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Jules VALLÈS, Le Bachelier.

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

(Après avoir essayé vainement sur les barricades d'organiser la résistance au coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte (2 décembre 1851), Jacques Vingtras se voit contraint de rejoindre sa famille à Nantes. Son père exige de lui, chaque jour, un devoir de grec ou de latin, après quoi le jeune homme est libre — «libre de regarder le quai Richebourg«.)    Oh! ce quai Richebourg, si long, si vide, si triste! Ce n'est plus l'odeur de la ville, c'est l'odeur du canal. Il étale ses eaux grasses sous les fenêtres et porte comme sur de l'huile les bateaux de mariniers d'où sort, par un tuyau, la fumée de la soupe qui cuit. La batelière montre de temps à autre sa coiffe et grimpe sur le pont pour jeter ses épluchures par-dessus bord.    C'est plein d'épluchures, ce canal sans courant!    C'est le sommeil de l'eau. C'est le sommeil de tout. Pas de bruit. Trois ou quatre taches humaines sur le ruban jaunâtre du quai.    En face, au loin, des chantiers dépeuplés, où quelques hommes rôdent avec un outil à la main, donnant de temps en temps un coup de marteau qu'on entend à une demi-lieue dans l'air, lugubre comme un coup de cloche d'église.    A gauche, la prairie de Mauves brûlée par le givre.    A droite, la longueur de la rivière, qui est trop étroite encore à cet endroit pour recevoir les grands navires. On y voit les cheminées des vapeurs de transports, rangées comme des tuyaux de poêle contre un mur; et les mâts avec des voiles ressemblent à des perches où l'on a accroché des chemises — espèce de hangar abandonné, longue cour de blanchisseur, corridor de vieille usine, ce morceau de la Loire!    Le ciel, là-dessus, est pâle et pur : pureté et pâleur qui m'irritent comme un sourire de niais, comme une moquerie que je ne puis corriger ni atteindre... C'est affreux, ce clair du ciel, tandis que mon cœur saigne noir dans ma poitrine.    Jules VALLÈS, Le Bachelier.    Vous ferez de ce texte un commentaire composé. Vous pourriez, par exemple, analyser, à travers les différents plans de ce tableau, à travers le rythme et la tonalité de la phrase, le morne ennui, le désespoir et le sentiment d'impuissance qui s'emparent de Jacques.    plan détaillé du développement    Remarques    Le libellé du texte fournit trois directions d'étude : le morne ennui, le désespoir, le sentiment d'impuissance. Les attitudes sont assez proches. Il convient donc, avant de s'engager dans cette voie, de bien cerner chacune d'entre elles. Le deuxième terme semble plus intense que le premier. Quant au troisième, il exprime le découragement et la résignation.    En outre, la page se présente essentiellement comme une description d'où émane une impression de tristesse. Il convient donc de l'attacher aux éléments extérieurs qui concourent à créer cet état intérieur.   

« On comprend alors mieux que les plans de ce tableau soient si courts.

A quoi bon s'attarder? Lorsqu'une imagesemble naître, elle disparaît, rapidement dépréciée : le quai est comparé à un ruban, mais l'adjectif «jaunâtre» avecson suffixe introduit une impression désagréable.

De la même façon, les coups de marteau renvoient au son d'unecloche d'église.

Celui-ci loin d'éveiller l'imagination est qualifié de «lugubre», allusion sans doute au glas.

L'intensif «si triste » commande donc l'ensemble de la page. Le sentiment se fait parfois plus vif et atteint au désespoir.

Il est sensible dans la série des exclamations quiouvrent le texte, dans l'insistance du rythme ternaire, «si long, si vide, si triste» auquel succède le rythme binaire,«ce n'est plus l'odeur de la ville, c'est l'odeur du canal». Comment justifier ce désespoir? Par la monotonie du paysage? Pas seulement.

Le désert, l'absence de vie réelle endonnent la clef.

La batelière n'apparaît que «de temps à autre».

Les êtres sont indistincts, «trois ou quatre tacheshumaines».

Silhouettes que l'on distingue mal.

