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Jacques-Bénigne Bossuet, évêque de Meaux, SERMONS, «Sermon du mauvais riche»

Publié le 17/01/2022

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bossuet

 

Sermon du mauvais riche

Premièrement, Chrétiens, c'est une fausse imagination des âmes simples et ignorantes, qui n'ont pas expérimenté la fortune, que la possession des biens de la terre rend l'âme plus libre et plus dégagée. Par exemple, on se persuade que l'avarice serait tout à fait éteinte, que l'on n'aurait plus d'attache aux richesses, si l'on en avait ce qu'il faut : Ha ! c'est alors, disons-nous, que le coeur, qui se resserre dans l'inquiétude du besoin, reprendra sa liberté tout entière dans la commodité et dans l'aisance. Confessons la vérité devant Dieu : tous les jours, nous nous flattons de cette pensée. Mais notre erreur est extrême. Certes, c'est une folie de s'imaginer que les richesses guérissent l'avarice, ni que cette eau puisse étancher cette soif. Nous voyons par expérience que le riche, à qui tout abonde, n'est pas moins impatient dans ses pertes que le pauvre, à qui tout manque ; et je ne m'en étonne pas. Car il faut entendre, Messieurs, que nous n'avons pas seulement pour tout notre bien une affection générale, mais que chaque petite partie attire une attention particulière : ce qui fait que nous voyons ordinairement que l'âme n'a pas moins d'attache, que la perte n'est pas moins sensible, dans l'abondance que dans la disette. Il en est comme des cheveux, qui font toujours sentir la même douleur, soit qu'on les arrache d'une tête chauve, soit qu'on les tire d'une belle tête qui en est couverte : on sent toujours la même douleur, à cause que, chaque cheveu ayant sa racine propre, la violence est toujours égale. Ainsi, chaque parcelle du bien que nous possédons tenant dans le fond du coeur par sa racine particulière, il s'ensuit manifestement que l'opulence n'a pas moins d'attache que la disette ; au contraire, qu'elle est, du moins en ceci, plus captive et plus engagée, qu'elle a plus de liens qui l'enchaînent et un plus grand poids qui l'accable. Te voilà donc, ô homme du monde, attaché à ton propre bien avec un amour immense ! Mais il se croirait pauvre dans son abondance (de même que toutes les autres passions), s'il n'usait de sa bonne fortune.

I. Questions 1. Bossuet réfute les raisonnements du mauvais riche. Repérez la situation de communication. Identifiez les différentes apostrophes et précisez leur fonction. 2. Après avoir dégagé le plan du sermon, citez les arguments logiques ainsi que les articulateurs utilisés pour les introduire — vous les distinguerez des déictiques (ou embrayeurs du discours). 3. Relevez les différentes formes de la répétition — vous pourrez, par exemple, identifier les différents champs lexicaux (erreur, richesse, besoin, asservissement) et dégager les symétries de construction. 4. Étudiez les marques de l'énonciation en référence au système des pronoms.  

II. Travaux d'écriture

1. Bossuet vous semble-t-il être un bon psychologue ? Justifiez votre réponse en trente lignes. 2. Un paradoxe sous-tend ce texte. Dégagez-le. Quelle problématique morale soulève-t-il ? Enfin, répondez à Bossuet en disant si vous êtes ou non convaincu par son sermon. (Vingt lignes environ.) 3. La charité, n'est-ce qu'un devoir de chrétien ? Vous répondrez à cette question sur une trentaine de lignes. Vous commencerez par définir la situation de communication où vous vous placez et vous ferez, à l'imitation de Bossuet, un sermon, laïc ou non, sur le devoir de charité. Vous pourrez imaginer n'importe quelle situation — comme une visite de l'abbé Pierre aux « top models « de la haute couture, par exemple.

 

En 1662, à la cour de France, les tenants de l'ancienne mode se regroupent autour d'Anne d'Autriche, fidèle à saint Vincent de Paul, tout comme Bossuet. Ils s'opposent aux partisans de la nouvelle cour, en ce début du règne de Louis XIV. Bossuet va donc prêcher devant un monarque jeune et peu enclin à se laisser dicter sa conduite. Voici un extrait de ses exhortations à la charité chrétienne envers le prochain nécessiteux :

bossuet

« dans la mesure où Bossuet s'adresse à un auditoire réel — bien que, dans un sermon écrit, la situation decommunication change puisque le lecteur contemporain est, lui aussi, apostrophé par l'auteur.

Nous pouvons doncdistinguer l'apostrophe de l'auditoire — « Chrétiens », « Messieurs » — de l'apostrophe en tant que figure : « ôhomme du monde », qui renvoie au discours lui-même, à la figure du mauvais riche, et qui imprime à la phrase unemodalité affective.

L'apostrophe figurative permet de théâtraliser le sermon ; non figurative, elle témoigne de laréalité sociale dans laquelle s'inscrit le discours puisque le prêcheur en appelle à la psychologie et à la moraleprofanes. Question 2: Après avoir dégagé le plan du sermon, citez les arguments logiques ainsi que les articulateursutilisés pour les introduire — vous les distinguerez des déictiques (ou embrayeurs du discours). Dégageons, à présent, les différentes étapes de ce sermon qui peut se décomposer en trois grands mouvements.

