Jean Froissart
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
«
histoire rimée des guerres de son temps.
C'est là, en réalité, la première forme de la future
Chronique: une forme versifiée et dont rien n'a été conservé.
Les critiques qui ont étudié cette forme
primitive à travers les rédactions postérieures en prose
ont été unanimes à conclure que, pour
ses débuts, le jeune auteur n'avait guère fait que transposer l'œuvre d'un prédécesseur, qu'il cite,
mais
dont on ignorerait à quel point il en a été tributaire, si le modèle, longtemps inconnu, n'avait
été découvert : ce modèle, c'est Jean le Bel, riche chanoine de Liège et mémorialiste pùur son
plaisir.
Certes, il ne saurait être question de déprécier Froissart.
Il reste digne de son immense
renommée, et,
du reste, le bagage de Jean le Bel qu'il a pu utiliser est mince, attendu que l'œuvre,
représentée
jusqu'ici par un seul manuscrit, tient en deux volumes seulement, alors que les douze
volumes
parus de l'édition critique de Froissart, en cours par les soins de la Société de l'Histoire de
France, ne touchent pas encore à la fin.
Nous noterons, toutefois, dès maintenant, sans plus
attendre, que, parmi les pages les plus réputées de Froissart, il en est qui reproduisent presque
littéralement le texte du chanoine liégeois, d'autres qui n'en apportent que des remaniements plus
ou moins heureux.
A la
cour de Londres, Froissart recueillit beaucoup d'éléments d'information que Jean le Bel
avait ignorés : il enrichit ainsi
de beaucoup le récit; on le constate dans la première rédaction
en prose de son Livre
1, qui fourmille de détails nouveaux.
Au surplus, le décor brillant où vivait
la reine
Philippa avait de quoi plaire à un jeune homme que les splendeurs mondaines attiraient
d'instinct.
Et dans les réunions qui se donnaient dans ce milieu, où l'optimisme des récentes
victoires
entretenait, au lendemain de la bataille de Poitiers et du traité de Brétigny, une exaltante
joie de vivre, la curiosité de ce véritable journaliste de vocation, qui ne perdait jamais de vue le
souci
de se documenter, trouvait d'amples occasions de se satisfaire.
C'est dans l'entourage
de la reine, dont il était le compatriote, que Froissart fit personnellement la connaissance des
principaux acteurs anglais de la grande guerre et qu'il recueillit de leur bouche quantité de
confidences : matériaux singulièrement précieux pour l'œuvre grandiose d'une véritable histoire
contemporaine, .dont lé plan commençait à se dessiner.
D'Angleterre, voici que notre chroniqueur passe en Ecosse.
Il y séjourne auprès du roi de
ce pays,
David Bruce.
Des lettres de recommandation lui ont ménagé un bon accueil de la part
de ce souverain.
Mais ne faut-il pas changer de gîte fréquemment si l'on veut collectionner beau
coup de nouvelles? C'est pourquoi, en 1366, nous voyons notre auteur à Bruxelles.
Le voici l'année
suivante, en 1367, à Bordeaux, alors capitale de la Guyenne anglaise; il en part pour un voyage
en Italie en 1368; mais, en 1369, nous le retrouvons à Bruxelles.
Il y conquiert les faveurs d'un
grand féodal, Wenceslas de Luxembourg, petit-fils du roi aveugle de Bohême, Jean, ce preux
mort au champ d'honneur pour la France, puisqu'il s'était fait tuer dans les rangs français en
1346 dans la tragique défaite de Crécy.
Les sympathies françaises de ce Luxembourg, épris,
comme tous ceux de sa famille, de culture française, amende, non sans de très opportunes correc
tions, les versions des événements
un peu trop unilatéralement anglophiles qui avaient cours
autour de la reine Philippa.
L'étude approfondie des rédactions successives que fait subir Froissq.rt
à son texte montre à l'évidence ces influences variées qui se jouent à travers les épisodes racontés.
Mais voilà bien
une fâcheuse aventure.
Dans une campagne malheureuse, Wenceslas se
laisse capturer par un de ses ennemis, le duc de Juliers.
Froissart quitte la cour de Brabant.
Il ne
déserte pas, cependant, le Brabant lui-même; il s'y fixe, au contraire pour un temps; il y devient
curé de Lestinnes-au-Mont.
Là, tout en remplissant en conscience les devoirs de son état, il se
livre à des travaux littéraires.
La seconde rédaction du Livre 1 de la Chronique est achevée à ce
moment.
Pour arrondir le casuel de son bénéfice ecclésiastique, l'auteur cède, contre espèces,
des copies
de son œuvre à différents seigneurs, friands de l'histoire de leur temps.
La vie sédentaire devient assez vite à charge à ce nouvelliste à l'humeur vagabonde.
Il
quitte Lest innes.
Il va faire un séjour auprès de Guy de Blois en 1387, et c'est là qu'il peut faire
ample provision de renseignements sur les guerres de Bretagne, où la maison de Blois a été mêlée,
et où, d'ailleurs, elle a été perdante, la victoire étant demeurée au parti contraire, le parti de
:Montfort.
Une occasion merveilleuse s'offre en 1388-1389 de faire connaissance avec ce beau
pays qu'est le Midi de la France.
Notre chroniqueur, homme du Nord, n'a garde de laisser
passer
l'aubaine, et nous y gagnons qu'il nous conte avec une intarissable verve cette mémorable
randonnée, l'une des éclaircies du règne sombre de Charles VI..
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