Leur présence est presque incongrue.

Le verbe «rôdent» exprime uneaction furtive, malveillante, inavouée.

L'auteur insiste sur l'effacement humain.

Et l'on comprend pourquoi : après lesgrands rassemblements, la ville, les barricades, le contraste saisissant du quai vide traduit la démission des hommesdevant l'événement.

Ce n'est donc pas par hasard si, seul, se trouve évoqué le monde ouvrier. Dans un décor où la présence humaine n'ose s'affirmer pleinement, Jacques Vingtras n'éprouve aucun réconfort àcontempler le paysage.

La nature se dérobe, également détruite : les fleurs, les Mauves, sont «brûlée(s) par legivre».

Le froid et le feu s'allient pour supprimer tout ce qui vit.

La répétition du mot «sommeil», appliqué de façoncroissante à l'eau puis à «Tout», souligne le retrait de la nature.

-Celle-ci perd de son intérêt, cesse presqued'exister et renvoie Jacques Vingtras à une solitude désespérée. Face à cette immense désaffection, le personnage éprouve un sentiment d'impuissance.

Souvent, cette impressionprovient d'une disproportion entre deux éléments : l'un se sent faible et petit devant une force, une grandeur.

Or, laseule indication allant dans ce sens réside dans la référence à la notion de «longueur» qui intervient par trois foisdans le texte.

Mais l'auteur ne veut pas souligner par là l'ampleur du paysage, il suggère plutôt la durée de l'ennuiqui s'étire démesurément.

D'ailleurs, le fleuve se réduit à «un morceau de Loire», comme si l'eau, élément fuyant parexcellence, se trouvait tronçonnée.

Ainsi, l'impuissance résulte de l'incapacité à agir et à rêver dans un monde étriqué. Il est significatif que les grands bateaux, propres aux voyages, ne puissent parvenir à cet endroit, (le canal «sanscourant»).

Tous les symboles de l'évasion se réduisent à des objets ordinaires : les cheminées des vapeursdeviennent des tuyaux de poêle, les mâts et les voiles des perches et des chemises.

La troisième phrase du texte,longue et hachée, se termine par une courte relative.

La fumée loin d'emporter le bateau est le signe banal de «lasoupe qui cuit». Cependant, le personnage ne se résigne pas totalement : Il interpelle le canal, le désigne brutalement par l'emploi dudémonstratif.

En même temps, il s'efforce de le tenir à distance.

La phrase «c'est plein d'épluchures, ce canal sanscourant», par la dissociation du thème et du prédicat, marque la volonté de s'écarter de ce triste spectacle.

Maisc'est surtout dans la dernière phrase qu'apparaît une rage froide : «Mon cœur saigne noir dans ma poitrine.» Lerouge et le noir contrastent avec la «pâleur et la pureté» du ciel, soulignées par les allitérations en p.

Cette seulenotation de couleur ne parvient pourtant pas à animer le paysage blême. En outre, il est possible de discerner un écart entre la laideur du paysage, sa saleté et la sérénité du ciel.

JacquesVingtras s'irrite particulièrement de ce contraste, comme s'il ne pouvait supporter une telle discordance.

A larigueur, il accepterait que des nuages soient à l'unisson de la terre et de l'eau.

Mais une telle impassibilité, quiconfine pour lui à la niaiserie ou à un défi, lui est insupportable.

Ainsi, le personnage n'accepte pas sa propreimpuissance, et l'aveu «moquerie que je ne puis corriger, ni atteindre » se teinte encore de révolte. conclusion rédigée Cette page traduit donc le désespoir et la révolte de Jacques Vingtras.

L'accent est mis sur la tristesse et lamédiocrité du paysage.

Souvent, le canal inspire poète ou créateur, Brel ou Carné, pour créer un monde de brumeet de désolation.

Mais alors que chez ces hommes du XXe siècle affleure une certaine mélancolie, la prose de JulesVallès ne cède pas au lyrisme ou au misérabilisme.

Au contraire, récriture sèche refuse l'attirance de la dérisioncomme l'exaltation de la nostalgie.. »

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