Lapremière partie s'étend du début à « nous nous flattons de cette pensée » (l.

11).

La deuxième va jusqu'à « quil'accable » (l.

34) et le discours s'achève sur une péroraison appuyée sur une apostrophe confondant l'auditoire, ou« homme du monde », et le mauvais riche. Première phase de l'argumentation :L'adverbe « premièrement » lance une série d'arguments logiques ; cet adverbe classificateur implique un «secondement » (qui ne viendra ni dans ce texte ni plus loin) et permet d'organiser le discours en tant que tel.

Lapremière phrase introduit, en effet, la substance du sermon : la thèse de Bossuet retourne une idée reçue selonlaquelle la possession des richesses nous libère des servitudes de la vie.Ensuite, le prêcheur frappe les imaginations en produisant un exemple qui lui permet de poursuivre un raisonnementa pari (voir p.

350) : « Par exemple, on...

».

Abandonnant sa présentation abstraite, l'orateur se place dans unesituation concrète précise afin de capter l'attention des fidèles et de toucher leur raison au travers de leursensibilité.

Nous pouvons relever une série de déictiques qui fournissent des repères non tant logiques que temporelset qui se réfèrent à la situation évoquée dans l'exemple : « c'est alors, disons-nous...) », « tous les jours ».

Lesdéictiques fonctionnent à l'intérieur du discours qui produit une fiction inspirée par l'expérience courante.Deuxième phase de l'argumentation :Ensuite, le sermon s'oriente dans la direction choisie par le prédicateur et revient, par ressassement, sur l'idéeinitiale, l'erreur de jugement du mauvais riche.

Le dis-cours produit une impression voulue de piétinement.

Laconjonction de coordination «Mais » introduit une opposition tranchée, appuyée par l'adverbe d'affirmation « Certes» et développée en asyndète par l'appel à l'évidence et l'argument empirique : «Nous voyons par expérience » (l.14).

Le discours développe l'image de l'aliénation par l'exploitation du lexique de l'erreur, de la folie : «Mais notreerreur est extrême.

Certes, c'est une folie...

» (l.

11-12).

Le point de vue religieux rejoint une thématique baroque,fondée sur l'idée que tout n'est qu'illusion.

L'expérience infirme l'idée reçue : le riche est aliéné à ses proprespossessions ; plus on est riche et plus on craint de perdre son argent.

Bossuet répète sa première affirmation : il luiimprime plus de force en lui donnant un aspect concret ; cependant, son argumentation n'avance pas à proprementparler.

Bossuet produit une série de preuves empiriques davantage qu'un raisonnement construit.Le prêcheur donne une explication du phénomène : « Car », la conjonction de coordination permet de passer deseffets visibles aux causes cachées et ouvre sur une distinction entre le préjugé et la réalité vécue, introduite ànouveau par « mais ».

En fait, les hommes croient que la richesse les libérera de tout souci matériel mais elle necontribue qu'à les assujettir davantage à l'amour des possessions mondaines.

Ce n'est pas une bonne méthode pourse libérer de ses biens temporels.

L'effet persuasif est obtenu par l'anaphore de l'adverbe d'intensité accompagné dela négation : « pas moins », appuyant le parallèle (l.

21 : « que l'âme n'a pas moins d'attache, que la perte n'en estpas moins sensible, dans l'abondance que dans la disette »).

La symétrie (« soit que...

soit que...

») est exploitéeencore au travers de la comparaison avec la chevelure, qui produit une illustration simple et aisément vérifiable. La péroraison :La conclusion s'impose : « Ainsi », adverbe conclusif introduit la conséquence logique découlant du bon sens : «manifestement » — qui répond au « Premièrement » du début — en opposition (locution adverbiale « au contraire »)avec le préjugé évoqué au départ.

Alors se dégage la figure du mauvais riche : « Te voilà donc...

Mais...

» (l.

34 et36).La première conjonction de coordination hésite entre le statut d'articulateur logique du discours et celui de déictiquerenvoyant à une situation supposée par le prêcheur : soit on la considère comme relevant de la logique interne dusermon, soit on considère qu'elle renvoie à l'exemple.

Le mauvais riche persiste à se faire des illusions sur son propreétat en exigeant des preuves tangibles de sa richesse.Quant au « mais », il structure plus clairement la progression du discours puisqu'il introduit un jugement de valeurinsistant sur le paradoxe d'une telle attitude.Ainsi, la structuration de ce sermon repose sur une organisation très rigoureuse : le discours multiplie lesarticulateurs logiques propres au genre démonstratif — les liens de subordination (adversatives, conclusives,causales) sont nombreux, de même que les anaphoriques et les démonstratifs.

Cependant, l'ensemble produit uneimpression de piétinement, voulu, car l'orateur cherche à imprimer son idée dans les consciences des pécheurs. Question 3: Relevez les différentes formes de la répétition — vous pourrez, par exemple, identifier lesdifférents champs lexicaux (erreur, richesse, besoin, asservissement) et dégager les symétries deconstruction.. »

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