou tel pays : les îles lointaines (Caraïbes,Maurice, Réunion, Bali, Seychelles, Maldives), par exemple.

Il est toujours des noms qui, à eux seuls, font rêver.

Jepeux lire les textes, certes, la documentation historique, géographique, les conseils pratiques, mais aussi regarderles photos et partir en voyage sans courir aucun des inconvénients du vrai voyage.

Je suis sûr de ne pas changermes habitudes : pas de fuseau horaire à franchir ni de changements climatiques, ni mousson ni alizés, ni nourrituretypique (et pimentée) ni bestioles agressives.

Je peux même me contenter, si les textes « littéraires » me semblenttrop ardus, des catalogues de voyage.

Les hôtels y sont luxueux, la mer est bleue, le ciel aussi, les palmiers sontd'un vert exquis, les filles sont bronzées (et toujours très belles).C'est fou ce que l'on peut faire, aujourd'hui, dans une chaise ! Je peux, par exemple, téléphoner à n'importe qui, enn'importe quel lieu (attention, tout de même, au décalage horaire, pour ne pas réveiller indûment son correspondant!).

Nul besoin de se déplacer.

L'homme d'affaires moderne a à peine besoin de voyager, désormais.

De sa chaise, iltraite avec le monde entier par téléphone, certes, mais aussi télex, télécopie, fax et autres ordinateurs.

Il peutmême converser avec diverses personnes disséminées un peu partout sur la planète, les faire entrer encommunication à distance les uns avec les autres.

Pourquoi se fatiguer, courir les taxis, les avions, risquer lesmaladies, la fièvre jaune ou le paludisme, alors que le monde est là, à portée de main, sans que j'aie à bouger ?Pour qui n'est pas homme d'affaires très occupé, il reste la solution de la télévision.

Le monde vient à ma rencontregrâce à cette petite et « étrange lucarne » (la formule est d'André Ribaud pastichant Saint-Simon pour Le Canard enchaîné) ouverte sur le monde.

On connaît le sempiternel cliché.

Même plus besoin de se déplacer de la chaise à l'appareil, avec la télécommande on peut faire encore une économie de mouvements : je zappe donc je suis.

Je faisà mon gré défiler des images de partout.

Le « câblé » en voit de toutes les couleurs, de tous les pays, des jeuxOlympiques d'hiver en Norvège aux neiges un peu plus rouges de Sarajevo.

La chaîne « Planète » me fait découvrirle monde entier ; « Faut pas rêver » ou « Thalassa » m'emmènent loin d'ici, ailleurs, comme les reportages en directsur les diverses courses autour du monde à la voile.

Je regarde en direct, transmises par téléphone (miracle de latechnique), des images des quarantièmes rugissants.

Pourquoi bouger, alors, puisque, de ma chaise, je commandeau monde entier.

Je n'ai même plus besoin d'aller au théâtre, au cinéma, au concert, puisque tout vient à moi (avecle minitel en couleurs, je peux même me procurer une compagne — un compagnon, au choix ! — mais c'est uneautre forme de voyage).

Je peux même aller sur la Lune (j'ai soigneusement magnétoscopé le débarquement de1969).

Pour les tenants de l'image réaliste et de la troisième dimension, il y a même, dans un avenir proche, mieuxencore : les fameuses images virtuelles qui vont vous transporter « là-bas » avec casque et manettes adéquates «comme si vous y étiez ».

Plus besoin même de rêver et d'imaginer.

J'y serai sans y être.

Illusion complète : jeconduis une voiture, je pilote un avion, je vogue sur la mer déchaînée, sans aucun danger (seulement, peut-être,celui de perdre complètement la raison).

On peut, pour cela, préférer des voyages plus personnalisés et revenir à lafin du XIXe siècle, à l'époque d'où l'auteur d'À rebours nous parle. « Dans » une chaise, on peut rêver tout seul, sans images ni catalogues.

Voyager, c'est cela aussi, sans bouger, «magnifiquement » : « tout le monde peut en faire autant.

Il suffit de fermer les yeux » écrit Céline en exergue à sonVoyage au bout de la nuit.

Nul besoin, en effet, de support ou d'artifice.

Chacun a, à sa disposition, un magasin personnel de mots et d'images, un roman ou un cinéma, qu'il peut utiliser à sa guise.

Encore faut-il savoir le fairepour éviter ainsi toute « dépendance » de l'extérieur.

On peut, en tête-à-tête avec soi-même, ne jamais s'ennuyerun instant, s'inventer des histoires, se raconter des voyages fabuleux, imaginer d'« incroyables Florides », des «Péninsules démarrées » beaucoup plus belles que les vraies, jamais gâchées, elles, par les médiocrités de l'existenceréelle et du quotidien banal.

Comme Walter Mitty, le héros de James Thurber, l'écrivain américain, je peux imaginerque j'ai une double vie : une « vraie », grise et terne, une autre en couleurs, celle que j'imagine, et qui me faitvoyager bien loin d'ici.

Mais, moins égoïstement, ces autres vies, ces voyages multiples, je peux les communiquer àd'autres. À l'époque d'Huysmans, aujourd'hui encore, existent des « conteurs » : le soir, à la veillée, autour de l'âtre, ilsinventent des histoires.

Chacun assis sur sa chaise, vibre au récit écouté avec attention et fébrilité.

Les enfantsécoutent l'aïeul.

On communique de bouche à oreille.

Ainsi, se sont transmis, en voyageant d'une personne à uneautre, colportés dans le temps jusqu'à nos jours, des récits, des contes (que certains retranscrivirent et signèrent :Perrault, Grimm, Andersen).

Ainsi, nous sont parvenus des légendes, des mythes du monde entier : de magnifiquesvoyages dont on peut encore se délecter : ceux de Jason, par exemple, poursuivant la Toison d'or, ou ceux deSindbad le Marin. Mais le conteur, « dans sa chaise », peut aussi prendre une feuille de papier, un stylo et son courage : il écrit.

Ilvoyage en écrivant, pas besoin d'aller loin, on peut écrire sur soi, sur les choses proches, c'est aussi une forme devoyage, une manière de bouger et de faire bouger sa tête.

L'écrivain fait passer de son cerveau au papier desvoyages imaginaires pour que d'autres personnes, moins habiles peut-être — des lecteurs — puissent voyager à leurtour, assises elles aussi dans leur chaise. Ainsi, Jules Verne (qui voyagea également « pour de vrai ») peut écrire des Voyages extraordinaires et nous emmener autour de la Lune, autour du monde, au centre de la Terre, vingt mille lieues sous les mers ou cinqsemaines en ballon, au choix.

Edgar Poe, avec Arthur Gordon Pym, nous entraîne dans un fabuleux périple au pôle,dans les glaces de l'Antarctique, comme Mary Shelley nous avait entraînés avec son monstre (celui du docteur. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles